La solidarité à grande foulée

Vendredi 19 mai plus de 300 000 élèves ont couru dans toute la France pour financer l’organisation Action contre la faim. Cette course contre la faim qui a lieu dans mon collège depuis huit ans nous permet d’enseigner de manière différente et de réaliser aussi que la solidarité est un principe qui a du sens dans notre quartier.

Jean-Riad Kechaou  • 31 mai 2017
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La solidarité à grande foulée

C’était une belle matinée. La pluie annoncée n’est pas venue et le soleil a même fait quelques apparitions. En arrivant ce vendredi 19 mai sur cet espace de loisirs à quelques centaines mètre de mon établissement, je fus frappé d’emblée par le nombre d’élèves déjà présents, une heure avant le départ de la course contre la faim. Un bon signe. Avec mes collègues d’EPS et d’histoire-géographie nous devions banaliser le tour d’environ 1 km avec l’aide précieuse du comité de liaison et d’action des Coudreaux, association du quartier toujours présente pour fournir le matériel nécessaire et participer à ce type d’événements.

Sans rechigner, une dizaine d’élèves nous ont prêté main forte. Rubalises, panneaux, affiches, ces adolescents de 12-13 ans ont contribué à construire ce circuit qu’ils étaient donc censés parcourir une dizaine de fois. L’objectif ? Récolter des fonds pour l’association Action Contre la Faim instigatrice de cette course. Chaque élève reçoit un passeport et cherche des parrains leur promettant un montant par kilomètre parcouru, les élèves pouvant parcourir jusqu’à 10 kilomètres.

Un enseignement pratique interdisciplinaire

Cette année, en relation avec nos collègues d’EPS, nous avons réalisé un enseignement pratique interdisciplinaire, les fameux EPI de la réforme du collège. À destination d’élèves de cinquième et mêlant EPS, géographie et éducation morale et civique l’objectif était de se servir de cette course pour développer leur endurance, découvrir la problématique de l’insécurité alimentaire et enfin participer à un projet solidaire. Rien de nouveau pour notre établissement, le projet existait déjà sous la forme d’un IDD les années précédentes. Un recyclage donc d’un projet qui a toujours bien fonctionné. Malgré tout, en récupérant cette action avec ma collègue d’EPS en début d’année, j’appréhendais un peu car l’organisation doit être bien huilée.

Une bénévole d’action contre la faim est venue en janvier leur présenter son organisation et l’enjeu de cette course. De notre côté, depuis le retour des vacances de printemps, nos cours dans les trois matières de l’EPI sont focalisés dessus. Course de fond en EPS avec des distances allant jusqu’à 3 kilomètres. En géographie, l’Éthiopie étant le pays à l’affiche pour cette course, une étude de cas approfondie nous a permis à tous de réaliser que l’insécurité alimentaire peut avoir d’autres facteurs qu’un climat capricieux, c’est partiellement le cas pour ce pays de la corne de l’Afrique qui subit les ravages d’ El Nino. En effet, l’accueil de plus de 800 000 réfugiés depuis 2015 a fragilisé un pays dirigé par un gouvernement peu éclairé. Celui-ci a en effet vendu des terres fertiles à des multinationales occidentales exploitant la canne à sucre et les palmiers à huile, indispensables pour les industries agro-alimentaires notamment. En éducation morale et civique, un zoom a été fait sur Action contre la faim, cette organisation internationale fondée en 1979 en France. Au cours des 20 dernières années, la Course contre la faim a mobilisé plus de 2,8 millions d’élèves et a permis à l’organisation de collecter près de 34 millions d’euros.

À travers le témoignage d’un bénévole les élèves de cinquième ont réalisé ce que signifiait la solidarité et pourquoi elle était indispensable.

Des élèves sensibilisés par la faim dans le monde

© Politis
Cinq élèves de cinquième Crédit : Hendrik Delaire

Habitant pour la plupart dans ce quartier populaire, les élèves accordent de l’intérêt pour cette problématique de la faim dans le monde. Certains d’entre eux sont originaires de pays connaissant l’insécurité alimentaire ou le stress hydrique et cela est donc d’autant plus concret pour eux. Après la course, ils ont tous répondu par écrit à la question suivante « Pourquoi s’engager au quotidien ? » Certains sont passés à l’oral devant tout la classe pour y répondre. L’un d’eux, originaire d’Afrique subsaharienne, a expliqué, les larmes aux yeux, qu’il avait eu du mal à finir ses dix tours mais qu’il s’était fait violence car cette cause le touchait particulièrement. Il avait pu constater de visu ce fléau de la faim lors d’un voyage. Ce fut un grand moment d’émotions dans la classe.

Cette recherche de sponsors génère aussi dans le collège un lien pour le moins original car l’ensemble de la communauté éducative est sollicitée pour parrainer les athlètes solidaires. Je les chambre volontiers aussi quand ils viennent me demander quelques euros :

  • Tiens voilà un euro par kilomètre parcouru, je ne me fais pas de soucis avec toi, tu ne feras jamais les dix tours !

  • C’est ce qu’on verra monsieur !

Commerçants, familles, proches complètent le tableau des donateurs. Une vidéo a été postée sur YouTube pour dynamiser les futurs coureurs à la recherche de parrains leur offrant donc un montant en fonction du nombre de kilomètres parcourus. Elle a bien marché.

Un journaliste du Parisien est également venu interroger des élèves et cette valorisation de leurs actions est aussi primordiale. Histoire de pimenter le tout, les six classes de cinquième sont mises aussi en compétition pour avoir un maximum de dons. En récupérant les passeports de ma classe, je pensais ainsi tenir la pôle position avec 1000 euros de promesses de dons, sous réserve que tous les élèves fassent leurs dix tours.

Certaines personnes émettent des doutes quand elles apprennent que des adolescents de douze ans parcourent dix kilomètres. Je ne me suis jamais posé la question tant cela me paraissait évident. La motivation qu’ils développent lors de cette course est un cadeau inestimable.

4 500 euros de promesses de dons

Vendredi 19 mai, plus de 130 élèves se sont donc présentés sur la ligne de départ. Ce sont des vétérans du club d’athlétisme de l’union sportive olympique de Chelles qui ont lancé la course. Ces seniors ont donné le rythme à nos jeunes athlètes survoltés qui ont tendance à partir trop vite et à ralentir beaucoup trop ensuite. Ils ont ensuite accompagné les élèves durant toute la course, notamment ceux qui étaient en difficulté. Un homme de 79 ans a ainsi fini son circuit en accompagnant une jeune fille en peine. Une belle image de solidarité et de lien intergénérationnel.

Exceptés deux élèves, les adolescents ont tous parcouru leurs dix kilomètres. Ceux qui avaient une dispense ont marché. Un élève blessé en pleurs suite à une petite contracture a repris la course après un passage aux soins. L’infirmière étant également là pour ravitailler et soigner les petits bobos. Les plus rapides ont accompagné le plus lents pour qu’ils finissent leur course sous les applaudissements.

C’est d’ailleurs l’une des plus belles scènes de cette journée, un élève en surpoids s’arrachant avec deux camarades à ses côtés pour achever en un peu plus d’une heure trente son parcours. La plus rapide cette année est une fille et c’est tout un symbole, elle a littéralement avalé sa course en quarante minutes s’étonnant même d’avoir déjà finie.

Le chef d’établissement également a fait partie de la fête avec la vingtaine d’enseignants réquisitionnés pour encadrer la course. Avec les professeurs, ils n’ont cessé d’encourager les jeunes athlètes. Pour ma part, après avoir accompagnés difficilement les élèves pendant deux petits kilomètres avec un collègue d’EPS, j’ai tendu le micro aux athlètes finissant leur course pour connaître le montant des dons récoltés et leur impression sur cette participation à un projet solidaire. Il en ressort beaucoup de joie et de fierté.

Finalement ma classe n’est pas celle qui a récolté le plus de dons mais elle ne semblait pas déçue. L’important étant de donner le maximum d’argent à l’association. Au total, c’est plus de 4 500 euros qui ont été promis. Un véritable succès. La dernière étape du projet étant de récupérer cet argent ce qui n’est pas toujours chose aisée.

C’était donc une belle journée, simple, pleine de sourires et il est important de le rappeler. Nos écoles fonctionnent, les professeurs ne comptent pas leurs temps sur ce type d’actions, les élèves ont soif d’apprendre et sont prêts à participer à de multiples projets. L’après-midi, les élèves de troisième étaient ainsi réunis par leurs professeurs de français au théâtre de la ville dans le cadre d’un concours littéraire nommé Romans en batailles.

À l’heure où certains réactionnaires estiment que tout est à changer dans l’enseignement, ce modeste exemple est donc là pour leur répondre que non. Il rappelle aussi que la solidarité n’est pas un principe en berne dans nos banlieues qui sont mêmes souvent exemplaires en la matière.

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