« La Voix de Hind Rajab » : retour sur écoute

Le nouveau film de Kaouther Ben Hania suscite émotion et gêne.

Christophe Kantcheff  • 25 novembre 2025 abonné·es
« La Voix de Hind Rajab » : retour sur écoute
Le film suscite une gêne réelle, en raison de la confrontation d’une voix d’enfant issue d’un réel brut et d’une mise en scène trop élaborée.
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La Voix de Hind Rajab / Kaouther Ben Hania / 1 h 29.

À Gaza, une petite fille de 6 ans, Hind Rajab, appelle au secours le Croissant-Rouge palestinien, installé à Ramallah. Elle se trouve dans une voiture criblée de balles, entourée des cadavres des membres de sa famille. Après des heures de négociations – et pendant que les membres de l’association tentent de rassurer la fillette – le feu vert est donné pour envoyer une ambulance sur place. Elle sera détruite par un missile et Hind mourra peu de temps après.

C’est de cette tragédie – largement diffusée à l’époque, début 2024 – que Kaouther Ben Hania a fait une fiction. Ou plus exactement, adepte du mélange documentaire et fiction – on se souvient de son film précédent, Les Filles d’Olfa, fondé sur ce principe –, la cinéaste a greffé sur les véritables enregistrements de la voix de Hind Rajab la reconstitution de ce qui se passe à l’autre bout du fil, côté Croissant-Rouge palestinien.

Des comédiens y interprètent de « vraies » personnes – notamment Rana (Saja Kilani) et Omar (Motaz Malhees) –, sous pression, en larmes, passant du stress au désarroi, parfois s’opposant sur la marche à suivre, impuissants de ne pouvoir sauver la petite, anéantis à l’issue du drame. Kaouther Ben Hania donne régulièrement des gages d’authenticité en posant, ici, la voix de sa comédienne sur celle de la vraie Rana, là en intégrant dans le champ une vidéo sur un téléphone qui montre la véritable équipe du Croissant-Rouge en situation ce jour-là et dont sa reconstitution est la fidèle réplique.

Vouloir émouvoir, sensibiliser sur le génocide en cours, mais à quel prix éthique ?

Comment contester l’objectif politique d’un tel film ? Néanmoins, La Voix de Hind Rajab suscite une gêne réelle. En raison de la confrontation d’une voix d’enfant issue d’un réel brut et d’une mise en scène trop élaborée (jeux de reflets, composition graphique des plans…) Plus encore à cause du type d’émotion suscitée. En soi, le récit de ce « fait réel » est bouleversant. Mais ici les sentiments qui traversent les personnages et le faux suspense (l’issue est connue) que le film instaure ont, qu’on le veuille ou non, statut de spectacle. Vouloir émouvoir, sensibiliser sur le génocide en cours, mais à quel prix éthique ? Le cinéma ne peut pas faire l’économie d’une telle question.

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Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes