« J’irai à gauche, quoi qu’il arrive »

Jamel Debbouze dit son rapport à la presse et à la politique, et évoque ses prises de conscience, maintenant qu’il a 30 ans et qu’il est aimé du public.

Xavier Frison  et  Denis Sieffert  et  Clotilde Monteiro  • 24 janvier 2007 abonné·es

Alors comme ça, tu es lecteur de «~Politis~»…

ll y a des journaux, on a l’impression qu’ils ont tous le même rédacteur en chef. Politis est à part. Mais j’aime bien aussi Courrier international . Et, bien sûr, j’adore Playboy … Mais sur Politis , je peux en faire des tonnes, vraiment !

Comment lis-tu un journal ? Il y en a qui commencent par le début, d’autres par les sports, on en connait même qui commencent «~le Monde~» par la nécro…
Tout dépend de l’humeur. Dans le Parisien , je commence par les faits divers… pour avoir des nouvelles des potes ! Le Figaro , c’est le journal d’en face.

Illustration - « J’irai à gauche, quoi qu’il arrive »

Il y a des sujets vers lesquels tu vas plus naturellement…

J’en ai assez des articles sur Al-Qaïda et sur Saddam Hussein. Je finis par y voir une agression personnelle. Comme dans certains articles sur la banlieue. J’ai envie de dire : vous ne voulez pas plutôt voir la souffrance de ces gens au lieu de dire en permanence à quel point ils se comportent mal ? Je finis par avoir du mépris pour ce que je lis.
J’ai tendance à penser que les journaux où je trouve ces articles sont des instruments pour nous driver , nous manipuler. En période électorale, j’ai parfois l’impression qu’on est en campagne contre les rebeus. Je dis cela, mais je n’ai pas un centime d’esprit communautaire. J’appartiens à un seul groupe : celui des Français. Mais, quand je vois comment certains journalistes s’acharnent à créer des clans, je trouve que ça fait peur. Bien sûr, les jeunes de banlieue, on peut leur trouver tout ce qu’on veut comme défauts. Mais quand on est humain ­ et quand on fait de la politique on devrait l’être ­, on doit se soucier de leur état.

Si l’on regarde les unes des journaux qui sont devant nous, qu’est-ce qui t’inspire ? Le baby-boom ? Ségolène Royal et François Hollande ? L’initiative française en faveur d’un dialogue avec l’Iran…

Il n’y a pas d’alternative, il faut renouer le dialogue avec l’Iran. La France a raison. Vive la France !

… le conflit israélo-palestinien qui est si important en banlieue ?

C’est une mécanique : quelqu’un qui souffre sera solidaire de quelqu’un qui souffre. Il y a un sentiment de solidarité pour les victimes un peu partout dans le monde. Mais ce conflit-là est particulier parce qu’il concerne des rebeus. Attention, il ne s’agit pas d’importer le problème ici ! Mais ce conflit sonne comme une injustice dans la tête des jeunes car il se confond avec leur propre sentiment d’injustice. À tort, parce qu’il y a des degrés dans l’injustice, et ce que vivent les jeunes en France n’a rien à voir. Moi, je suis vraiment fier d’être français. Mais l’injustice existe ici aussi, à un autre niveau. Je ne comprends pas, par exemple, comment on peut vivre avec une odeur de pisse dans les escaliers. Je connais une cité à Marseille ­ mais je pourrais aussi bien parler de Chanteloup-les-Vignes ou d’ailleurs ­, c’est le Kosovo !

Que dire de la conscience politique des jeunes dans ces banlieues ?

Il y a une conscience politique instinctive, mais elle n’est pas vraiment structurée. Les gens sont trop dans l’urgence, et on ne peut avoir une vraie conscience politique que si on est confortablement assis. Moi, je n’ai pas découvert la misère et l’injustice quand j’étais en banlieue, mais quand j’ai été pour la première fois dans le VIe arrondissement de Paris.

C’est-à-dire quand tu as découvert la richesse…

Quand j’ai découvert le velours.

Et maintenant, puisqu’il y a ici le portrait de Ségolène Royal, et celui de Nicolas Sarkozy, une question sotte : penses-tu que la campagne présidentielle, telle qu’elle se dessine, puisse y changer quelque chose ? Dans le bon sens, s’entend.

Mais oui, elle est sotte, cette question ! Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis avec Barack Obama [sénateur, éventuel candidat démocrate à la présidentielle, NDLR], qui emploie de nouveaux mots et qui, en tant que métis, sait de quoi il parle, je n’ai pas l’impression en France que les mots soient vrais. Ils sonnent creux. La liberté, l’égalité et la fraternité, ce sont des mots dont je prends tout juste conscience maintenant. Les mots comme ceux-là ­ on pourrait dire aussi « amour » ou « amitié » ­ prennent un autre sens à 30 ans. On commence à les entendre vraiment. Quand on parle de « rupture » et de « changement », et qu’on nous en parle depuis si longtemps, ça sonne creux ! Même si les politiques qui les prononcent sont sincères. On a envie de leur dire : « Arrêtez avec vos mots ! » Et cela vaut autant pour la droite que pour la gauche. L’opposition droite-gauche ne me convient plus. J’ai vu des mecs de droite faire des vrais trucs de gauche. Borloo, à Valenciennes, a intégré les cités à la ville. Le plateau, qu’on appelle aussi « les cités », était séparé du centre, où se trouvent les commerces, l’argent. La dignité était au centre et l’amertume sur le plateau. Borloo a compris qu’il fallait considérer les habitants du plateau et les regarder dans les yeux. Il devrait être à gauche ! Cela dit, je connais des mecs qui sont à gauche et qui devraient être à droite. Yacine, du Jamel Comédie club, a un bon mot : il dit que la politique, c’est comme l’amour. L’homme politique, c’est l’homme ; et le peuple, la femme. Le politique ne veut que séduire la population. Et quand il a couché avec le peuple ­ qu’il a eu sa voix ­, il se barre ! L’homme, souvent, n’a pas assez de respect pour la femme, et le politicien n’a pas assez de respect pour la population.

De ce point de vue, Ségolène Royal serait-elle un homme comme un autre ?

C’est un homme politique comme un autre… Mais elle est de gauche, et, dans l’état actuel des choses, je voterai sûrement pour elle. Parce que je suis de gauche et que j’irai à gauche, quoi qu’il arrive.

Et Nicolas Sarkozy ?

Il a des côtés brillants. Il maîtrise l’instrument politique, à l’américaine. C’est un Américain. Il me fascine. Il est ambigu. Il fait de la très vieille soupe dans de vieux pots : « La France, aimez-la ou quittez-la » . Faut arrêter ! Mais il est aussi capable de fulgurances, comme lorsqu’il abolit la double peine. S’il ne faisait pas cela parfois, il n’existerait pas. Sarkozy, on n’en parlerait même pas ! Mais je crois qu’il est parti trop vite, trop fort. Ce qui ne paie jamais. Je tiens ça d’Hicham El-Gerroudj [athlète marocain recordman mondial du 1 500 mètres. NDLR]. Mais « la France aimez-la ou quittez-la » , non ! On vit tous des crises identitaires. Moi, j’en vis plusieurs à la fois. Et on me renvoie sans cesse à cette crise. Souvent, mes interlocuteurs ont l’air de me demander pourquoi je suis là. Ils ne trouvent jamais normal que je sois là. Alors que je suis né en France et que cette question, on ne devrait même plus l’aborder.

Dans une interview que tu as donnée à «~Médias~», il y avait ce titre : « Pour la presse, je reste un Arabe qui a réussi »…

Ce titre m’a un peu gêné. Je suis l’un des mieux lotis, mais quand même ! On m’a souvent fait chier avec des histoires de cachet. Je me suis demandé à un moment s’il était logique qu’on me pose autant la question de l’argent. Quand je dis « on », je parle d’une certaine catégorie de personnes. Ce sont ceux qui mènent les campagnes sur l’insécurité. Ce sont ceux qui font « le Droit de savoir », sur TF 1. Pourtant, je suis la dernière personne dans ce pays à pouvoir se prétendre victime. Mais, avec eux, j’ai toujours le réflexe de me sentir victime quelques secondes. Je sais que le racisme ordinaire existe, la condescendance. Et là, mon statut de comédien n’entre plus en ligne de compte.

Mais toi, à titre personnel, subis-tu encore le racisme ?

Je ne le ressens plus du tout au même degré qu’il y a cinq ans, ça s’est atténué. J’ai fait connaissance avec la France. Je fais partie du village. Mais il m’arrive encore de rencontrer des imbéciles. Or, ce sujet de conversation ne devrait plus avoir lieu d’être. Il m’arrive parfois de l’aborder sans qu’on me le demande. Par réflexe.

Ce qui est le cas, aujourd’hui…

Peut-être. Je me suis déshabitué du racisme à force d’amour. Je suis un enfant gâté par le public. Malgré tout, je resterai toujours un peu méfiant. C’est plus fort que moi. Et vous, Monsieur, vous êtes qui d’abord ? Avant de finir, je voudrais faire un petit coucou à Michèle d’Annecy. Elle se reconnaîtra. Elle soutient Politis , vous pouvez pas imaginer… Michèle, si tu m’oublies, attention !

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