Bio : Sylvestris, la riche holding familiale qui dirige Ecocert

Où sont passés les bénéfices et qui détient le capital d’Ecocert, principal certificateur de l’agriculture biologique et numéro un mondial de la certification de produits biologiques ? La réponse est dans la discrète holding familiale du doux nom de Sylvestris, inconnue des salariés en grève d’Ecocert, qui ces dernières années a engrangé des sommes rondelettes.

Thierry Brun  • 14 avril 2015
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Des bas salaires pour les salariés, mais de gros revenus pour la famille Vidal qui dirige le groupe Ecocert, numéro un mondial de la certification de produits biologiques et numéro un de la certification de l’agriculture biologique en France. Depuis qu’un mouvement de grève a débuté le 7 avril, à l’appel de la CGT et la CFDT, au sein d’Ecocert France, la principale filiale du groupe, les salariés sont très remontés contre une direction très pingre sur la question des salaires, mais qui ne s’oublie pas au travers d’un montage financier opaque.

Les salaires « sont particulièrement bas (la très grosse majorité en dessous de 1 500 euros net mensuel, certains salaires oscillant entre 1 200 et 1 300 euros !!!), malgré un niveau de qualification des salariés très élevé (essentiellement entre bac+2 et bac+5, avec de nombreuses années d’expérience) » , expliquent la CGT et la CFDT, qui ajoutent : « Lorsqu’on prétend être “au service de l’homme et de l’environnement”, on se doit d’être exemplaire tant sur les questions écologiques que sociales » .

La direction n’aurait concédé qu’une augmentation de 36 euros net, « pour sortir du mouvement… Ce n’est pas acceptable pour les salariés. Nous souhaitons de véritables négociations » , ajoutent les deux syndicats, qui pointent un William Vidal, PDG de groupe Ecocert, aux abonnés absents. De son côté, la CGT relève les exonérations sociales et fiscales du groupe qui affiche une bonne santé financière et a augmenté ses cadres dirigeants « d’environ 3 % alors que nous sommes en grève » , révèle Thomas Vacheron, délégué syndical CGT.

Certes, les comptes annuels d’Ecocert SA montrent que l’entreprise a bénéficié en 2013 d’une exonération de 36 845 euros, au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et que ses actionnaires ont empoché un dividende de 479 600 euros. Mais, alors qu’ils entament leur deuxième semaine de grève, les salariés s’interrogent aussi sur les véritables détenteurs du capital du groupe.

Les dessous du montage financier

Officiellement, le certificateur Ecocert est structuré en cinq entreprises : Ecocert SA, la société mère, Ecocert France SAS, Ecocert Greenlife SAS, Ecocert Environnement SAS et Ecocert Expert Consulting, une SAS récemment créée avec un associé unique. La famille Vidal est au commande de la société mère. William Vidal en est le PDG et Jérémie Vidal l’un des administrateurs. Les Vidal cumulent certes les postes de direction, et les émoluments, d’un groupe qui emploie 840 salariés (chiffre de 2012), dispose de 23 bureaux et filiales et propose ses services dans plus de 80 pays, indique le site Internet d’Ecocert. Selon les comptes annuels de l’année 2013, Ecocert SA est en réalité à la tête d’une trentaine de filiales dans le monde, une opération qui peut s’avérer très lucrative : la seule filiale Ecocert France, principal certificateur de l’agriculture biologique en France, a réalisée 14,4 millions d’euros de chiffre d’affaires et près d’un million d’euros de bénéfices en 2013, ce qui a fait dire à William Vidal : « On peut faire des affaires, réussir et être écoresponsable » .

Le capitalisme vert familial est donc promis à un bel avenir et offre une belle opportunité qui ne s’arrête pas à la seule direction de la maison mère et aux rémunérations afférentes. Une société du nom de Sylvestris a été créée en 2006 par William Vidal, son fils, Jérémie Vidal, et sa fille, Jennifer Vidal, avec un apport initial de 20 000 euros. L’objet social de la petite entreprise est de prendre des participations financières ou d’intérêts « dans tous groupements, sociétés et entreprises industrielles, commerciales, financières et immobilières, françaises ou étrangères », indique ses statuts.

Une holding qui rapporte

Mis à jour en juillet 2014, les statuts de la SAS Sylvestris montrent que la société est en fait une holding dont les seuls associés sont William Vidal, Jennifer Vidal et Jérémie Vidal… Ce dernier, récemment nommé directeur technique du groupe Ecocert, est devenu en décembre 2014 le directeur général de Sylvestris, une société dont le capital a bondi de 5,7 millions d’euros en 2013 à près de 11 millions en 2014.

Sans salarié, la holding est domiciliée à L’Isle Jourdain, dans le Gers, à la même adresse qu’Ecocert. Sylvestris engrange des bénéfices issus de ses seuls produits financiers : 245 489 euros en 2013, 214 000 euros en 2012, et détient désormais la société mère Ecocert SA, à hauteur de 98,32 % .

Au 31 décembre 2013, les comptes annuels font apparaître une « valeur comptable de l’ensemble des titres détenus » par Sylvestris estimée à 21,5 millions d’euros. Et lors de l’assemblée générale du 30 juin 2014, son président, William Vidal, a relevé que « les comptes présentés font ressortir un montant total à disposition de l’assemblée de 8 795 476,10 euros » , un pactole durement acquis par la famille, dont les salariés d’Ecocert ne profiteront pas. Au nom de la compétitivité insuffisante du groupe ?

Les salariés d’Ecocert sont en réalité face à un capitalisme familial qui a mis la main sur une structure qui aurait pu relever de l’économie sociale et solidaire pour la certification de l’agriculture biologique en France. Ce qu’elle était à son origine.

{{{Droit de réponse de William Vidal, PDG de groupe Ecocert :}}} Dans son article « Bio : Sylvestris, la riche holding familiale qui dirige Ecocert », publié le 14 avril 2015 dans sa rubrique « Classe contre classe », Politis porte de graves accusations et relaie de fausses informations qui portent atteinte à la réputation d'Ecocert. Nous comprenons que ce média engagé dans la lutte contre l’économie de marché s’emploie à dénoncer les chefs d’entreprise peu respectueux de leurs collaborateurs et obnubilés par la quête de profits mais Politis se trompe de cible en rangeant William Vidal, cofondateur (en 1990) et président du groupe Ecocert, parmi ces derniers. Les valeurs qu’il porte et les pratiques qu’il met en oeuvre dans l’entreprise sont aux antipodes de la caricature à laquelle se livre Politis. La réalité des faits, tous vérifiables, que nous livrons ici donne à voir, bien au contraire, une entreprise qui s’applique à elle-même son slogan « au service de l’homme et de l’environnement » comme en attestent sa politique dédiée aux ressources humaines et tous ses actes de gestion. Ainsi, quand Politis parle de « bas salaires », elle énonce une contrevérité. Les collaborateurs d’Ecocert France perçoivent, en moyenne, une rémunération annuelle (salaires + primes) de plus de 24 000 Euros nets, dans des conditions tant d’organisation que de confort remarquables, et cette rémunération a, de surcroît, augmenté de 12 % au cours de ces quatre dernières années. Une évolution dont peu d’entreprises peuvent se prévaloir dans un contexte d’inflation faible puis nulle. Les allusions à la précarité qui toucherait les salariés sont également infondées. Ecocert crée de nombreux emplois et 95% de ses collaborateurs bénéficient d’un CDI, les CDD (5%) assurant pour leur part le remplacement de personnes en congés maladie, de maternité ou parental. Le turnover des trois dernières années de 5 %, un chiffre très faible, et le taux d’absentéisme de 2,15% sur la même période, démontrent que les salariés se sentent relativement bien dans l’entreprise ! Politis s’en prend également à la structure juridique d’Ecocert et stigmatise « l’opacité des montages financiers » qui la caractériserait ! Qu’on se rassure, les actionnaires d’Ecocert ne détiennent ni de comptes en Suisse ni de société fantômes dans les îles Caïman… Si la holding familiale Sylvestris a bien été créée –une pratique très courante en France –, ce n’est pas pour faire office de « pompe à profits » comme pourraient le laisser à penser les allusions qui jalonnent l’article, mais pour sécuriser la société au cas où William Vidal, 62 ans, venait à disparaître. La sécurisation du capital au sein de la holding familiale, seul réel objectif de cette construction juridique banale, a mis en effet le groupe Ecocert à l’abri d’une cession contrainte en renforçant son actionnariat familial. Elle permet ainsi de pérenniser une entreprise soucieuse de préserver son indépendance et ses orientations stratégiques sociétales. La constitution de cette holding familiale n'est pas opaque et est encore moins le résultat d'un montage financier, mais d'une simple opération juridique qui permet au groupe de lutter contre d'éventuels appétits hostiles. Cette opération est par ailleurs parfaitement transparente, la société Sylvestris étant régulièrement enregistrée en France, et ses comptes étant annuellement certifiés par des commissaires aux comptes reconnus et publiés, ce qui a permis d’ailleurs aux journalistes et délégués syndicaux d’accéder à tous les chiffres! Contrairement à ce que Politis laisse entendre, William Vidal et les autres actionnaires familiaux n’ont jamais recherché à retirer un profit maximal pour les actionnaires au détriment du groupe, mais à privilégier systématiquement le développement du groupe en multipliant ces dernières années les investissements et les opérations de croissance tout en ayant le souci de préserver l’indépendance du groupe. Toute autre allégation serait erronée et trompeuse. Pour preuve, les chiffres avancés par Politis s’agissant des capitaux et des dividendes sont d’une part présentés de manière tronquée et sont d’autre part très supérieurs à ceux qui ont été effectivement perçus et pour l’essentiel consacrés au renforcement du capital de l’entreprise et au développement du groupe. Ils résultent enfin en majorité de valorisations effectuées par des comptables indépendants uniquement pour des raisons d’ordre comptable. N’en déplaise à Politis, les dirigeants d’Ecocert mettent leur passion d’entreprendre au service de l’Homme, dans le respect des valeurs qui ont inspiré la création de l’entreprise et ont permis son développement et sa reconnaissance par tous les acteurs de l’agriculture biologique. Ecocert le démontre tous les jours en France et dans les quatre-vingt pays dans le monde où ses collaborateurs s’attachent à certifier la production d’une alimentation saine pour l’humanité. {{{Réponse au droit de réponse :}}} Les salariés qui ont mené un mouvement de grève historique dans Ecocert apprécieront à sa juste mesure le propos de William Vidal qui tente de convaincre de sa politique de gestion "au service de l'homme et de l'environnement". Il devrait (re)lire les communiqués de presse des organisations syndicales publiés tout au long du conflit au lieu de parler de caricature. Contrairement à ce que dit William Vidal, notre propos n'a pas été de nous "en prendre" à la structure juridique qui pilote Ecocert mais d'en révéler le fonctionnement, méconnu des salariés, à partir des documents de la direction. Nous n'avons jamais parlé de "pompe à profits" mais nous avons examiné une structure capitalistique qui dégage des profits et nous l'avons étudié avec l'aide d'un expert. Nous constatons que William Vidal confirme l'existence de cette holding qui est bien familiale et que cette holding engrange les bénéfices des entreprises du groupe Ecocert quoi qu'en dise William Vidal. D'ailleurs, William Vidal prend soin de ne pas contester dans le détail les chiffres que nous avons communiqué, et que nous avons puisé dans les bilans comptables. Qu'il critique lui-même les comptes de ses entreprises nous fait dire que son droit de réponse est quelque peu sujet à caution.
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