France Télécom : d’éminents administrateurs de l’Etat actionnaire se moquent des ressources humaines

Thierry Brun  • 4 novembre 2009
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Les administrateurs de l’Etat présents dans le conseil d’administration de France Télécom n’ont rien vu, rien entendu… Lisez le dernier rapport de l’Agence des participations de l’Etat, et vous comprendrez que seul la « performance financière » compte… pas les conditions de travail.

L’événement a atteint pourtant une dimension que ne pouvait ignorer les dirigeants du groupe France Télécom, pas même les membres de son conseil d’administration. La série de suicides de salariés, vingt-cinq en vingt mois, a non seulement suscité la colère sur les conditions de travail de cette entreprise mais aussi leur médiatisation. Fait rare, un Observatoire national du stress et des mobilités forcées à France Télécom (http://www.observatoiredustressft.org), créé en 2007 par deux syndicats de salariés (CFE-CGC et SUD), a publié plusieurs études sur le « management par le stress » : « Il y a deux ans, la première enquête de l’Observatoire révélait que 66 % du personnel s’estimait stressé et 15 % en situation de détresse. A l’époque, c’était encore l’omerta » , peut-on lire sur le site de l’Observatoire. Les très compétents administrateurs de l’Etat ne pouvaient donc ignorer la situation du groupe.

Sur le déni de la direction, lire ce récent communiqué de SUD-PTT

L’omerta continue cependant , si l’on lit attentivement le rapport 2009 de l’Agence des participations de l’Etat (APE) publié il y a quelques jours (http://www.ape.bercy.gouv.fr). Les trois représentants de l’Etat actionnaire – citons-les pour la postérité : Bruno Bézard (qui dirige l’APE), Pascal Faure et Gilles Michel (lire ci-dessous) – ont pris leur plume et livré leurs édifiantes analyses. Par exemple un bilan du plan NExT (pour « Nouvelle expérience des télécommunications », qu’on se le dise…) « couronné de succès pour l’entreprise », qui « a également permis de mieux associer les salariés à la performance et favoriser leur actionnariat » par l’intermédiaire de… « la mise en place d’un plan de stock-options pour des hauts cadres du groupe » (de prestigieux salariés, donc) et « l’attribution d’actions gratuites à l’ensemble des salariés du groupe en France » (les miettes pour la troupe), mais, car il y a un mais, « sous condition de réussite des objectifs de génération de cash flow [marge brute d’autofinancement, qui comprend notamment les bénéfices] du plan NExT » . Cela ne s’invente pas.

Voici donc un Etat qui ignore tout du management des entreprises dont il est actionnaire. Depuis deux ans, il ne s’est rien passé en matière de gestion des ressources humaines dans l’entreprise France Télécom, c’est en somme ce que l’on déduit des deux derniers rapports. L’année dernière (rapport 2008), les trois représentants, dont le très chevronné Jacques de Larosière, ex-gouverneur de la Banque de France, n’avaient rien à signaler : tout va bien dans la gestion des ressources humaines.

On ne peut douter que ces administrateurs aient oublié de s’informer sur les conditions de travail de ceux qui créent de la valeur pour l’actionnaire. Mais il n’y avait rien à constater, si ce n’est… que France Télécom « a mis en œuvre un dispositif comprenant deux volets afin de fidéliser ses salariés, les inciter à la performance et favoriser leur actionnariat » (on peut lire la même litanie dans le rapport 2009). L’actionnariat de France Télécom est en revanche particulièrement choyé : il a empoché 5 milliards d’euros de dividendes, selon le rapport 2009, mais sans doute beaucoup moins pour les salariés. Ce « fait » ne figure pas dans les « faits marquants » du rapport de l’APE, ni même le montant des stock-options versés…

Les actuels administrateurs de l’Etat actionnaire siègent avec les administrateurs salariés. Se seraient-ils réunis en conseil d’administration réunis sans évoquer les relations sociales ? Pas de conversation sur le sujet, rien de sérieux qui ne vaille d’être communiqué à l’APE ?

Ces éminents représentants ont sans doute d’autres choses à penser, tant leur emploi du temps est chargé… Siéger dans les conseils d’administration, c’est un métier. Pascal Faure vient ainsi d’être nommé au CA de France Télécom et siège aussi au CA de La Poste (et d’autres encore) dont la privatisation est en discussion au Parlement. Nommons aussi l’ancien directeur général de Citroën, Gilles Michel, qui vient d’être nommé au CA de France Télécom, tout en présidant aux destinées du Fonds stratégique d’investissement (FSI).

Rappelons que ces représentants de l’Etat dans France Télécom pèsent lourds. L’Etat détient 9,94 % du capital (plus 3,49 % via l’Erap) de France Télécom et le Fonds stratégique d’investissement créé par l’Etat (présidé par Gilles Michel) est aussi présent à hauteur de 13,49 %. Ces grands hommes ont cautionné sans sourciller le fameux plan NExT « d’une baisse de 17 000 postes sur 2006-2008 (dont 16 000 pour la France) via des départs naturels ou volontaires » (sic).

Mais ils ne pouvaient agir autrement : l’Agence des participations de l’État (APE) a été créée dans le seul but de veiller à la « création de valeur » des entreprises dans lesquelles l’Etat est actionnaire. Nicolas Sarkozy le sait mieux que personne : il a lui-même signé le décret portant la création de l’APE en 2004, en tant que ministre de l’Economie.

Comble de l’ironie, l’APE n’a pas oublié de constituer une gestion des ressources humaines dans son secrétariat général.

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