Le Japon veut forcer les habitants de Fukushima à rentrer chez eux !

Le gouvernement allègue qu’une grande partie de la zone proche de la centrale ravagée est saine, et va couper en mars prochain les aides au relogement des habitants évacués à l’extérieur. Une dizaine de militants japonais étaient présents à Montréal pour alerter les réseaux altermondialistes.

Patrick Piro  • 15 août 2016
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Le Japon veut forcer les habitants de Fukushima à rentrer chez eux !
photos Christopher Chriv. Dans l'ordre d'apparition : Toshiko Okada montre des images de milliers de sacs de terre contaminée retirée des sols proches de Fukushima ; Noriko Matsumoto ; l'avocat Toshio Yanagihara (gauche) en conversation avec un militant.

Ils ont déambulé pendant cinq jours dans Montréal, à la recherche des débats sur le nucléaire afin de rallier des militants d’autres pays à leur lutte.

Noriko Matsumoto vivait à Koriyama, à 60 kilomètres de la centrale de Fukushima. Quand les réacteurs 1 et 3 ont explosé, à la suite du tsunami du 11 mars 2011, elle n’a pas cru les messages lénifiants des autorités qui affirmaient inutile de porter un masque respiratoire. Elle s’est d’abord inquiétée pour la santé de sa fille de 12 ans. Le 24 mars, elle se décide à l’envoyer chez sa sœur à Tokyo. Cependant, tranquillisée par les propos de pontes médicaux, Noriko Matsumoto la rapatrie en juin pour préparer son entrée au collège. Sa fille commence alors à saigner du nez et à vomir.

© Politis

Branle-bas de combat. En novembre 2011, Noriko Matsumoto et sa famille rejoignent la cohorte des 100 000 évacués de Fukushima : ils ont obtenu un relogement subventionné par le gouvernement dans la ville de Kawasaki, au sud de Tokyo. Mais la famille est rapidement séparée, la fille chez sa tante pour suivre sa scolarité, et le mari resté à Koriyama en raison de son travail. « Ça dure depuis cinq ans… », explique-t-elle. Et c’est le lot de nombreux évacués.

Compliqué : les femmes se refusent généralement à revenir dans la zone, préoccupées par les impacts sanitaires, alors que les hommes sont souvent tenus par leur emploi

souligne Toshiko Okada, militante du « Réseau citoyen pour l’évacuation loin des radiations ». Les divorces sont nombreux… »

Une autre épée de Damoclès est suspendue au-dessus de la tête des naufragés de Fukushima : en mars 2017, le gouvernement coupera les aides au relogement pour les habitants des zones où la dose de radiations ne dépasse pas 20 millisieverts (mSv) par an, limite finalement retenue par les autorités qui ont décrété qu’en deçà, il n’y avait pas de risque à revenir.

C’est à peu près cette valeur que Noriko Matsumoto a mesuré au dosimètre dans certains endroits de sa maison. « Dans un premier temps, le seuil officiel avait été fixé à 1 mSv par an, intervient Toshio Yanagihara, avocat à Tokyo et engagé auprès des sinistrés. Il a été divisé par vingt parce que ça arrange bien les autorités. »

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Non seulement pour réduire la facture du relogement — 70 % des évacués vont perdre leur aide (1) —, mais aussi pour accréditer l’idée que tout rentre dans la normale, suite aux opérations de lessivage des bâtiments et de curetage des terres. « Et puis il y a l’horizon 2020, les Jeux olympiques auront lieu à Tokyo, rappelle Toshiko Okada. Le gouvernement veut convaincre partout que le pays est sûr. »

Mensonge, considère Noriko Matsumoto, qui ne veut pas entendre parler de retour. « Je me bats pour le droit à une évacuation durable dans un lieu sain, et à une vie de famille normale ! ». Elle vient de lancer un réseau pour relier les réfugiés de Fukushima, ventilés dans tous le pays, et les inciter à soutenir ces demandes. « Car beaucoup se terrent, divisés et peu portés sur la revendication, souvent enclins à accepter les thèses du gouvernement qui investit pour la relance économique de la région de Fukushima », explique Toshiko Okada.

Son réseau citoyen n’a donc pas la part belle. En dépit de campagnes d’interpellation et de la vingtaine de procès en cours contre le gouvernement et Tepco, l’opérateur de la centrale détruites, l’opinion publique japonaise est peu réactive. « C’est la raison pour laquelle nous cherchons à renforcer notre audience en mobilisant des mouvements étrangers », explique Toshio Yanagihara. L’avocat fait actuellement tourner une pétition réclamant principalement que la limite de 1 mSv soit retenue comme seuil absolu d’irradiation tolérable. « Il a bien été reconnu dans le cas Tchernobyl, alors… » Au sein du FSM de Montréal circulait le projet de lancer une campagne internationale sur le sujet. « Mars 2017, c’est demain ! », appuie Annie Pourre, l’une des animatrices du réseau No Vox qui s’y dispose.

(1) Les 30 % restant, dans les zones les plus contaminés, seront à la même enseigne en 2019, date à laquelle le gouvernement affirme que la décontamination des zones habitées sera terminée.

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