Trop de capitaux fuient la zone euro… pour aller en Suisse

La Confédération helvétique est face au dilemme de l’afflux de capitaux en raison de la crise de la zone euro et de mesures fiscales peu attractives dans les pays en difficultés. Il ne faudra donc pas compter sur les riches détenteurs de capital pour sortir du marasme européen.

Thierry Brun  • 1 juin 2012
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Du côté de Genève, on parle d’évaluer l’instauration de mesures préventives qui influenceraient directement l’afflux de capitaux en Suisse , explique avec assurance Thomas Jordan, président de la Banque nationale suisse (BNS).

Vous avez bien lu, trop de capitaux franchissent la frontière suisse et ce n’est pas forcément bon pour l’économie helvète. Ainsi, selon Le Temps, la BNS « réfléchit à des contrôles de capitaux » et avoue être pessimiste sur le sort de l’euro : « Nous devons nous préparer à un scénario d’écroulement de la zone euro, bien que je ne pense pas que cela va se produire » , a aussi déclaré Thomas Jordan au SonntagsZeitung, un journal suisse germanophone.

Le risque est jugé suffisamment important pour que la BNS veuille « des mesures pour réduire l’attrait de la Suisse » , titrait, le 27 mai, Le Matin, un sujet traité par la plupart des médias suisses.

En clair, le volume de l’évasion fiscale vers la Suisse, paradis fiscal réputé pour son secret bancaire, bat des records, et proviendrait des pays européens et émergents , confirment les banquiers privés suisses. En 2011, les banques suisses ont en effet bénéficié de la crise financière ainsi que de celle de la dette des États européens en difficulté, lesquelles ont renforcé ce besoin irrépressible d’évasion de capitaux dans des juridictions moins susceptibles d’effectuer de la « répression » fiscale.

Les récentes nouvelles ne sont pas rassurantes : les « investisseurs » fuient l’Espagne. Le volume de capitaux partant vers des horizons plus cléments atteint un niveau record au premier trimestre, atteignant 97 milliards d’euros, selon les chiffres publiés le 31 mai par la Banque d’Espagne . De quoi s’interroger sur les moyens dont disposent l’Etat espagnol pour faire face à la crise de la dette.

En Grèce les retraits massifs dans les banques grecques est continu depuis deux ans, mais ce phénomène s’amplifie. Les banques helléniques ont perdu 72 milliards d’euros de dépôts depuis le début 2010, a estimé l’agence Thomson Reuters. Une grande partie de cet argent a été transféré dans des endroits jugés plus sûrs comme en Suisse.

Les difficultés économiques des pays européens ne sont pas seules en cause. Par exemple en France, l’arrivée au pouvoir de François Hollande, avec ses engagements augmentant la « pression fiscale » des ménages aisés, en particulier la taxation à 75 % des revenus supérieurs à 1 million d’euros par an et la hausse de l’impôt sur les sociétés passant de 33 à 35 % pour ce qui concerne les grandes entreprises, a sans doute convaincu les investisseurs détenteurs de capital de rejoindre, entre autres, le paradis fiscal suisse.

Taxation des exilés fiscaux, super-impôts pour les hauts revenus, la présidentielle française a incité de plus en plus de Français à lorgner vers la Suisse. En 2011, il y avait 44 exilés français pour un patrimoine total de 36,5 milliards de francs suisses, soit un peu moins de 30 milliards d’euros. Il y a dix ans, on en comptait dix-sept. Et sur ces quarante-quatre, on compte treize milliardaires en francs suisses, a évalué le bimensuel suisse Bilan.

Autrement dit, cela se bouscule dans les banques suisses. La BNS était intervenue en septembre 2011 pour stopper la hausse du franc suisse, très appréciée de ces « investisseurs ». Mais l’afflux de capitaux a aussi entraîné un renchérissement des exportations du pays et pénalise désormais l’industrie du tourisme. D’où les propos inquiets du président de la BNS et de la Confédération, qui ont les yeux rivés sur le cours plancher de l’euro.

Reste que les médias suisses se font l’écho de ce projet de contrôle des capitaux, pour le moins ignoré de ce côté-ci des Alpes. La Suisse, tout en n’envisageant pas l’éclatement de la zone euro, prépare un plan pour le cas où cela se produirait, a confirmé le 27 mai le président de la BNS.

Thomas Jordan a estimé que la crise de la zone euro s’est aggravée au cours des dernières semaines et prédit des temps difficiles à venir, indique une dépêche de l’Agence France Presse. Un groupe de travail « se focalise sur des instruments destinés à combattre un renchérissement du franc » , a-t-il dit.

« L’une des mesures envisageables serait un contrôle des capitaux, c’est à dire un contrôle direct sur le flux des capitaux en Suisse » , a-t-il ajouté sans donner plus de détails. Thomas Jordan n’a rien d’un gauchiste… Mais c’est pourtant un éminent banquier de la très libérale suisse qui annonce le retour du contrôle des capitaux tant de fois agité par la gauche de la gauche.

Actualisé le 1er juin 2012
Temps de lecture : 4 minutes
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