Atakalamou el Arabiya

Une polémique a éclaté en septembre suite aux déclarations du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer souhaitant développer à l’école l’apprentissage de l’arabe. « L’arabe à l’école ! » Les détracteurs redoutant une obligation scolaire et un risque d’islamisation de nos écoles ont tiré à tout va sur une proposition qui serait pourtant bienvenue lorsque l’on se penche sérieusement sur le sujet.

Jean-Riad Kechaou  • 13 novembre 2018
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Atakalamou el Arabiya
photo : Une formation d'arabe, en 2005 à Carquefou (Loire-Atlantique). Crédit : FRANK PERRY / AFP

Atakalamou el Arabiya !

La classe me regarde, stupéfaite, comme si je venais d’enfreindre une règle. Nous commencions un cours sur la civilisation arabo-musulmane avec un texte des Mille et Une Nuits. Le premier chapitre d’histoire de l’année en cinquième s’intitule « Chretientés et islam, des mondes en contact (VI-XIIIe siècle) » et j’ai choisi de cibler mon étude sur Bagdad pour la partie sur la civilisation musulmane. Le titre de l’ouvrage, Les Mille et Une Nuits, dont était extrait le texte étudié, était écrit en arabe volontairement. Je l’avais fait lire à un élève maîtrisant la lecture de l’arabe. Il était tout fier. J’avais ensuite demandé la signification à la classe. Les élèves « arabophones » étaient hésitant à prendre la parole et j’ai alors traduit ces deux mots en déclarant donc taquin « Atakalamou el Arabiya ».

Les regards fusent et cela m’amuse. Parler l’arabe en classe, on ne devrait pas, pensent certains. La question est : pourquoi on ne pourrait pas ? Je n’hésite jamais à prononcer quelques mots en anglais lorsqu’on étudie une ville américaine en géographie, en allemand ou en russe quand on étudie les régimes totalitaires d’Hitler ou de Staline. Et cela ne provoque pas de l’étonnement mais de la curiosité.

La langue arabe est déconsidérée dans notre pays

La langue arabe est implicitement liée pour beaucoup aux vulgarités que s’assènent des élèves d’origine maghrébine (parfois non arabophones d’ailleurs) et que je reprends sévèrement lorsqu’ils le font en classe.

Elle renvoie aussi, c’est indéniable, aux vociférations des terroristes qui crient Allahu Akbar en tuant des gens.

C’est celle aussi des « sournoiseries » des prédicateurs, du fameux double discours dont on a accusé pendant des années Tariq Ramadan par exemple. Bref, la langue arabe est déconsidérée dans notre pays.

Je n’aurais d’ailleurs jamais osé prononcer ces mots à mes débuts, bloqué par ces stéréotypes sur cette langue. Avec l’expérience, j’ai compris que c’était un atout, pas une honte.

– « Et monsieur c’est pas de l’arabe ce que vous venez de dire, j’ai jamais entendu ça ! »

Un élève me lance cette attaque à voix haute et bien distincte. Cela commence à être intéressant. La classe est captivée par l’échange qui débute.

– « Ah bon ? Et comment dit on “je parle arabe » en arabe alors ? »

– « Nadhar Arbi. »

Quelques têtes acquiescement en signe d’approbation. Le prof a eu son compte pensent-ils. Nombreux sont ceux qui ont des parents originaires de l’ouest algérien ou du nord-est marocain et c’est effectivement comme ça qu’on le dit dans le darridja (dialecte maghrébin ménageant arabe, berbère, français, italien etc….) de cette région.

– « Vous êtes d’origine tunisienne, votre arabe est bizarre chez vous ! »

Rire de la classe.

– « Non ce n’est pas du Tunisien mais bien de l’arabe. De l’arabe littéraire, celui du Coran, des journaux écrits et de la littérature. »

– « Ah oui mais nous ça on connaît pas monsieur ou vite fait quand on apprend des sourates. »

– « Oui mais la langue arabe, celle de l’écrit c’est bien celle ci. Nous allons donc voir que les récits des Mille et Une Nuits en arabe ont influencé toutes les cultures avec lesquelles la civilisation musulmane a été en contact. »

Après ce prélude, l’étude du texte commence. Il porte sur le calife Haroun Rachid qui fait une visite nocturne de Bagdad déguisé en commerçant pour observer la population. C’est ce calife qui était en contact avec Charlemagne. Les élèves ont aimé ce cours notamment ce fameux épisode de l’ambassade envoyée par l’empereur carolingien à Bagdad, ambassade qui est ensuite rentrée à Aix-la-Chapelle avec un éléphant albinos symbole des bonnes relations qu’entretenaient les deux empereurs.

Nos ancêtres les arabes

Pourquoi les élèves ont-ils autant apprécié ce cours ?

Peut être car il casse certainement les préjugés qu’ils colportent eux même sur la culture arabe qu’ils revendiquent pourtant sans la connaître. Alors oui, durant ce cours, on a bien sûr vu quelques mots de la langue française issus de l’arabe. On en dénombre plus de 500 soit plus que de mots originaires du celte. C’est ce qu’explique Jean Pruvost, lexicologue et auteur de « Nos ancêtres les Arabes, ce que notre langue leur doit » aux éditions JC Lattès.

Ça fait mal aux défenseurs du roman national, ceux qui sont restés bloqués aux fameux nos ancêtres les gaulois.

© Politis

C’est le cas notamment des journalistes de Valeurs actuelles qui ont sorti un numéro complètement farfelu sur les vrais ancêtres des français.

Le hors-série « Celtes, Gaulois, Francs, nos ancêtres les Français » veut ainsi mettre à l’honneur _« l’incroyable saga de nos glorieux aïeux chassés des livres d’histoire ». Un hors-série tout sauf scientifique, comme l’explique Sebastien Fray, historien du Moyen Âge central et maître de conférences à l’université de Saint-Étienne

Que ces journalistes se rassurent, on évoque Vercingétorix, Clovis ou Charlemagne dans nos classes. Mes élèves étaient fiers d’apprendre par exemple que Clovis avait une villa à Chelles, leur ville, que son petit-fils Chilperic y a été assassiné et que Charlemagne était passé en 798 rendre visite à sa sœur Gisèle, abbesse d’une abbaye royale de grande renommée.

Alors à quelle période doit-on arrêter le curseur pour estimer qu’un peuple fait partie de nos ancêtres ? Qu’ils en soient sûrs, des Celtes envahis par des Grecs, des Romains, des Germains, des Berbères, des Scandinaves et des Hongrois, cela ne fait pas une souche uniforme, si c’est cela que ces journalistes désiraient en faisant ce numéro spécial.

Ce débat sur l’utilité sur l’enseignement de l’arabe nage en tout cas dans les profondeurs de la médiocrité. Quand Lorànt Deutsch pense qu’il n’est pas utile d’enseigner l’arabe car justement des mots arabes font partie de notre patrimoine linguistique, quelle mouche l’a piqué ? Si on l’appliquait, on arrêterait illico (mot latin cher M. Deutsch) l’enseignement du latin et du grec !

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Avec cette différence près que l’arabe n’est pas une langue morte mais parlée par 290 millions de personnes d’après l’Unesco. Elle peut servir économiquement comme lorsque l’on choisit l’allemand. C’est comme cela que l’on nous « vendait » la langue de Goethe à mon époque et je ne crois pas que cela ait changé. Nos élèves bilingues feraient le bonheur d’entreprises nationales voulant s’ouvrir sur des marchés arabophones.

C’est ce qu’a expliqué fort justement Jean-Michel Blanquer, dénonçant un emballement médiatique : « L’arabe est une langue très importante, comme d’autres grandes langues de civilisation, je pense au chinois ou au russe, oui, bien sûr, il faut développer ces langues. Il faut donner du prestige à ces langues et c’est particulièrement vrai de l’arabe qui est une très grande langue littéraire, et qui doit être apprise pas seulement par les personnes d’origine maghrébine ou de pays arabes. C’est toute cette stratégie qualitative vis-à-vis de la langue arabe que nous allons mener.»

La langue arabe à l’école, un risque d’islamisation !

L’autre déclaration risible nous vient de Nicolas Dupont Aignan qui assimile l’enseignement de l’arabe à un début d’islamisation de nos écoles. Cette théorie est malheureusement partagée par beaucoup de Français. Tout ce qui peut être en relation avec l’islam est à bannir selon eux. Je me souviens encore de cet appel téléphonique qu’avait reçu mon ancien chef d’établissement. Un père de famille était scandalisé par le fait que l’on puisse enseigner à son enfant la civilisation musulmane. Mon patronyme avait certainement contribué à ce signalement.

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L’apprentissage de l’arabe dans nos écoles permettrait pourtant de combattre la radicalisation de certains jeunes. Avoir accès aux sources d’une religion sans passer par un intermédiaire qui pourrait jouer aux cadors car il baragouine quelques phrases, ça aide à ne pas se faire embrigader. Comprendre le sermon de l’imam à la mosquée le vendredi pour les pratiquants, c’est aussi utile, même s’ils sont de plus en plus souvent en français.

Que ce pseudo expert de l’éducation le sache bien, l’apprentissage laïque de l’arabe n’est pas la tasse de thé des fondamentalistes religieux notamment lorsqu’on choisit de l’enseigner avec la littérature arabe, celle des Mille et Une Nuits en fait partie.

La France a lâché l’enseignement de l’arabe dans les années 90 à une époque où il aurait fallu au contraire le renforcer. Il y avait deux professeurs à temps plein dans mon collège dans les années 80. Plus rien aujourd’hui. Où nos élèves d’origine maghrébine essentiellement vont-ils apprendre l’arabe alors aujourd’hui ? Dans des mosquées ou des instituts religieux. Et qui va critiquer cela ? Les mêmes qui refusent que l’arabe fasse son retour dans nos écoles publiques et laïques. Il faudrait donc interdire l’apprentissage de cette langue si l’on suit leur raisonnement.

J’ai personnellement appris l’arabe sur le tard. À l’université de Lyon, le soir, et dans l’institut de langues vivantes de Tunis. J’aurais aimé l’apprendre plus tôt et le maîtriser correctement, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Pouvoir lire un journal, les panneaux lorsque je me rends en Tunisie voir ma famille, comprendre le journal télévisé ou échanger avec des Levantins, c’est une richesse. Et si on pouvait introduire aussi de l’indien, du chinois ou d’autres langues d’où sont originaires nos élèves, cela serait aussi très bien.

L’identité nationale et l’assimilation en toile de fond

Malheureusement, la peur du communautarisme, ce mot utilisé uniquement pour les non-Européens dans notre pays, est un frein à toute initiative. C’est regrettable. On peut être fier d’être français, s’inscrire dans la communauté nationale sans renier la culture de ses parents. Cette volonté d’assimiler les populations extra-européennes issues pour la plupart des ex-colonies françaises est une chimère. Car le débat porte réellement sur ce sujet. Ne soyons pas dupes. Parler la langue de leurs ancêtres serait un échec dans l’intégration des petits Français issus de l’immigration coloniale.

Quand on retourne l’exemple, pas sûr que les deux millions de français vivant à l’étranger fassent en sorte de s’assimiler à en juger le nombre d’écoles françaises, d’instituts culturels et des liens qu’entretiennent les expatriés entre eux lors de leur exil (on ne dit pas émigrés pour eux d’ailleurs, cela va de soi).

Il faudrait faire lire à tous les détracteurs de l’apprentissage de l’arabe à l’école les identités meurtrières d’Amin Maalouf, un Franco-Libanais de confession chrétienne, académicien et parlant parfaitement la langue arabe. J’étudie un passage de cet ouvrage lorsque l’on travaille sur l’identité en éducation morale et civique avec les mêmes élèves de cinquième.

© Politis

La lecture de cet ouvrage pourrait peut-être ouvrir les yeux à tous ces polémistes sur les enjeux de ce débat.

Comme le disait Al Toghraii, un poète et médecin iranien des XI et XIIe siècles :

ما أضيق العيش لولا فسحة الأمل

Je laisse le soin aux arabophones de vous traduire ce vers.

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