De Cécile Duflot à Jean-Luc Mélenchon

L’une fait le récit désillusionné de son expérience gouvernementale, l’autre quitte la co-présidence de son parti. Deux manières de se repenser, avant 2017.

Michel Soudais  • 23 août 2014
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De Cécile Duflot à Jean-Luc Mélenchon

Cécile Duflot aux journées d'été d'EELV (JEAN-PIERRE MULLER / AFP)


Une actualité chasse l’autre. Jeudi, les projecteurs étaient braqués sur Cécile Duflot et le récit qu’elle livre de son expérience gouvernementale dans un essai dont le Nouvel observateur du jour publiait les bonnes feuilles. Vendredi, il n’était plus question que de l’ « annonce » de Jean-Luc Mélenchon. Détestable zapping qui, si l’on y cède, nous conduit à gloser sur des livres que l’on n’a pas lu en se contentant de quelques extraits ou de simples ouï-dire, et à commenter des décisions livrées en scoop sans les raisons qui les motivent.

Le récit d’un échec

Jeudi, quelques heures à peine après la parution des premiers papiers sur l’essai de l’ancienne ministre chargée du Logement et de l’Égalité des territoires, De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion (Fayard), plusieurs ministres réagissaient durement à cette publication présentée par la plupart de nos confrères comme une « charge contre François Hollande » [^2]. « Ce n’est pas très bien du point de vue éthique  », a jugé, professoral, Jean-Marie Le Guen, une référence en ce domaine.

Si Cécile Duflot a effectivement la dent dure avec le président de la République – « Faute d’avoir voulu être un président de gauche, il n’a jamais trouvé ni sa base sociale, ni ses soutiens. A force d’avoir voulu être le président de tous, il n’a su être le président de personne. »  –, les critiques qu’elle adresse à celui en qui elle raconte avoir cru dès le 1er mai… 2007 (!) ne résume pas tout l’ouvrage. L’ancienne patronne d’EELV s’y montre aussi sévère avec elle-même. Elle ne craint pas d’avouer sa naïveté et son impréparation, confesse des erreurs et exprime des regrets. Regret de ne pas avoir relayé Delphine Batho quand elle a déclaré en juillet 2013 que le budget du ministère de l’Écologie était mauvais. Regret de ne pas avoir dit « avec force » combien le renoncement à renégocier le TSCG était une erreur, « l’erreur absolue de ce quinquennat » [^3]. Regret encore de s’être tue lors de l’annonce du CICE, le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi[^4] : « Je suis loin d’être convaincue par la démarche, je vois les iniquités, mais je ne m’exprime pas contre. (…) Nous aurions dû mettre un coup d’arrêt dès ce moment-là. » **

Ce faisant, Cécile Duflot, dont le retour d’expérience est le récit d’un échec (la participation au gouvernement), donne raison sur des points cruciaux à Jean-Luc Mélenchon et au Front de gauche. Cela explique pour une bonne part la levée de bouclier de ses anciens collègues du gouvernement et de quelques figures d’EELV, sans doute inquiet que cette convergence de vue ne débouche à terme sur un rapprochement politique. Si l’ancienne patronne d’EELV ne se risque pas sur ce terrain, des lecteurs un peu attentifs trouveront dans son essai d’autres analyses communes, certes plus anecdotiques quoique…

Ce qu’elle dit par exemple des effets de la triangulation – « la triangulation des Bermudes » – pratiquée par Manuel Valls, avec l’aval tacite de François Hollande, rappelle la dénonciation que Jean-Luc Mélenchon faisait en 2007 de ce procédé de communication très prisé par Bill Clinton et Tony Blair auquel certains socialistes commençaient à recourir. « A force trianguler, ils ont fait disparaître la gauche » , écrit-elle [^5]. « Cette triangulation a toujours, à moyen terme, des effets dévastateurs pour la gauche. Elle en sort détruite dans la perception qu’en ont les électeurs qui ne la reconnaissent plus » , écrivait-il [^6].Étonnamment cette facette politique de l’essai de Cécile Duflot n’a guère été soulignée jusqu’ici. Nous aurons l’occasion d’y revenir, notamment dans l’édition de rentrée de Politis , jeudi prochain.

A la recherche d’un nouveau souffle

Vendredi, dès potron-minet, France inter annonce que « Jean-Luc Mélenchon va quitter la co-présidence du Parti de gauche » . Le Figaro ne tarde pas à relayer le scoop de la radio publique bientôt repris sur tous les médias, l’intéressé ayant confirmé entre-temps l’information à l’AFP. Celle-ci ne constitue pas tout à fait une surprise : «  J’ai fait mon temps à organiser la vie d’un parti » , avait déjà déclaré le député européen, fin juillet, dans un long entretien à Hexagones.

Martine Billard et Jean-Luc Mélenchon ont improvisé une conférence de presse en marge du Remue-méninges du PG

Mais ainsi personnalisée, l’annonce était un tantinet réductrice et, surtout, dépolitisée. Afin de « couper court aux rumeurs » et interprétations erronées, Jean-Luc Mélenchon a tenu dans l’après-midi une conférence de presse impromptue, à Grenoble, où son parti tient son remue-méninges. Sa décision, partagée par Martine Billard, co-présidente du PG qui quitte également son poste, s’inscrit dans une réorganisation destinée à répondre à la situation politique, a-t-il expliqué en substance. «  Nous n’acceptons pas que la gauche et toute espérance soient enterrées en même temps que François Hollande, le fossoyeur de la gauche et de nos projets pour l’avenir » , a-t-il déclaré.

Revenant sur les élections européennes, il s’est dit frappé par le fait que les Français aient « massivement décidé » de laisser Marine Le Pen gagner ce scrutin alors que « la presse annonçait sa victoire sur tous les tons » . « Si nous n’arrivons pas à mettre le peuple en mouvement, le pire est à craindre » , a-t-il averti, précisant chercher un « dispositif gagnant » permettant de sortir de « l’impasse » dans laquelle se trouve la gauche.

Si les détails de la réorganisation du PG étaient encore en discussion – le bureau national devait se réunir hier soir –, Jean-Luc Mélenchon a annoncé que dans la future répartition des tâches Martine Billard et lui même se porteraient sur deux « points chauds » . Pour elle, l’animation et l’organisation d’un réseau international de formations écosocialistes. Pour lui, la création d’un « mouvement pour la VIe République » qui « rasssemblera tous ceux qui veulent cette république de progrès et de prise du pouvoir par les citoyens » et sera un mouvement « sans président » , a-t-il précisé. Avant de lancer : « Nous voulons un candidat en 2017 et ce candidat nous l’appelons par son nom, c’est la VIe République. »

Jean-Luc Mélenchon quitte son poste, mais n’abandonne pas le combat politique. Il a d’ailleurs promis de « secouer le cocotier » dimanche, lors de son discours de clôture. Avec une nouvelle ligne : « L’objectif n’est pas de rassembler la gauche, mais de fédérer le peuple. »

[^2]: L’ouvrage, annoncé en librairies le 25 août, n’était en vente qu’aux journées d’été d’EELV à Bordeaux et dans quelques points de vente. C’est dans l’un d’entre eux que j’ai pu l’acquérir, par hasard.

[^3]: Page 87.

[^4]: Page 99.

[^5]: Page 189.

[^6]: En quête de gauche (Balland, 2007), p. 131.

Temps de lecture : 6 minutes
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