« J’espérais faire le deuil de mon père, mais les autorités m’en empêchent »

Osama Ahmed a survécu à l’un des pires naufrages dans la Manche, le 23 octobre 2024. Présent à bord, son père reste porté disparu. Un an plus tard, il souhaite interpeller les autorités dont il n’a aucune réponse.

• 23 octobre 2025
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« J’espérais faire le deuil de mon père, mais les autorités m’en empêchent »
Maraude d'Utopia 56, 2023
© Maxime Sirvins

Osama Ahmed a survécu à un naufrage dans la Manche, le 23 octobre 2024. Son père faisait partie des personnes à bord. Son corps n’a jamais été retrouvé et Osama Ahmed est confronté à un mur lorsqu’il interpelle les autorités pour obtenir des informations. Un an plus tard, il a voulu poser ses propres mots sur la douleur, l’absence et le silence des pouvoirs publics.


Je voudrais parler de ce qui nous est arrivé le 23 octobre 2024 : une explosion de bateau pneumatique dans la mer française où nous nous dirigions vers l’Angleterre. À quelques kilomètres de la côte, le bateau a explosé, il a chaviré vers la gauche, nous sommes tombés à l’eau, nous avons essayé de sortir la tête de l’eau, nous cherchions quelque chose pour nous accrocher, nous nous sommes accrochés au reste du bateau qui flottait.

Nous étions au milieu de l’eau, nous criions fort, nous étions près de 70 personnes sur un bateau de 6 mètres, la plupart d’entre nous n’avions pas de gilet de sauvetage. Après une heure, deux bateaux sont passés à côté de nous, leurs lumières étaient dirigées en notre direction mais aucun n’est venu nous aider. Ils ont appelé les garde-côtes qui ont mis presque deux heures à venir. 48 personnes ont été secourues, 3 personnes étaient mortes et 14 personnes ont disparu. Dont mon père.

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Nous les avons perdues en mer. Nous ne savons plus rien d’elles, aucun d’entre elles n’a été retrouvée, la mer les a englouties. Jusqu’à aujourd’hui, aucune information. Je n’arrive pas à me sortir de la tête le bruit de l’incident, la voix des personnes, je les vois, je les entends encore, j’aimerais tellement avoir de leurs nouvelles. Mon père fait partie des disparus de ce naufrage. Un de ceux qu’on ne peut pas enterrer. Il n’est pas comptabilisé parmi les morts et il ne fait plus partie des vivants.

Je n’arrive pas à me sortir de la tête le bruit de l’incident, la voix des personnes naufragées.

Petit à petit, les semaines et mois qui ont suivi, des corps ont été rejetés par la mer sur les plages de Calais. Fait-il partie de ces corps pour lesquels je n’ai aucune réponse ? Je suis resté à Calais des semaines espérant retrouver un peu de lui, dans l’attente d’informations, de réponses. Je n’en ai trouvé aucune. À chaque corps que la mer rejetait, j’espérais alors pouvoir l’identifier, l’enterrer, faire mon deuil, répondre à mes proches. Mais cela ne m’a pas été permis et ne me l’est toujours pas.

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J’ai arpenté pendant des jours et des jours les plages du littoral, dans l’espoir de retrouver mon père. De commissariats en commissariats, de services en services, à la recherche d’informations, on me montrait des images des parties du corps retrouvé, des détails des vêtements, qui ont permis de déterminer que ce n’était pas lui. Mon test ADN n’a pas été comparé avec le dernier corps retrouvé en décembre, alors même que j’en ai fait la demande deux fois par mois. « Erreur dans la procédure », m’a-t-on répondu. Ça fait neuf mois. Et si c’était lui ?

Nous avons survécu à la guerre en Syrie, nous avons dû fuir ce pays, et nous avons été contraints à l’exil. Pourtant la dernière fois que j’ai vu mon père, c’était à bord de ce bateau pneumatique dans les eaux françaises.

Je n’ai plus le choix que d’apparaître dans les médias pour que ma voix soit entendue.

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