Le consommateur reprend la main

Action consommation se développe autour du lien direct entre des producteurs et des acheteurs. Les explications de Yann Fiévet, son vice-président.

Yann Fiévet  • 19 juillet 2007 abonné·es

En Île-de-France, huit groupes de consommateurs ont constitué en trois ans un réseau d’approvisionnement en produits issus de l’agriculture biologique normande. De leur côté, les producteurs (une quinzaine) ont créé le Groupement d’intérêt économique (GIE) des producteurs fermiers de Basse-Normandie, afin d’organiser eux-mêmes la rotation des livraisons mensuelles et la gestion collective de ce système particulier d’écoulement de la production de denrées alimentaires.

Une telle pratique d’appropriation du lien entre producteur et consommateur ne relève évidemment pas de la génération spontanée. Un homme est à l’origine de l’entreprise : François Dufour, ancien porte-parole de la Confédération paysanne et paysan bio dans le Cotentin. Soucieux de trouver des alternatives à l’agriculture productiviste, où la qualité des produits est inversement proportionnelle à la hauteur des rendements, il a assuré seul pendant un an la livraison de ses produits et ceux de quatre ou cinq de ses confrères ou consoeurs, modestes paysans comme lui. Le GIE est venu plus tard avec le renfort d’autres producteurs convaincus que l’on tenait là le moyen d’assurer un revenu décent aux producteurs tout en recréant le lien social rompu par le développement inconsidéré de la grande distribution.

Ces producteurs aiment à rencontrer les familles qui consomment leurs produits, tout comme les consommateurs apprécient de pouvoir dialoguer avec ceux qui les alimentent. Ainsi, plusieurs de ces producteurs ont pu maintenir leur activité grâce à ces débouchés franciliens réguliers. Incontestablement, il s’agit là d’un système dépassant de très loin la seule possibilité pour le producteur d’écouler sa production, et pour le consommateur d’acheter des produits de qualité à un prix satisfaisant les deux parties. Il s’agit bien davantage d’une démarche faite de partage de valeurs abandonnées tout à la fois par le consumérisme traditionnel et par l’agriculture conventionnelle, fût-elle « raisonnée ».

Un mois environ avant chaque livraison, un bon de commande des produits disponibles est adressé par Internet aux animateurs des huit groupes de familles. Chaque animateur renvoie par le même canal la commande de son groupe dix jours avant la date de livraison, date impérative permettant le respect des délais d’abattage des animaux et donnant aux producteurs le temps de préparer l’ensemble des produits à livrer. La gamme de ceux-ci est très variée : poulets et oeufs ; viande de boeuf, de veau, d’agneau et de porc fermier ; paniers de légumes ; terrines et foie gras ; produits laitiers (camembert, fromages de chèvre, beurre, crème fraîche, lait) ; pommes et jus de pomme ; miel et pain d’épices, etc. Normandie oblige, cidre et calvados sont également proposés. Les huit groupes sont livrés en deux jours (vendredi et samedi) par deux tournées différentes, afin de répondre aux contraintes géographiques de la banlieue parisienne. La livraison s’effectue le plus souvent au domicile de l’animateur du groupe en présence des personnes ayant commandé. Chacun met la main à la pâte dans la bonne humeur. Mais la chaîne du froid, nous dira-t-on, est-elle respectée elle aussi ? Les producteurs transportent les marchandises dans des camions réfrigérés, et les animateurs des groupes conservent au frais les produits de ceux qui ne peuvent être là le jour de la livraison. De la souplesse dans la rigueur, ce pourrait être la devise de fonctionnement de ce système à présent bien rodé.

Les groupes sont ouverts. Si leur création est la plupart du temps l’initiative d’un noyau de militants, le mode d’entrée de la plupart des membres est le bouche à oreille. L’engagement de chacun n’est que moral. Il n’est pas demandé à tous de comprendre la portée entière de la démarche engagée. La pratique, au fil des livraisons et des rencontres, accroît nécessairement le niveau de compréhension de chacun. Les comportements du consommateur typique sont assez vite remarqués dans un groupe atypique ! De temps à autre, des soirées d’information sont organisées dans des maisons de quartier afin d’élargir l’audience. Ainsi, les inévitables défections liées au « zapping » consumériste sont compensées par de nouvelles arrivées permettant au groupe de garder son niveau de cohérence.

On le voit : rien de bien sorcier dans tout ça. L’ingrédient majeur ? L’envie de rompre, en partie au moins, avec les réflexes habituels de la consommation irréfléchie. Que notre réseau en appelle d’autres, voilà notre voeu le plus cher.

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