Au-delà du « non »

Des militants des collectifs expliquent ce que signifie pour eux être antilibéral. Des approches différentes, mais qui se rejoignent sur la défense des services publics et la place du citoyen au cœur de l’action.

Ingrid Merckx  • 24 janvier 2007 abonné·es

Le « non » au référendum de 2005 n’a pas été vain. Ne serait-ce que parce qu’il a mobilisé des gens qui, partout en France, n’ont pas voulu d’un traité constitutionnel européen d’orientation libérale. Pour les militants des collectifs antilibéraux, fondés quasiment dans la foulée, ce « non » fut un acte fondateur. L’événement qui a permis de cristalliser un certain nombre de forces militantes, associatives, syndicales, politiques, et surtout citoyennes, jusqu’alors dispersées. « Le « non » français a rencontré un formidable écho en Grèce , témoigne Dina Bacalexi, Franco-Grecque d’une quarantaine d’années, chercheuse en philologie ancienne au CNRS et membre d’un collectif de l’Essonne. Je m’en suis rendu compte au Forum social mondial d’Athènes : le combat français contre le traité constitutionnel européen a permis de faire mieux comprendre ce qu’était l’antilibéralisme : par exemple, le refus de politiques qui instaurent la concurrence libre et non faussée. » Dans le pays de Paimpol, dans les Côtes-d’Armor, le référendum a catalysé les luttes locales. « Diverses batailles avaient déjà réuni des militants dans la région : la défense d’une maternité de proximité, le combat pour la sécurité sociale, etc., raconte Yves Ballini, professeur de physique-chimie, membre de la FSU, du parti communiste et du collectif antilibéral local. Ils se sont retrouvés autour du collectif du 29 mai. L’idée, c’était d’aller au-delà du « non ». »

« Le référendum a réveillé mon envie de militer, confie aussi Catherine Jouanneau, mère de famille de 41 ans, professeur d’histoire-géographie en Seine-et-Marne. J’ai eu la chance d’avoir des parents communistes. » Comme dans le film, « ils m’ont transmis la capacité de s’indigner devant les injustices. J’ai milité au sein du PC pendant douze ans, puis je me suis investie dans la lutte syndicale. Je votais toujours communiste, mais sans conviction. Le référendum m’a donné une nouvelle raison de me battre en politique. »

« Qu’est-ce que la gauche aujourd’hui ? Comment construire une vraie politique de gauche aux niveaux local et national ? », interroge Dina Bacalexi. Pour elle, l’antilibéralisme représente une « gauche vraiment de gauche », qui se bat pour une « société fondée sur l’humain, où ce ne sont pas les logiques financières qui prévalent. La lutte antilibérale doit aussi permettre de réunir des gens dans un combat commun ». Des gens qui se rassemblent sans forcément se ressembler. Les antilibéraux ne sont pas tous « encartés » , insistent les militants des collectifs, qui dénombrent des membres du PC, du PS, des Verts, de la LCR, mais aussi des syndiqués, des associatifs, des objecteurs de croissance, des « rétifs à tout parti » , des altermondialistes… Car l’antilibéralisme peut rejoindre l’altermondialisme, « autour de l’idée d’un monde qui pourrait se passer du capitalisme, au sens où il mettrait l’argent au service des gens et non l’inverse, explique Catherine Jouanneau. L’économie joue une part importante dans l’antilibéralisme, mais celui-ci inclut également le féminisme, la défense l’environnement, la lutte contre le racisme… » Une grande enveloppe, finalement, qui « implique une autre vision de la société, d’autres rapports entre les gens. »

Altermondialiste de 55 ans et membre du collectif Nord-Isère, Jean-Michel Chapellut estime qu’être antilibéral consiste à « proposer une alternative au capitalisme » . D’où le problème soulevé par l’emploi du préfixe « anti », en ce qu’il « marque une opposition ». « Il vaut mieux être pour que contre. Je préférerais donc « alter », car les antilibéraux ne se contentent pas de s’opposer, ils proposent » . Témoins : la Charte antilibérale publiée en avril 2006 et les 125 propositions dévoilées le 25 octobre à Nanterre.

« Il faut un autre choix entre le libéralisme, représenté par la droite, et le social-libéralisme, représenté par le courant majoritaire du PS », martèle Roger Grimal. Si « antilibéral n’est pas le bon mot, c’est actuellement le meilleur », estime ce retraité qui a monté un collectif à Aurillac. Pour Yves Ballini, de Paimpol, « beaucoup sont gênés par le terme antilibéral parce que « libéralisme » contient l’idée de liberté ! Il vaudrait mieux dire « anticapitalisme » » .

Ingénieur du son de 35 ans, David Rit, qui a quitté la LCR après l’échec de la candidature unitaire et milite au sein du collectif de Montreuil, est sur la même ligne : « Je ne vois pas tellement de différence entre antilibéralisme et anticapitalisme : même renoncement aux privatisations, même défense des services publics, même volonté de protéger les précaires et les minima sociaux… », énumère-t-il. « Avant, je ne disais pas « antilibéral », reconnaît Catherine Jouanneau. C’est un mot qui a pris du sens récemment. Et dont on a pris l’habitude. »

S’il y avait une revendication phare, ce serait, tous s’accordent sur ce point, la défense des services publics. Leur démantèlement est à l’oeuvre dans la Creuse , rappelle Cathy Jean, enseignante en primaire, membre d’Attac et de la Coordination creusoise. « Pour moi, l’antilibéralisme consiste à combattre tout ce qui peut aliéner les gens d’un point de vue économique et à leur faire recouvrer leurs droits fondamentaux. » Même écho dans le Cantal, où Roger Grimal, qui a voulu regrouper les gens « non pour s’en tenir à des protestations mais pour peser dans les élections », s’offusque de l’état d’entretien du réseau téléphonique depuis la privatisation de France Télécom, et réclame « l’abrogation des lois qui ont privatisé les services publics ». « Le Cantal est un désert que le libéralisme condamne à un déclin inévitable », lâche-t-il. « J’ai vu ce que c’était qu’un service public au service de l’usager et un service public au service de l’actionnaire , renchérit Jean-Michel Chapellut, du collectif Nord-Isère, qui a aussi vécu le passage de France Télécom au privé.

Quid de l’amalgame entre antilibéralisme et étatisme ? « Rien à voir, prévient Catherine Jouanneau. Il n’est pas question d’en venir à un système de type soviétique ! Mais, quand l’État est insuffisamment fort, c’est le désastre. » Selon Jean-Michel Chapellut, « l’antilibéralisme est un projet de société qui passe par la démocratie de proximité. Un principe d’organisation où tous les citoyens sont au coeur de l’action. » « Avec l’antilibéralisme, on construit quelque chose de nouveau, qui concilie les libertés individuelles et les droits de l’homme » , ajoute Catherine Jouanneau.

Difficile cependant d’inventer un nouveau modèle. D’où la nécessité, souligne Yves Ballini, de « trouver un cadre aux luttes antilibérales » . Si l’échec de la candidature unitaire a « déprimé » une bonne part de ces militants ­ communistes inclus ­, ils sont d’avis que « l’histoire ne s’arrête pas à la présidentielle » . Il suffit de tâter un peu de leur engagement pour réaliser qu’être antilibéral est peut-être avant tout une manière de se réconcilier, et de réconcilier les autres, avec la politique.

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