Entre les murs ? 3 : Des soins pour l’autisme ?

Dans ce billet, le Dr BB revient sur certains éléments précis concernant les troubles du spectre autistique afin d’éviter les amalgames ou les duperies. En effet, avant de prendre position, il convient déjà de savoir de quoi l’on parle réellement. La question sous-jacente reste celle-ci : les personnes autistes peuvent-elles bénéficier de soins ?

Docteur BB  • 8 janvier 2020
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Entre les murs ? 3 : Des soins pour l’autisme ?
Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Après avoir dénoncé les attaques contre le soin et avoir réaffirmé les principes et les réalités qui sous-tendent actuellement la pratique des soignants, il parait important d’aborder désormais des enjeux plus concrets pour illustrer nos propos. La question de l’autisme étant particulièrement sensible, tant sur le plan clinique que politique, elle constitue une illustration particulièrement pertinente, et permettra par ailleurs de répondre à certaines accusations diffamatoires relayées par les médias.

Revenons tout d’abord sur la question du diagnostic. En ce qui concerne l’autisme, les classifications nosographiques sont purement cliniques et catégorielles, avec une définition statistique du trouble. C’est-à-dire qu’elles appréhendent assez mal les dynamiques dimensionnelles et différentielles, notamment en termes d’intensité des troubles. Dans les tests reconnus à l’échelle internationale (type ADOS), le diagnostic est ainsi défini par un effet seuil, qui ne rend pas compte du continuum entre la normalité et le « pathologique ». Certaines études (Reavan 2008) ont ainsi montré que des enfants présentant un trouble psychotique sans caractéristique autistique pouvaient valider les critères diagnostics des échelles censées être spécifiques : il s’agit donc là de faux positifs. Chez les adultes également, l’ADOS différencie mal autisme et schizophrénie (Bastiaanen 2011), et il n’est pas évident que le nouvel algorithme (ADOS-2) puisse faire réellement évoluer ces faits.

Au fond, ce dévoiement de la clinique en faveur d’observations purement comportementales et objectivables témoigne d’un retour en force des théories organicistes exclusives, sans prise en compte des dynamiques psychopathologiques permettant des discriminations fines et des différenciations dimensionnelles. En outre, du fait de certaines pressions idéologiques et militantes, des catégories diagnostiques se sont trouvées littéralement dissoutes, telles que les psychoses infantiles, ou les tableaux spécifiques des dysharmonies psychotiques. Chassez le naturel par la porte, il revient par la fenêtre…désormais, ces configurations cliniques singulières émergent à nouveau, sous la forme de Troubles envahissants du développement atypiques, ou à travers de nouvelles entités nosographiques telles que les Multiple Complex Developmental Disorders (MCDD) ou les Multidimensionnaly Impaired Disorders (MID) (ça en jette quand même davantage !). 

Certains praticiens aguerris, tel que Roger Misès, déplorent ainsi la perte indéniable de finesse sémiologique et de pertinence clinique que les nouveaux systèmes de classification ont organisée : « Ces orientations contraignantes de la CIM-10. n’ont pas seulement assuré l’élimination des dysharmonies psychotiques, elles ont conduit, plus largement, à faire entrer dans « les troubles du spectre de l’autisme » ou dans le cadre élargi des TED, de très nombreux enfants qui selon nous devraient être classés dans d’autres catégories nosographiques: les dépressions précoces, les troubles sévères dans l’organisation des fonctions cognitives ou du langage, les pathologies du développement survenant chez le très jeune enfant et qui comportent parfois un risque d’entrée dans l’autisme mais sans que cela constitue d’emblée une fatalité ».

Ce caractère définitif, clos, déterministe, voire auto-prophétique de diagnostics précoces se référant uniquement à une théorie neurodéveloppementale contraint effectivement à sacrifier les dimensions temporelles, contextuelles, relationnelles, sociales, psychodynamiques, etc. Au final, on se sait plus exactement de quoi l’on parle, et ce que l’on doit proposer en termes d’accompagnement, mais le politiquement correct est préservé, ainsi que le vernis scientifique : ouf !

Je recevais récemment un pré-adolescent diagnostiqué Asperger par un service universitaire, mais aussi hyperactif et dyspraxique (sic) : il me raconta de but en blanc, avec une discordance affective évidente, qu’il avait le projet de devenir le despote d’une colonie reliée aux continents par des tunnels sous-marins. Pas d’ironie ou de fantasmes ici : une conviction totale et un peu glaçante. Pas typique !

Je pense également à ce grand adolescent, récemment diagnostiqué autiste par un centre expert, qui ressent des ondes négatives dans la rue, avec des idées de centralité, et se sent envahi voire parasité au niveau de ses pensées – il fut un temps où on aurait évoqué un vécu paranoïde avec automatisme mental. Pas typique !

Cependant, la dernière version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V) comprend désormais des nouvelles lignes directrices pour inclure des niveaux de gravité dans l’autisme, en fonction de l’intensité des « symptômes » et de leurs répercussions fonctionnelles et sociales. Ces niveaux ont remplacé d’autres troubles neurodéveloppementaux qui partageaient les mêmes symptômes que l’autisme, comme le syndrome d’Asperger. De surcroit, le diagnostic, pour être posé, nécessite que les symptômes puissent induire des déficits cliniquement observables dans les domaines sociaux et professionnels, ou dans les autres sphères importantes d’activités. Dès lors, une personne qui n’exprime aucune plainte fonctionnelle ne devrait tout simplement pas être diagnostiquée, même si certains traits de son fonctionnement pourraient être apparentés à de l’autisme

Par ailleurs, 75% des patients avec un Trouble Envahissant du Développement présentent également un trouble psychiatrique associé (Layfer, 2006), principalement des troubles anxieux, mais aussi des troubles obsessionnels compulsifs, des troubles thymiques, des troubles de type Hyperactivité / Déficit de l’attention, voire des troubles psychotiques (par exemple 8% de diagnostics de schizophrénie dans une cohorte de personnes autistes). La prégnance de ces comorbidités devrait interpeller quant à la spécificité du diagnostic ; d’autant plus si l’on prend en considération l’hétérogénéité clinique majeure au sein même des profils inclus dans le spectre autistique, allant des formes syndromiques graves avec déficience mentale et troubles neurologiques, à certaines particularités de fonctionnement sans véritable handicap. Certaines personnes autistes ont une absence de langage fonctionnel et un retard de développement sévère, d’autres ont des difficultés d’apprentissage plus légères, tandis que certains ont des aptitudes langagières dans la moyenne ou excellentes, ou encore certaines aptitudes cognitives plus élevées que la norme. De telles divergences devraient légitimement faire douter de la validité et de la cohérence du diagnostic, remettre en question la pertinence même de l’entité « Autisme », orienter la recherche vers de meilleures différenciations cliniques et favoriser des approches dimensionnelles. Ce que toutes les personnes du spectre autistique ont en commun, ce sont des difficultés dans la communication et l’interaction sociale (trouble de la réciprocité émotionnelle et des comportements interactifs non verbaux, etc.), une restriction des intérêts (difficultés d’adaptation aux changements imprévus et à la nouveauté, « besoin de similitude », adhésion inflexible à des routines ou rituels persévératifs), et des hyper- et hyposensibilités sensorielles. Ces traits peuvent tout à fait être présents à minima chez de nombreux individus qui ne relèveraient pas d’un diagnostic médical, dans la mesure où ils ne percevraient pas ces singularités de fonctionnement comme une entrave et ne seraient pas envahis par des angoisses extrêmement éprouvantes.

Ainsi, en 2019, une large méta-analyse dirigée par le Pr Laurent Mottron de l’Université de Montréal et publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) concluait ainsi _: « le nombre croissant de diagnostics d’autisme partout dans le monde résulterait d’une diminution constante de la différence entre les personnes qui reçoivent un diagnostic et le reste de la population plutôt que d’une réelle augmentation de la pré__valence_ ». De fait, les critères et les seuils de diagnostic ont tellement évolué, dans le sens d’un nivellement vers le bas, que la différence entre une personne diagnostiquée autiste et un individu a priori « neurotypique » peut devenir quasiment impalpable. Au final, « les changements possibles dans la définition de l’autisme d’une population étroitement définie et homogène à une population inclusive et hétérogène peuvent réduire notre capacité à construire des modèles mécanistes de la condition ».

Aux Etats-Unis, on constate par exemple une dérive problématique dans la surenchère des diagnostics. Ainsi, en 2018, sur une population de 1,5 million d’enfants de 0 à 17 ans, 1 enfant sur 40 a reçu un diagnostic de TSA, et 27 % d’entre eux ont reçu un traitement médicamenteux. A qui cela profite-t-il ?…

Ce surdiagnostic constitue en soi un risque de « dilution » du concept et d’amalgames très préjudiciables, tant pour la recherche que pour les prises en charge. En effet, l’omniprésence médiatique de la représentation de l’Autisme comme une singularité exceptionnelle associée à de simples particularités dans le fonctionnement social contribue à invisibiliser les formes les plus sévères, voire à les dénoncer en tant que « mythes ». Quant aux parents qui s’inquiètent, à juste titre, de la gravité des troubles de leurs enfants, ils peuvent carrément être accusés de trahison, ou de « validisme », c’est-à-dire de discrimination à l’égard du handicap en rapport avec un système de valeurs normatif et capacitiste…. Aux Etats-Unis, certaines familles ont récemment formé le Conseil national sur l’autisme sévère [National Council on Severe Autism – NCSA], le premier organisme de défense des droits des autistes à se concentrer exclusivement sur les besoins de ceux qui nécessitent une prise en charge intensive. On estime que 30 % des personnes autistes correspondent à cette situation. Prenons par exemple l’émergence du langage. D’après une étude récente basée sur plus de 500 enfants ayant été reçu sur une clinique spécialisée à Baltimore entre 2012 et 2019, environ 40% de ces enfants présentaient un retard de langage important : par exemple, la plupart des enfants autistes de 4 ans ne pouvaient pas enchaîner plus de deux mots. Cette recherche pointait également l’insuffisance de prise en charge, avec un impact très négatif sur les possibilités évolutives. D’après d’autres études, jusqu’à 30% des enfants TSA ne développeront pas de langage oral fonctionnel après 6 ans malgré un suivi rééducatif (Andersonetal, 2007). Au total, le pourcentage de troubles sévères du langage se situe entre 50 et 65% en fonction des études. En ce qui concerne les déficiences cognitives, la proportion de retard mental chez les personnes autistes varie de 40 à 80% selon les études (classiquement, on retient que 75% des cas d’autisme ont un QI < 70). Plus les symptômes sont sévères et le dépistage précoce, plus la déficience intellectuelle est marquée. Les retards du développement psychomoteur concerneraient 10 à 20% des autistes. Enfin, l’épilepsie serait également impliquée chez 30% des sujets autistes.

Faut-il donc considérer que l’autisme sévère est un mythe ?… En tout cas, il parait évident que la recherche ne pourra progresser qu’en définissant des typologies cliniques plus précises, afin d’établir des différenciations pertinentes au sein du spectre autistique et d’avancer dans la compréhension de l’émergence de telles ou telles dimensions symptomatiques, en définissant par exemple des endophénotypes cliniques repérables chez les apparentés – il s’agit là de certains traits spécifiques qui pourraient être transmis génétiquement, influençant par exemple les comportements sociaux ou sensoriels, sans pour autant être pathologiques. Le parent d’un patient bipolaire pourra par exemple être très lunatique, avec des sautes d’humeur et une certaine cyclothymie, tout en restant bien intégré au niveau socio-professionnel, sans souffrance ressenti de son point de vue et au niveau de son entourage, et sans nécessité d’un diagnostic médical et d’une prise en charge.

Les enjeux autour de la génétique de l’autisme sont complexes, et nécessitent d’aborder certains points un peu techniques…Pardon d’avance mais, parfois, on ne peut pas tout simplifier, sous peine de caricaturer et de dénaturer.

Actuellement, l’hétérogénéité des résultats obtenus lors des études de liaison suggère une très grande variabilité génétique du syndrome autistique ; entre 500 et 1000 loci (sites sur le génome humain) pourraient être associés à l’autisme. Par ailleurs, 50% des mutations rares de novo identifiées sont probablement sans rapport direct avec le phénotype autistique. L’héritabilité génétique est évaluée entre 50 et 60%, mais semble probablement surévaluée compte-tenu de la cascade d’événements complexes (épigénétique) susceptible d’intervenir en rapport avec des effets environnementaux. Le risque génétique ne peut donc être appréhendé que comme une addition de facteurs. Au niveau génétique, seul 5 à 15% de la variance de l’autisme pourrait être en rapport avec des variantes/mutations génétiques rares et circonscrites, dont beaucoup causent non seulement l’autisme mais aussi de graves retards de développement (comme le syndrome de l’X fragile, la sclérose tubéreuse de Bourneville ou le syndrome de Rett) tandis qu’environ 50% de la variance de l’autisme pourrait être attribuée à des nombreuses variantes génétiques communes comme les polymorphismes mononucléotidiques, qui reflètent simplement des différences individuelles génomiques réparties statistiquement. Des études épidémiologiques récentes (T. Gaugler et al 2014) confirment l’héritabilité restreinte (52,4%), essentiellement due à des variations communes (49% de variants fréquents), et très peu à des mutations ponctuelles héritées (3%) ou de novo (3%).Ces variations génétiques, fréquentes et disséminées sur l’ensemble du génome, qui contribuent majoritairement à la transmission de la vulnérabilité autistique, sont également présentes dans la population générale, oùelles peuvent participer à l’expression plus ou moins manifeste d’une gamme de traits de comportement concernant par exemple la réciprocité socio-émotionnelle, les interactions sociales, le traitement sensoriel ou le développement du langage. Il n’y a donc pas de solution de continuité dans le spectre de l’autisme, mais plutôt un continuum de facteurs génétiques complexes et de manifestations cliniques. 

Dès lors, la présence d’un nombre significativement plus important de variantes de gènes répartis sur l’ensemble du génome pourrait constituer une condition nécessaire mais non suffisante pour avoir une plus grande probabilité de présenter, en interaction avec d’autres facteurs d’environnement, des traits sociaux et comportementaux évocateurs du spectre autistique. Ainsi, « le risque génétique contribuant à l’autisme est le risque génétique qui existe en chacun de nous, et influe sur notre comportement sur notre communication sociale  » (Mark Daly, co-directeur du programme de médecine et de génétique des populations (MGP) de l’Institut Broad). En conséquence, il y a nécessairement une part d’arbitraire dans la délimitation catégorielle des Troubles du Spectre Autistiques, qui, d’un point de vue scientifiques, devrait être appréhendés à travers une approche plus dimensionnelle.

Par ailleurs, certaines variations génétiques comme les CNV (variabilité du nombre de copies d’un même gène) ne sont pas spécifiques à l’autisme, puisqu’elles peuvent aussi constituer des facteurs de risque pour le retard mental ou la schizophrénie. Du fait de cette susceptibilité génétique commune, on peut penser que les éléments d’environnement au sens large jouent un rôle très important, à partir d’une vulnérabilité primaire.

Ainsi, certaines études épidémiologiques (Hallmayer 2011) soulignent que les variations dans les profils cliniques de jumeaux autour du spectre autistique peuvent être expliquées par des facteurs d’environnement dans 55% des cas, en plus d’une hérédité modérée (37%). De fait, il parait très compliqué, voire impossible, de faire la part entre les facteurs génétiques et les modalités communicationnelles parents/enfants. En restant sur des bases purement génétiques, on pourrait d’ailleurs envisager que certains endophénotypes parentaux soient susceptibles d’exercer un impact sur la réciprocité socio-émotionnelle au niveau des interactions primaires avec un nourrisson…La dynamique relationnelle et les déterminismes de l’hérédité peuvent donc se trouver inextricablement liés. Ainsi, comme le souligne Alain Prochiantz, un même syndrome commun peut présenter une véritable diversité étiologique : « une grande variété d’atteintes génétiques, comme plusieurs conditions développementales (par exemple une infection virale ou bactérienne de la mère induisant une réaction immunitaire qui touche l’embryon), plus des génotypes qui peuvent rendre fragile à une atteinte environnementale peuvent conduire à des phénotypes assez semblables. »

Les facteurs d’environnement peuvent d’ailleurs avoir une définition très extensive : on peut clairement identifier certains facteurs de risque « externes » : diabète gestationnel, prématurité, traitement maternel par Dépakine durant la grossesse, etc. Dans tous les cas, il ne s’agit que de potentialiser un risque préexistant, sans pouvoir déterminer une causalité linéaire et univoque. La difficulté épidémiologique à extraire des variables environnementales corrélées à une évolution autistique a d’ailleurs favorisé l’émergence de théories aussi fumeuses que farfelues (le gluten, les métaux lourds des vaccins, certaines hypothèses infectieuses…).

Ce qui parait certain, c’est que des associations complexes d’événements ou d’expositions, depuis la grossesse jusqu’à la petite enfance, contribuent à potentialiser une éventuelle prédisposition génétique. Par exemple, certaines études ont montré que les femmes enceintes avec un niveau élevé de cytokines et de chimiokines étaient plus à risque d’avoir un enfant autiste avec déficience intellectuelle. Ainsi, les profils des mères peuvent entrer en ligne de compte dans le risque d’avoir un enfant autiste. Durant la grossesse, certaines femmes sont effectivement prédisposées génétiquement pour avoir des taux de cytokines élevé. Par ailleurs, certains facteurs environnementaux, comme l’exposition aux pesticides ou à d’autres perturbateurs endocriniens, peuvent aussi influencer le fonctionnement du système immunitaire des femmes enceintes.

Certains chercheurs (Paul Whiteley, Kevin Carr, Paul Shattock) en viennent donc à appréhender les dimensions acquises de l’autisme, en rapport notamment avec les périodes de régression des acquisitions communicationnelles constatées chez certains enfants, au décours de périodes de développement typique. Ainsi, « l’autisme acquis gagne du terrain à la suite d’autres discussions scientifiques sur les modèles animaux de l’autisme, par exemple, et sur les divers moyens d’inciter les animaux en développement typique à présenter des signes et des caractéristiques autistiques ». Cliniquement, il est en tout cas indéniable qu’il existe une grande diversité de trajectoires de développement dans l’autisme, et certains en arrivent à penser que « l’autisme n’est pas une condition permanente », ce qui, évidemment met à mal les revendications identitaires autour de la neurodiversité en contraignant à considérer l’autisme comme une condition plurielle.

Il est d’ailleurs démontré que les conditions d’environnement précoce d’un enfant autiste exercent une forte influence sur la gravité des troubles. A nouveau, de tels résultats réitèrent le fait que les potentialités évolutives d’un enfant autiste ne sont pas figées dans ses gènes. _La discussion montre que l’environnement compte beaucoup, ce qui est pour moi un espoir, car cela signifie que même si un enfant a un lourd fardeau génétique, il reste encore beaucoup à faire et des améliorations sont possibles», déclare Lucia Peixoto, professeure adjointe à sciences biomédicales de l’Université d’État de Washingtonà Spokane. Ce qui parait certain, c’est qu’il existe des prédispositions génétiques qui rendent certains enfants beaucoup plus sensibles et vulnérables aux événements qui peuvent survenir dans les étapes primaires de leur développement.

Enfin, il est depuis longtemps observé que des conditions environnementales extrêmes portant sur la qualité des relations précoces interpersonnelle peuvent conduire à des troubles durables qui, bien que peu spécifiques, seraient susceptibles de s’intégrer dans le spectre autistique. Par exemple, les nourrissons qui manquent de stimulation externe recourent souvent à l’auto-stimulation ou présentent des accrochages sensoriels. Des situations d’intense privation psycho-relationnelle sont donc susceptibles d’induire des manifestations autistiques, plus ou moins pérennes et réversibles. Voici ce que peut en conclure le Dr Bouquerel: « _autant je suis absolument persuadé que les parents ne sont jamais cause de l’autisme de leur enfant, car, à part des pathologies extrêmes, aucun parent ne peut organiser une telle privation psycho-relationnelle ou émotionnelle, autant je suis également persuadé que mobiliser leur ressources psychologiques, émotionnelles, relationnelles est fondamentalement important, comme est important le fait d’accueillir leurs pensées , leurs émotions, leurs sentiments, leurs découragements, leurs abattements, leurs énergies, leurs forces, leurs vitalités ». S’il y a évidemment une part d’inné dans les susceptibilités autistiques, celles-ci ne pourront s’exprimer qu’en étant actualisées par des effets de rencontre avec les conditions environnementales au sens large, dans une perspective développementale dynamique – à l’exception évidemment des formes syndromiques à forte pénétrance génétique.

Les troubles du spectre autistique ne pourront donc émerger qu’à travers des cascades d’événements, induisant des spirales interactives auto-entretenues, sous la forme d’un « processus autistisant » (J. Hochmann) : un bébé ayant par exemple des particularités sensorielles endogènes l’amenant à ne pas maintenir la réciprocité interactive pourra favoriser une forme de désengagement relationnel de la part de ses parents, ce d’autant plus si certaines fragilités peuvent exister au préalable ou être renforcées par l’évitement du nourrisson (dépression du post-partum, situation socio-familiale précaire, évènements traumatiques, indisponibilité concrète et affective, etc.). Une circularité rétroactive peut alors s’enclencher dans les modalités interactives, sans qu’il soit possible d’en définir l’origine. Cependant, cette spirale peut venir aggraver, dans un second temps, les entraves dans l’intégration sensorielle et le partage intersubjectif du côté du bébé, mais aussi les frustrations relationnelles et le découragement du côté de son entourage. « La réponse du personnage maternant aux troubles moteurs et toniques du bébé, à son défaut de pleurs, à ses anomalies du regard, à son défaut d’anticipation lorsqu’on s’avance pour le prendre, inscrit nécessairement ces troubles dans une histoire qui cherche à traiter l’anomalie et à rétablir la continuité narrative »  (J. Hochmann). Mais, les défaillances des ajustements toniques de l’enfant, son incapacité biologique à réagir de manière prévisible, adressée et réciproque, peuvent venir désorganiser toute tentative de mise en récit du lien. Les parents s’obstinent parfois en vain à chercher du sens, et peuvent dès lors être tentés de désinvestir l’interaction affective ; en même temps, l’enfant peut également s’épuiser, du fait de sa difficulté à s’identifier à l’autre à et s’approprier son activité narrative, ne parvenant pas à développer une « agentivité » suffisante, « un sentiment d’être l’opérateur d’un effort efficace pour modifier son environnement, et donc de donner sens à son monde et à son action sur ce monde ».

A ce sujet, il me parait important d’insister sur un point : souligner les dynamiques relationnelles dans l’émergence des troubles autistiques ne revient absolument pas à désigner une éventuelle responsabilité individuelle. En 1943, Winnicott affirmait malicieusement qu’« un bébé, ça n’existe pas », soulignant ainsi que le sujet naissant est toujours pris dans un enchevêtrement relationnel, du fait de sa dépendance aux autres et à son environnement, en particulier à l’égard du substitut maternel qui prodigue les soins. Mais on pourrait aller plus loin, en disant qu’une mère non plus ça n’existe pas, car elle-même est aussi inévitablement inscrite dans une dynamique transgénérationnelle, confronté à un lien de couple – que le père soit d’ailleurs présent ou absent – et plus globalement à des enjeux groupaux, à un ancrage social, à des identifications imaginaires, etc. Il faut tout un village pour élever un enfant. En interagissant avec son nourrisson, une mère charrie en elle la trace de tous les liens qui ont pu façonner ses représentations et ses affects – on sait d’ailleurs que les modèles intériorisés d’attachement sont fortement transmissibles d’une génération à l’autre ; ainsi, l’histoire infantile des parents influence de manière décisive la façon dont ils vont à leur tour investir le lien à leur propre enfant, sans pour autant que cela soit inscrit dans une fatalité… Face à un bébé, il y a toujours de l’autre de l’autre en quelque sorte, donc du groupe, même si c’est justement cette dimension qui peut être en souffrance. Car, dans certaines situations de précarité, de désinsertion, d’isolement, etc., c’est justement la dynamique institutionnelle, collective et narrative du devenir mère qui peut se trouver ébranlée. D’un point de vue anthropologique, l’entourage familial et social joue normalement un rôle déterminant pour faire face à une expérience aussi déstabilisante que celle de la parentalisation et de la rencontre avec un nouveau-né. En effet, celui-ci est inévitablement porteur d’une part d’étrangeté ; il doit donc être reconnu, humanisé et accueilli dans la psyché de ses parents ainsi que dans le réseau des relations familiales : comme le souligne René Kaës, toute naissance est naissance au groupe. Dès lors, comment intégrer cette expérience dans des situations qui induisent une carence des aspects symboliques et communautaires, de la dynamique de filiation et d’affiliation, du dispositif de légitimation sociale ? De fait, les avatars de la construction du lien parents-enfant trouvent dans l’expérience du groupe social des noyaux de sens qui, dans des situations de marginalisation ou d’anomie sociale, sont beaucoup plus difficiles à appréhender, car il existe alors un bouleversement des mécanismes collectifs de régulation autour de l’arrivée d’un bébé. Par exemple, l’absence d’un arrière-plan relationnel et culturel qui puisse étayer les représentations de la mère peut conduire au fait que les sensations corporelles se trouvent surinvesties, au détriment des enjeux affectifs et interactifs. Cette configuration tend finalement à « enclore » le vécu maternel. De surcroit, l’absence de « filtrage » par le groupe des stress psycho-sociaux extérieurs à la dyade peut favoriser un manque de disponibilité et fragiliser la préoccupation maternelle primaire. Comment investir complètement le lien au bébé, quand on doit affronter seule des conditions de survie au quotidien ? …

Ainsi, le contexte social au sens large, de la situation familiale concrète jusqu’aux « métacadres » collectifs, peut favoriser l’émergence de difficultés d’attachement, susceptibles de venir se greffer sur des vulnérabilités primaires en termes de réciprocité socio-relationnelle. En conséquence, le délitement des solidarités, l’hyper-individualisme, la précarité des relations sociales, le repli sur les sphères privées, les fractures générationnelles, la précarité, la dimension consumériste et l’instabilité des liens jetables, la prégnance des interfaces numériques, etc., – conséquences au sens large des évolutions néolibérales de nos sociétés – peuvent avoir des effets tout à fait significatifs et objectivables sur les interactions dyadiques mère/bébé, et favoriser éventuellement l’émergence de troubles relationnels et communicationnels en fonction des prédispositions génétiques et des vulnérabilités d’amont.

On voit bien à quel point les déterminismes de l’évitement relationnel primaire peuvent être complexes, intriqués, synergiques, sans pouvoir en définir une origine univoque. Comment pourrait distinguer ce qui est initial de « ce qui est, chez les parents, réactionnel à la confrontation quotidienne, dramatique, avec un enfant qui ne regarde pas ses interlocuteurs, qui semble indifférent ou opposant lorsqu’on lui manifeste de la tendresse » (J. Hochmann) ?

Cette dynamique fondamentalement développementale permet à la fois d’intégrer les enjeux génétiques et épigénétiques, mais aussi l’environnement, la sphère relationnelle et l’histoire singulière d’un être en devenir. Ce qui peut finalement être constaté au niveau cérébral (des signes de neuro-inflammation chronique avec activation microgliale, des troubles de la synaptogénèse, des déséquilibres de la signalisation intracérébrale et des atypicités de connexion, etc.) n’est dès lors que l’aboutissement de processus complexes, à déterminismes multiples.

Ainsi, il faut vraiment battre en brèche certains propos péremptoires qui, pour des raisons idéologiques, ne veulent considérer que le caractère inné et inamovible de l’autisme, comme par exemple ce type d’affirmation : « l’autisme (…) est une spécificité, une part de la neuro-diversité, une condition pour ne pas dire… un destin. On naît autiste, autiste on le reste toute sa vie et on meurt autiste_. » (Hugo Horiot).

La spécificité du développement cérébral humain est justement son caractère totalement immature et inachevé à la naissance, sa néoténie, ainsi que sa dépendance totale à l’environnement. Au cours de l’évolution de notre espèce, certaines régulations génétiques ont induit un ralentissement très significatif du développement cérébral ; par exemple, la densité synaptique chez le petit d’homme présente un pic entre 3,5 et 10 ans, alors que ce maximum se situe immédiatement après la naissance chez les singes anthropoïdes. « Un tel ralentissement est très intéressant parce qu’il suggère que nous ne sommes pas seulement dans un paradigme de naissance prématurée de sapiens permettant un développement extra-utérin – donc cognitif – riche et prolongé. Il faut y ajouter un ralentissement du développement synaptique qui est le résultat de mutations qui ont imposé cette néoténie » (A. Prochiantz).

Ainsi, le développement cérébral est essentiellement post-natal, se déployant en interaction permanente avec le monde extérieur ; à la naissance, le cerveau humain ne pèse effectivement que 10% de son poids final (contre 50% chez les grands singes). Et c’est justement ce délai, cette surséance spécifique associée à la plasticité synaptique, qui contribue à l’émergence d’une intelligence culturelle spécifique, lorsque l’enfant évolue dans un milieu social stimulant sur le plan cognitif et émotionnel. Dès lors, Le développement précoce des humains inclut forcément une forte composante de communication avec leur entourage humain (MacLean, 2016).

Certes, les déterminismes génétiques orientent la façon dont les événements extérieurs vont s’inscrire dans les réseaux neuronaux en contribuant en retour à l’organisation de leurs connexions, avec en permanence des effets dialectiques de rétroactions. En parallèle, il convient aussi de comprendre la façon dont les stimulations relationnelles vont réguler l’expression génique elle-même…

Voici donc la conception figée des troubles du spectre autistique qu’il faut œuvrer à transformer- ce que le Dr Bouquerel appelle « l’autisme NeIGE » :

  • Neurologique, émanant uniquement d’une anomalie développementale endogène au niveau cérébral. Ainsi, les particularités neurofonctionnelles constatées en imagerie cérébrale chez les personnes autistes en viennent à être interprétées comme des causalités étiologiques, sans prendre en compte leur dimension ontogénétique.

  • Incurable : le fonctionnement autistique étant inné et inamovible, constituant même l’essence identitaire d’une personne avant même sa subjectivation, il n’y aurait pas lieu de vouloir intervenir, faire évoluer autrement, ou même soulager.

  • Génétique : cette volonté d’évacuer toute implication extérieure au sujet mobilise des conceptions rétrogrades du génome en tant que programme mécanique et isolé des influences environnementales, en dépit des évolutions scientifiques et des faits établis de façon probante concernant les processus de régulation de l’expression génique.

  • Équivalent dans tout son spectre : l’autisme serait une entité homogène, une et indivisible, et la prise en compte d’éventuels critères de gravité serait tout simplement une escroquerie mystificatrice…

Pourtant, toutes les recommandations vont dans le sens d’un diagnostic précoce et d’interventions préventives. En effet, prendre en compte la dynamique développementale et l’impact de l’environnement sur les processus de maturation cérébrale fait émerger la possibilité d’un devenir ouvert, au-delà de la résignation et du fatalisme. Il parait désormais clair et consensuel qu’un dépistage précoce est essentiel – autant que possible à partir de 18 mois, dès l’apparition des signes cliniques prodromiques définis de façon très explicite : niveau faible de réactivité/anticipation aux stimuli sociaux ; difficultés dans l’accrochage visuel ; déficit d’attention conjointe ; retard de langage ; absence de pointage ; absence de comportement de désignation des objets à autrui ; absence de jeu de « faire semblant. Plus tôt est démarrée la prise en charge et meilleurs en seront les résultats, du fait de la sensibilité cérébrale aux interventions relationnelles lorsque les réseaux neuronaux impliqués dans les compétences sociales et linguistiques sont en développement rapide. Une prise en charge précoce permet ainsi des évolutions significatives en termes de réciprocité socio-émotionnelle et évite l’apparition de sur-handicaps. Ces interventions doivent porter à la fois sur l’enfant, mais aussi sur les dynamiques interactionnelles familiales, sans pour autant désigner les parents comme porteurs d’une quelconque responsabilité à l’égard des troubles. Prendre en compte très précocement les « dysharmonies interactives » permettrait alors d’éviter la constitution de schémas relationnels caractérisés par l’évitement, en essayant de tisser du lien, de raccommoder des histoires déchirées.

Au final, la dimension neuro-développementale des troubles autistiques ne doit absolument pas nous amener à appréhender cette « constitution » comme figée dans une fatalité inéluctable, en négligeant les potentialités évolutives réelles. Bien au contraire. Ce qui parait désormais évident, c’est que toutes les expériences relationnelles et affectives précoces orientent le développement cérébral, au-delà de toute destinée. En dépit de vulnérabilités génétiques primaires, les processus développementaux ne sont jamais clos, et des interventions thérapeutiques ciblées peuvent véritablement ouvrir le champ des possibles, sans pour autant faire l’impasse sur l’infrastructure cérébrale et biologique des troubles. Ainsi, les processus psychothérapeutiques peuvent tout à fait être intégrés et conceptualisés à partir de dynamiques neurobiologiques, quand bien même c’est spécifiquement dans le lien qu’ils se déploient. Comme le rappelle Gilles Bouquerel, « un état, aussi biologique soit-il, aussi contraint par la génétique, le développement du cerveau, la neurologie, peut avoir comme intervention cible une psychothérapie, une action psychologique. L’autisme tout aussi bien ». Dès lors, il faut être convaincu que des troubles inscrits dans le fonctionnement neuronal (défaut de filtrage, déficit de la cognition sociale, manque de cohérence centrale, sur-fonctionnement perceptif, etc.) sont véritablement accessibles à des interventions relationnelles à potentialité transformatrice.

La prise en compte des connaissances actuelles et des avancées scientifiques, dans toute leur complexité, vient finalement confirmer ce qui était déjà empiriquement observé depuis longtemps ; investir une relation pérenne, tissée d’affects et de plaisirs interactifs, un lien vivant et confiant, incarné, en introduisant progressivement des découvertes et des explorations, sensorielles, motrices, verbales et non-verbales, émotionnelles, ludiques, narratives, des médiations différenciées, des petites nuances de différence et de pas-pareil, des modes de communication alternatifs, tout en respectant le rythme et les besoins de sécurité de l’enfant et en s’appuyant sur ses intérêts, en contenant ses angoisses, etc., cela peut avoir des effets manifestes qui s’inscrivent justement dans des réseaux neuronaux plastiques et évolutifs.

Y-a-t ’il là une quelconque forme d’eugénisme, de négligence ou de maltraitance ? Je vous laisse en juger….

Au-delà de certaines rhétoriques falsificatrices et accusatrices, il convient toujours d’en revenir aux faits, dans une exigence de vérité, qui impliquait pour Aristote une adéquation entre l’être et le discours. Autrement, on tend à basculer dans une logique « post-factuelle », dans laquelle les réalités objectives ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique et politique que les appels à l’émotion et aux sentiments personnels. Car, « s’il est vrai que l’émotion est le cheval de Troie de la manipulation, cette débauche d’excitations sensorielles soulève des enjeux éthiques majeurs. Quand nos émotions sont dévoyées, ce sont nos jugements de valeur qui se trouvent pervertis » (Pierre Le Coz). Ainsi, il faut pouvoir se méfier de celui qui prétend détenir la vérité sur un sujet où la prime devrait d’abord aller aux faits, aux résultats prouvés ou à l’expérience des acteurs. Au-delà des allégations trompeuses, des projections fantasmatiques, voire des mensonges éhontés, il s’agit justement de pouvoir en revenir aux pratiques réelles.

Ainsi, nous aborderons dans un prochain billet la situation actuelle concernant la prise en charge de l’autisme en France, en abordant également les enjeux de l’inclusion.

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