Taxe sur les holdings : Lecornu épargne les milliardaires
Lors de son discours de politique générale, Sébastien Lecornu a affirmé avoir entendu le désir, au sein de la population, d’une meilleure justice fiscale reconnaissant même une « anomalie » au sein de la fiscalité des plus fortunés. Sa réponse : une taxe sur les holdings qui ne répondra absolument pas au problème.

© Thomas SAMSON / AFP
La copie est enfin là. Après des semaines de négociations, de retournements de situations ubuesques, Sébastien Lecornu a présenté son projet de loi de finance (PLF) en début de semaine. Un « budget de droite sociale », selon son entourage. Dans celui-ci, une mesure était particulièrement demandée par la gauche et le mouvement social : la taxe Zucman – du nom de celui qui l’a conceptualisée, l’économiste Gabriel Zucman. Celle-ci vise à instaurer un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros.
Tout au long du mois de septembre, cette mesure est venue s’installer dans le débat public et sur les banderoles des centaines de milliers de manifestants. « Taxer les riches ». Une demande qui s’appuie sur les travaux de plusieurs économistes de premier plan. Ceux-ci ont, en effet, démontré que les milliardaires, grâce à des stratégies d’optimisation fiscale, payaient, en proportion, moins d’impôts que n’importe quel contribuable lambda.
« Le taux d’imposition globale apparaît progressif jusqu’à des niveaux élevés de revenu puis devient régressif pour le sommet de la distribution : il atteint en effet 46 % pour les foyers les 0,1 % des plus riches puis descend à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches », concluait une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) en 2023.
Derrière ce rebranding fiscal, la proposition rate (volontairement) sa cible.
Un rebranding fiscal manqué
Dans son discours de politique générale, mardi 14 octobre, Sébastien Lecornu a même reconnu le caractère injuste de cette régressivité : « La fiscalité des très grandes fortunes, parmi nos compatriotes, a pu interpeller un certain nombre d’entre vous. Là aussi, il faut reconnaître qu’il peut y avoir des anomalies ».
Du constat à la réponse, le grand écart. L’article 3 de la proposition de budget du locataire de Matignon vise à instaurer une taxe de 2 % sur les holdings pour « mettre en échec les stratégies de contournement de l’impôt par la thésaurisation de revenus non distribués ». Mais derrière ce rebranding fiscal, la proposition rate (volontairement) sa cible. « Le gouvernement refuse de taxer les ultra-riches », s’indigne l’économiste Lucas Chancel auprès de Politis.
Les holdings patrimoniales sont des sociétés détentrices de parts d’autres entreprises pour centraliser le patrimoine des grandes fortunes. Généralement gérées par une famille, ces structures permettent des montages financiers avantageux, en évitant, notamment, l’impôt sur le revenu ou sur les dividendes. Selon le gouvernement, ce sont près de 4 000 ménages les plus fortunés qui sont concernés.
Présentée comme une main tendue aux socialistes dans les futurs débats parlementaires, cette proposition de taxe suscite l’indignation de l’économiste Gabriel Zucman. Sur le réseau social X, il fustige une taxe qui vient « créer une machine à optimisation ».
Une taxe qui exclut le patrimoine professionnel
En effet, dans sa rédaction, l’article 3 du PLF permet une liste d’exonérations longue comme le bras. La plus importante concerne les holdings animatrices (autrement dit le patrimoine professionnel). Le gouvernement défend cette exonération et explique ne pas vouloir toucher au « tissu productif » français, en ne taxant pas directement les « biens professionnels ».
Or, selon l’INSEE, les 1 % les plus riches possèdent une structure de patrimoine qui ne se retrouve pas chez les autres ménages aisés. La majorité de leur richesse provient de leur patrimoine professionnel à 34 % (contre 9 % à 14 % pour les autres ménages aisés). Le cœur de leur fortune se trouve donc bel et bien dans les outils de production qu’ils détiennent (82 % du patrimoine professionnel).
Cette exception fait l’effet d’un coup d’épée dans l’eau, alors que le gouvernement a l’air de choisir de ne viser que des comptes bancaires dormants ou « des avions privés et des chalets » pour reprendre les mots de Philippe Aghion, nouveau récipiendaire du prix Nobel d’économie. Par exemple, la famille Dassault a transformé sa holding familiale baptisée « Groupe industriel Marcel Dassault » (GIMD) en holding animatrice avant l’été dernier pour échapper à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Cette décision intervient alors que cette nouvelle taxe sur les holdings crée une exception pour les sociétés soumises à l’IFI pour éviter « une double imposition ».
Le lien du sang deviendrait un avantage fiscal, pour le plus grand plaisir des familles les plus aisées de France.
Exonérations à foison
Autre point, seules les holdings d’une valeur égale ou supérieure à 5 millions d’euros d’actifs financiers sont concernés. Le choix de fixer un plancher à 5 millions d’euros à cette taxe pourrait permettre de multiplier les sociétés d’une valeur inférieure pour ne pas être assujetties à cet impôt.
Un passage précis du texte créé ce qui pourrait s’apparenter à une rupture d’égalité face à l’impôt : « Une personne physique et son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin notoire, leurs ascendants, leurs descendants, ou leurs frères et sœurs sont réputés constituer une seule personne physique. Il est fait masse des droits financiers ou droits de vote qu’ils détiennent directement ou indirectement. »
Dans ce cas-là, une famille détenant une holding serait considérée comme une seule personne face à l’impôt. Le lien du sang deviendrait un avantage fiscal, pour le plus grand plaisir des familles les plus aisées de France.
Ces exonérations à foison témoignent de la frilosité des pouvoirs publics à véritablement s’attaquer aux immenses patrimoines. Déjà, l’impôt sur la fortune – supprimée par Emmanuel Macron – comportait tellement d’exonérations que les ultra-riches réussissaient à y échapper. Car chaque exonération est une brèche dans laquelle ils s’engouffrent. Preuve en est : alors que la taxe Zucman – sans exonération, donc – est censée rapporter entre 15 et 20 milliards d’euros par an, cette taxe sur les holdings ne rapporterait qu’un tout petit milliard par an, au grand maximum. « C’est 20 fois moins, tout simplement », souffle Lucas Chancel.
Reste que la version proposée par Sébastien Lecornu reste amendable durant les débats budgétaires. Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste, a d’ores et déjà promis d’y intégrer la taxe Zucman. Mais, entre un débat cadré dans le temps et une assemblée nationale fragmentée, rien n’indique que son groupe parviendra à ses fins. Et les milliardaires seront épargnés, encore.
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