Mercosur : « L’histoire de ma famille et de la ferme a déjà été bouleversée par ces accords de libre-échange »

Le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur entre dans une nouvelle phase de discussions au Conseil européen. Philippe Babaudou, éleveur et coporte-parole de la Confédération paysanne en Haute-Vienne, raconte les effets de ces accords de libre-échange sur la ferme familiale.

• 27 novembre 2025
Partager :
Mercosur : « L’histoire de ma famille et de la ferme a déjà été bouleversée par ces accords de libre-échange »
© Sindy Sussengut / Unsplash

Je suis installé depuis trente ans au sud de Limoges, sur une ferme de 150 hectares. Nous faisons de l’élevage de vaches limousines et d’ovins pour la viande, et de l’arboriculture. L’histoire de ma famille et de la ferme a déjà été bouleversée par ces accords commerciaux. Lorsque mon père était installé sur la ferme dans les années 1980, il faisait essentiellement de l’élevage de brebis et de moutons. Mais à cette époque, un accord a permis l’importation massive de viande ovine à bas prix venant de Nouvelle-Zélande, via la Grande-Bretagne, engendrant une baisse des prix payés aux producteurs français.

Conséquence : l’effondrement de la production d’agneaux en Europe. Aujourd’hui, on ne produit plus que 47 % de la viande d’agneaux consommée en France. C’est quasiment un marché de niche. L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande ratifié en novembre 2023 était une couche supplémentaire à ce délitement.

Sur le même sujet : Dossier : Le Mercosur réveille la colère agricole

Face à cette crise, mon père a dû réagir en diminuant le nombre d’animaux et en se diversifiant en créant une filière arboricole avec de la pomme du Limousin. Mais d’autres agriculteurs ont abandonné, ont disparu. On a longtemps cru que la délocalisation ne toucherait jamais l’agriculture, on avait tort. On craint désormais que l’élevage bovin se cale sur le scénario de l’élevage ovin dans les années 1980-1990…

On a longtemps cru que la délocalisation ne toucherait jamais l’agriculture, on avait tort.

Cet accord entre l’UE et les pays du Mercosur prévoit d’importer 99 000 tonnes de viande bovine, principalement issue du Brésil. Ces fermes sont sans commune mesure avec les nôtres, car elles sont immenses, elles font travailler des gens à des salaires très faibles, et utilisent des produits interdits en Europe (antibiotique de croissance, farines animales…). Cette viande n’arrivera pas sous forme de carcasse d’animaux.

« Il est probable que cela passe complètement inaperçu pour le consommateur »

Ce seront des morceaux de « bonne » qualité c’est-à-dire les aloyaux (entrecôtes, filets, faux filets..) qui se retrouveront notamment au menu de chaînes de restaurant spécialisée en viande (Buffalo grill, Hippopotamus..) mais aussi dans la restauration collective, et dans des produits transformés qui ne sont pas forcément soumis à une traçabilité stricte. Il est donc probable que cela passe complètement inaperçu pour le consommateur.

Quant aux éleveurs, les effets se sentiront sur les prix : en faisant entrer des morceaux d’aloyaux qui coûtent jusqu’à 40 % moins cher que ceux produits en Europe, il y aura forcément une concurrence sur les prix, et le prix payé aux producteurs européens baissera.

On aimerait que l’agriculture ne soit pas une monnaie d’échange des accords commerciaux.

Depuis quelques années, la consommation de viande bovine baisse un peu en France et en Europe, mais le plus grave, c’est que l’offre s’écroule totalement. Cela pourrait être l’occasion de réfléchir sérieusement à un modèle d’élevage plus vertueux pour l’environnement, pour la biodiversité… Au lieu de ça, les gouvernements et institutions européennes préfèrent miser sur l’importation de viande qui va déstabiliser le marché, et qui aura fait des milliers de kilomètres, et viendra d’élevages responsables de la déforestation.

Selon les chiffres de l’Institut de l’élevage, cet accord UE-Mercosur concernerait entre 600 000 et un million d’hectares de forêts déforestées ! Chez nous, on plante des haies, on travaille sur une surface majoritairement herbagère, nos bêtes sont dans des prairies. Si cet accord est ratifié, ce sera un très mauvais signal pour les futures éleveurs et éleveuses souhaitant s’installer ou se développer.

Sur le même sujet : À Paris, la Confédération paysanne en première ligne contre le Mercosur

J’estime que mettre en concurrence des paysan·nes de toute la planète alors que les conditions de productions ne sont pas les mêmes, ne peut pas contribuer à la vraie souveraineté alimentaire. On aimerait que l’agriculture ne soit pas une monnaie d’échange des accords commerciaux, en face de biens industriels ou de services. Il faut se battre contre les traités de libre-échange, et en ce moment, on a une chance de gagner sur le Mercosur car il est très contesté dans plusieurs pays. C’est important car si on lâche maintenant sur celui-ci, la lutte contre ces accords et ces traités sera définitivement enterrée.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Publié dans
Carte blanche

La carte blanche est un espace de libre expression donné par Politis à des personnes peu connues du grand public mais qui œuvrent au quotidien à une transformation positive de la société. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Nous avons peur qu’une décision arbitraire arrête brutalement la vie d’Abdenour »
Carte blanche 27 novembre 2025

« Nous avons peur qu’une décision arbitraire arrête brutalement la vie d’Abdenour »

Abdenour est un homme trisomique devenu tétraplégique. Son beau-frère, qui a passé ses journées avec lui depuis 10 ans, dénonce la maltraitance médicale qu’il a subie et le bras de fer de sa famille avec l’hôpital. Un combat qui se poursuit devant les tribunaux.
« Du public de la Philharmonie, j’ai reçu des coups de pied et de poing, des crachats, des insultes »
Carte blanche 18 novembre 2025

« Du public de la Philharmonie, j’ai reçu des coups de pied et de poing, des crachats, des insultes »

Après le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à Paris, le 6 novembre, et la pluie de coups dont il a été la cible, Rayan*, militant pro-palestinien, s’exprime pour la première fois. Il revient sur le lynchage dont il a été victime et la répression qui s’en est suivi.
COP 30 : « Nous, citoyens équatoriens, ne recevons pas la protection qui nous est due par l’État »
Carte blanche 17 novembre 2025

COP 30 : « Nous, citoyens équatoriens, ne recevons pas la protection qui nous est due par l’État »

En Équateur, les conséquences sanitaires l’exploitation d’hydrocarbure, qui pollue l’air et les eaux, sont connues depuis des décennies. Leonela Moncayo, 15 ans, mène un combat contre ces torchères avec les Guerrières de l’Amazonie. Témoignage.
Par Patrick Piro
Nous, victimes d’attentats, dix ans à rechercher la vie
Carte blanche 13 novembre 2025

Nous, victimes d’attentats, dix ans à rechercher la vie

Le 13 novembre 2015, Yann était attablé avec des amis au restaurant parisien, Le Petit Cambodge. Dix ans plus tard, il continue de poser des mots sur ses souvenirs. Et cherche encore à agrandir ses « cercles d’empathie » pour résister face aux faiseurs de haine.