COP21 : comment le CAC 40 contourne l’accord de Paris

Après la signature de l’accord de Paris, les industriels s’étaient engagés à une baisse de leurs émissions de gaz à effet de serre. Dix ans plus tard, l’Observatoire des multinationales montre que ces grands groupes n’ont pas respecté leurs promesses.

Caroline Baude  • 15 décembre 2025 abonné·es
COP21 : comment le CAC 40 contourne l’accord de Paris
© Jas Min / Unsplash

Dix ans après l’accord de Paris, les émissions de gaz à effet de serre des grandes entreprises françaises ont-elles diminué ? C’est la question que s’est posée l’Observatoire des multinationales dans un rapport paru le 12 décembre, fondé sur l’analyse des données de douze groupes du CAC 40. Ces entreprises sont représentatives de plusieurs secteurs industriels aux impacts climatiques élevés : aviation, sidérurgie, banque, énergie, grande distribution, automobile, luxe et cosmétiques.

Premier constat : « La moitié des entreprises étudiées a vu ses émissions d’ensemble augmenter entre 2019 et 2024. » Malgré la publication d’objectifs climatiques et de trajectoire de réduction des émissions, aucune baisse généralisée ne se dégage de l’échantillon analysé. Pour l’autre moitié – les six groupes dont les émissions ont diminué –, le rapport explique que cette évolution ne correspond pas à une transformation durable de leurs activités, et qu’elle n’apporte aucun bénéfice net.

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Engie et ArcelorMittal doivent l’essentiel de la réduction de leurs émissions à la revente d’actifs fortement polluants, comme des centrales à charbon. Les émissions disparaissent de leur bilan, mais pas de l’atmosphère. Airbus et Renault ont, pour leur part, vu leurs émissions diminuer pendant la pandémie mondiale, en lien direct avec la chute temporaire des ventes d’avions et de voitures. Depuis la reprise des activités, les volumes de production se rapprochent progressivement de leurs niveaux d’avant covid, relançant les émissions à la hausse.

L’essentiel des émissions reste invisible

Les émissions directement produites par les entreprises ne représentent qu’une part minoritaire de leur impact climatique. L’essentiel se situe en amont ou en aval de leurs activités : lors de la production des matières premières, chez les fournisseurs, lors du transport ou de l’utilisation des produits vendus. Pour les banques, il s’agit principalement des activités qu’elles financent ; dans le cas de BNP Paribas, ces financements ne représentent pas moins de 99,75 % de l’empreinte carbone totale.

Sur les douze groupes étudiés, seuls deux ont enregistré une baisse de leurs émissions indirectes.

Ces émissions indirectes constituent donc la majorité des émissions des entreprises étudiées, mais restent les plus difficiles à mesurer et à réduire. Sur les douze groupes étudiés, seuls deux ont enregistré une baisse de leurs émissions indirectes : Airbus et Renault, et là encore, liée à la pandémie mondiale et non à une transformation durable de leurs modèles économiques.

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Pour visibiliser ces impacts longtemps restés hors du débat public, l’Union européenne a adopté en 2024 de nouvelles règles obligeant les entreprises à publier des informations complètes sur leurs impacts environnementaux, y compris sur leur chaîne de valeur. Mais début décembre, un paquet de réformes – appelé Omnibus 1 –, voté à cause de l’alliance de la droite européenne avec l’extrême droite, a revu à la baisse une partie de ces exigences, affaiblissant ce qui devait être l’un des principaux leviers d’action climatique.

Une réduction sur le papier, pas dans les faits

Plusieurs entreprises mettent en avant des baisses d’émissions, mais celles-ci sont obtenues sans modification profonde de leur activité. Il peut s’agir de l’achat d’électricité certifiée « verte », ou de recours à la compensation carbone. Celle-ci consiste à financer des projets de reforestation ou de protection d’écosystèmes afin de contrebalancer des émissions toujours produites ailleurs.

Pour respecter l’accord de Paris, la compensation ne devrait pas représenter plus de 10 % des émissions d’un groupe. Or le rapport observe plusieurs cas d’utilisation au-delà de ce seuil, qui permet à certains de mettre en avant une certaine « neutralité carbone ». L’Observatoire des multinationales souligne que ces pratiques sont des « trompe-l’œil ». En outre, la transparence sur l’origine et l’efficacité des crédits carbone reste limitée, et il s’est avéré que ces projets pouvaient générer des violences envers les communautés locales.

Les émissions d’un groupe peuvent être recalculées rétrospectivement quelques années plus tard, sans que l’on comprenne exactement pourquoi.

Observatoire

Plusieurs entreprises, comme Carrefour ou LVMH, ont vu leur intensité carbone – soit leurs émissions rapportées à leur chiffre d’affaires –, significativement baisser ces dernières années. Mais, dans le même temps, leurs ventes ont augmenté. Résultat : en valeur absolue, leurs émissions continuent de croître. Et les chiffres eux-mêmes peuvent être opaques, puisque « les émissions d’un groupe peuvent être recalculées rétrospectivement quelques années plus tard, sans que l’on comprenne exactement pourquoi ». Ainsi, en 2024, LVMH a revu ses émissions pour 2019 « fortement à la hausse ».

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Pour les entreprises dont le modèle industriel est intrinsèquement polluant, le rapport souligne que les options de réduction sont « très limitées sans changement radical d’activité ». Le technosolutionnisme ne semble toujours pas faire ses preuves : ArcelorMittal a gelé ses projets d’acier bas carbone en Europe, pour cause de coût et de faisabilité. Airbus mise sur la généralisation de carburants dits durables, mais il persiste « beaucoup d’incertitudes sur la viabilité et l’adoption effective de ces technologies ».

D’autres encore, comme TotalEnergies, mettent en avant la capture et le stockage du carbone, une technologie encore largement expérimentale. C’est d’ailleurs sur les émissions de gaz à effet de serre de TotalEnergies que Greenpeace avait publié un rapport fin 2022. Mise en cause, la multinationale avait répondu en engageant une procédure contre l’ONG pour « diffusion d’informations trompeuses ». Une procédure finalement annulée par le juge. En 2025, le tribunal judiciaire de Paris a condamné le groupe pour une campagne de communication trop imprégnée de greenwashing. « Atteindre la neutralité carbone n’avait pas de base concrète », résume le rapport.

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