Autopsie de la bulle de l’intelligence artificielle
Des indices qui ont caractérisé la bulle internet permettent de penser que l’on est à nouveau dans une bulle financière, liée à la révolution de l’intelligence artificielle.
dans l’hebdo N° 1884 Acheter ce numéro

© Marija Zaric / Unsplash
L’histoire du capitalisme a été jalonnée de crises boursières, précédées par des épisodes d’euphorie spéculative, associées à des vagues d’innovations technologiques. Ainsi, la railway mania en Grande-Bretagne : 1 200 lignes de chemin de fer ont été ouvertes entre 1844 et 1846 ; les cours de la Bourse flambent, puis éclatent en 1848. Ne subsisteront qu’une vingtaine de sociétés de chemin de fer à l’issue d’un mouvement radical de restructuration.
Dans les années 1990, la « nouvelle économie » fondée sur internet s’est traduite par une extraordinaire euphorie boursière ; les cours boursiers ont été multipliés par deux entre 1998 et 2000, cette bulle spéculative débouchant sur le E-krach début 2000.
En 2025, trois indices, qui ont caractérisé la bulle internet, permettent de penser que l’on est à nouveau dans une bulle financière liée à la révolution de l’intelligence artificielle (IA). D’abord, des investissements mirobolants : selon Morgan Stanley, les dépenses mondiales totales dans l’IA atteindront 3 000 milliards de dollars (2 560 milliards d’euros) d’ici à 2029. En 2025, les Gafam ont investi dans l’IA l’équivalent de l’investissement des groupes industriels du CAC 40.
Deuxième indice, les valorisations boursières sont devenues extravagantes : l’indice S&P500 des 500 actions représente 1,8 fois le PIB des États-Unis, pour une moyenne historique de 0,6 %, du jamais vu ! Enfin, troisième indice : les profits réalisés grâce à l’IA sont actuellement faibles et incertains, même s’ils font l’objet d’anticipations très optimistes pour l’avenir.
Comme toutes les bulles précédentes, la bulle de l’IA finira par imploser. La question est de savoir quelles en seront les conséquences. S’il est vrai que l’E-krach de 2000 n’a pas eu de répercussions économiques et sociales importantes, on peut craindre des effets plus dévastateurs avec l’implosion de la bulle de l’IA.
Une grande différence avec la bulle internet est que l’engouement pour l’IA n’est pas porté par quelques modestes start-up.
Une grande différence avec la bulle internet est que l’engouement pour l’IA n’est pas porté par quelques modestes start-up, mais par des géants du numérique qui ont financièrement les reins solides. Ces monopoles rentiers et prédateurs vont renforcer leurs positions dominantes, dans un contexte de dérégulation orchestrée par les autorités états-uniennes.
L’IA, que d’aucuns qualifient de quatrième révolution industrielle, ne sortira pas affaiblie de l’implosion de la bulle boursière. Bien au contraire. Comme l’ont montré Joseph Schumpeter et ses disciples, chaque révolution technologique émerge dans un monde façonné par l’ancien, arrivé à maturité et dont la productivité n’est pas suffisante pour assurer l’accumulation capitaliste.
Euphorie speculative
À ce moment-là, le capital industriel devient conservateur, trop lié au monde d’avant. C’est alors que la finance prend le dessus, investit dans les technologies révolutionnaires et contraint les anciennes industries à disparaître ou à les adopter sous l’effet de la concurrence. L’euphorie spéculative actuelle sur les marchés pourrait être durable car elle est alimentée par la masse importante de liquidités créée par les banques centrales.
Deux facteurs risquent de mettre à mal l’euphorie actuelle autour de l’IA. D’une part, même si elle crée de nouveaux emplois, l’IA va détruire de nombreux métiers, dans l’industrie, la culture, les services, comme l’illustrent les milliers de licenciements d’Oracle, géant du numérique, spécialiste de la gestion des bases de données. D’autre part, l’IA ne va-t-elle pas prendre une place centrale dans la guerre économique et militaire que vont se livrer les capitalismes contemporains (1) ?
Les Capitalismes contemporains, Dominique Plihon, « Repères », La Découverte, 2025.
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