Le frisson Akim Omiri

L’humoriste havrais voit sa vie entravée jusque dans son intimité à cause de ses blagues engagées.

Louis Bolla  • 17 décembre 2025 abonné·es
Le frisson Akim Omiri
© The Sealy Man

Contexte / à partir de janvier 2026 au théâtre Gaîté Rive-Gauche à Paris et en tournée dans toute la France.

En septembre, Akim Omiri reçoit un coup de fil de Christel Grossenbacher. Son ancienne agente chez AS Talent, chargée de le représenter dans le monde du cinéma, réfléchit à arrêter sa collaboration avec le comédien. Depuis près de neuf mois, personne ne veut le voir à l’essai ou en casting alors qu’il tourne d’habitude au moins dans une série ou un film chaque année. Un doute grandit chez l’humoriste : sa liberté de ton, sa veine critique et sociale transfusée dans son stand-up l’empêcheraient-elles de travailler ?

Depuis qu’il a débarqué sur Radio Nova en janvier 2025, Akim Omiri semble être de plus en plus exposé à une mise à l’index silencieuse. « Je n’ai pas observé de boycott à son égard, sinon je le lui aurais dit franchement », répond son ex-agente chez AS Talents, qui soutient que les positions politiques ne sont jamais un sujet dans les choix des ­directeurs de castings et que « le seul critère » de sélection est « artistique ». Langue de bois ? Il existe tout un tas de raison plus ou moins justifiées pour expliquer le refus d’un artiste en casting. Le cas d’Akim Omiri interroge au regard du vent de mer qui porte sa carrière.

En pleine envolée

L’artiste est en pleine envolée et correspond au genre de profil recherché par l’industrie culturelle : il est très suivi sur les réseaux sociaux (plus de 478 000 abonnés cumulés sur Instagram, X et Tik Tok) et son deuxième spectacle, Contexte, dans lequel il passe au grattoir les grands sujets de société, affiche complet depuis plus d’un an. De sa résidence au théâtre Le Métropole (Paris 2e), où il jouait devant une centaine de personnes trois fois par semaine, il est passé au théâtre des Mathurins (Paris 9e), où les 400 places sont prises chaque semaine depuis septembre. Sans compter la tournée.

Depuis avril 2025, l’humoriste et auteur anime sa propre émission, intitulée « La Riposte », avec l’esprit satirique et engagé qui le caractérise. L’émission, sorte de petite sœur plus radicale et moins blanche que « La Dernière », programme phare de la station dans lequel Omiri est aussi chroniqueur, cible la droitisation du discours dans les médias.

Ce que je fais à Radio Nova, je ne le ferais nulle part ailleurs.

A. Omiri

Un « quasi late show » à l’américaine enregistré dans un théâtre le lundi, diffusé sur les ondes le mercredi, et dont les chroniques découpées et montées pour les réseaux sociaux sont poussées en ligne le reste de la semaine, explique Kaza, le coproducteur de l’émission et associé d’Akim Omiri. « On prend la merde de l’extrême droite et on en fait des ­blagues », résume ce producteur-composteur. « Ce que je fais à Radio Nova, je ne le ferais nulle part ailleurs », confirme de son côté l’humoriste, se disant reconnaissant d’avoir cette liberté de ton sur la radio du milliardaire ­Matthieu Pigasse, patron de gauche.

« Trop sulfureux »

Après huit mois d’existence sur les ondes, « La Riposte » a trouvé son rythme, atteignant la 40e place des podcasts les plus écoutés de France en octobre. En ligne, certaines émissions s’approchent du score de celle animée par les stars de l’humour Guillaume Meurice, Pierre-Emmanuel Barré, Aymeric Lompret et Juliette Arnaud.

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L’humour engagé et indépendant d’Akim Omiri donne des frissons quand il ne hérisse pas les poils. La presse et la télévision le boudent, le jugeant « trop sulfureux ». Les journalistes vont jusqu’à évoquer des « suspicions d’antisémitisme » en off à cause des prises de position du comédien contre la guerre menée par Israël. En 2024, il est l’un des sept humoristes à signer l’appel des « Artistes pour la Palestine-France », avec Guillaume Meurice, Melha Bedia ou Blanche Gardin.

Cette dernière témoigne aussi, sur le site d’Arrêt sur images, des conséquences du boycott qu’elle subit depuis son sketch sur Gaza, en juillet 2024. « Si Blanche Gardin saute, évidemment que je saute aussi », dit Akim Omiri, sans surprise. Mais, tout de même, l’intéressé s’étonne de la faible consistance des accusations d’antisémitisme le concernant : « On n’a jamais rien de concret à me reprocher. » Son ami et associé Kaza conclut avec une verve franche : « Ça reste un Arabe menacé par l’extrême droite, tout le monde s’en fout. »

Ça reste un Arabe menacé par l’extrême droite, tout le monde s’en fout.

Kaza

Au-delà des menaces en ligne ou physiques dont l’humoriste est la cible, les conséquences, plus ou moins graves, sont bien concrètes dans sa vie, dépassant le simple cadre de son activité de vanneur ou d’acteur. S’il ironise sur le fait que son coiffeur n’a plus donné signe de vie après des pressions de l’animateur Arthur, célébrité au centre d’une des chroniques de l’humoriste dans « La Dernière » en janvier 2025 (« C’est aussi le coiffeur d’Arthur ; il lui a dit “tu le coiffes plus” »), il se trouve dépassé par l’abandon de son avocat.

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Après une agression décorrélée de son engagement politique, l’artiste s’est attaché les services d’un conseil. Mais les pièces pour constituer son dossier judiciaire n’ont pas été déposées dans les temps pour pouvoir poursuivre l’affaire au tribunal. Me Éric Maréchal n’a plus répondu aux appels ni aux messages de l’artiste, que Politis a pu consulter. Sur son téléphone, on voit une succession de SMS laissés sans réponse. L’avocat aurait laissé entendre par la suite, lors d’un de leurs rares échanges, que ses positions pro-palestiniennes n’étaient pas acceptables. Un nouvel avocat a relancé la procédure cette année. Me Éric Maréchal n’a pas répondu à nos sollicitations.

Idéalisme

Né au Havre en 1985, Akim Omiri a grandi avec une phrase de sa mère qui lui reste dans un coin de la tête, et que beaucoup de gamins issus de l’immigration ont dû entendre plus d’une fois : « Il faut en faire deux fois plus que les autres dans la vie. » Un jour, au collège, il est collé, bien qu’absent, par sa professeure et l’apprend par ses amis. Ce genre d’injustice lui donne cette immense énergie qu’il déploie aujourd’hui pour contrer les oppressions et dénoncer les privilèges. Avec un certain idéalisme. « Il a 40 balais et toujours cette lueur d’adolescent qui consiste à penser qu’un artiste peut changer le monde », affirme Kaza, qui souligne le goût de son camarade pour « la castagne intellectuelle ».

J’espère qu’on finira par avoir un sursaut démocratique.

A. Omiri

Akim Omiri évoque la curiosité pour la philosophie en terminale L, pour les cours de géopolitique à la fac et les comptes Instagram du média décolonial Histoires crépues ou de Simon Le Galliot, un vulgarisateur d’histoire, qu’il regarde régulièrement. Cet ex-champion de France de boxe française avance avec une endurance ténue dans ce combat des idées. « J’espère qu’on finira par avoir un sursaut démocratique. » Mais, avant, il doit encaisser un nouveau crochet : le théâtre des Mathurins ne prolonge plus ses dates, à la dernière minute et sans explication. Paranoïa ?

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