Le mythe du développement durable

Valéry Rasplus est essayiste et sociologue. Selon lui, il ne peut y avoir de
changement global sans une transformation radicale du système économique
actuel. Les invocations «éthiques» ne suffisent pas.

Valéry Rasplus  • 5 janvier 2007 abonné·es

La question politique du développement durable (que certains nomment développement soutenable) fait face à un dispositif économique dominant a priori antinomique avec elle, dit  » capitaliste » ou « libéral » voire « libéral-capitaliste ». Ce nouveau mode de développement visant le long terme, très à la mode depuis quelques années, quoique imparfait dans ses fondements et ses pratiques, se présente avec beaucoup d’espoir comme un sujet économique doté d’une autonomie d’action importante et d’un projet émancipateur progressiste, si possible égalitaire, associé à des qualités humanistes et fraternelles.
Cette notion de développement durable serait donc dans la droite ligne des mondes utopiques réalisables, du meilleur des mondes pour tous, évacuant de fait, dans l’optique la plus optimiste, les distinctions de classes sociales, de situations, de positions. Sa pratique viserait à rechercher un équilibre au sein même de l’actuelle économie, qui globalement se développe et se nourrit de déséquilibres planétaires (engendrant troubles écologiques autant qu’humains) ; à promouvoir un renouveau progressiste (débarrassé des erreurs passées et projetant de dépasser des expériences anciennes) qui semble faire défaut dans nos sociétés en manque de repères et de projets ; et à moraliser la marchandisation et l’exploitation sous toutes ses formes. Il s’agit de réguler/révolutionner un mouvement économique (sans en changer fondamentalement l’essence), identifié comme le grand horloger du monde, encore trop imparfait, semble-t-il, pour voir se réaliser un projet humaniste digne de ce nom et parvenir à un équilibre planétaire débarrassé de toute nuisance, anéantir la misère des hommes et concrétiser le bonheur sur terre.
Quelle société, à travers le temps et les lieux, n’a rêvé de cette réalisation ? Quel candidat politique n’y va-t-il pas de son refrain sur le sujet ?

Est-ce irréalisable ? Peut-être pas. Mais il ne faut pas oublier que les structures économiques concrètes, les modifications économiques potentielles se surviennent ni par la génération spontanée ni par la grâce du Saint-Esprit. Les structures économiques se transformeront à condition que, dans une conjoncture favorable, à une époque et dans un lieu donnés (ou plutôt des lieux, puisque l’économie est un réseau mondial complexe dans sa structure), certains groupes sociaux suffisamment dotés en ressources de pouvoir et de capitaux (économiques, culturels, sociaux, …) croient y trouver leur intérêt. Mais ces intérêts viendront inévitablement se heurter à d’autres : ceux des personnes à qui ce changement serait préjudiciable (l’économie est un champ de bataille plus ou moins euphémisé). De fait, le développement durable, tel qu’il nous est le plus souvent présenté, semble remplir la fonction autrefois dévolue à la religion par ceux qui la critiquaient: un opium du peuple.
Les changements économiques ne pourront se faire hors du système économique global qui nous gouverne et auquel nous prenons, bon gré mal gré, notre part quotidienne. Si une très grande partie du monde est soumise à un système capitaliste ou libéral, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas le seul système économique pensé. Ce qui veut dire qu’un développement durable, dans l’optique optimale d’un développement pour tous (même s’il reste à savoir ce que l’on entend précisément par « développement »), pour être accepté par l’ensemble des économies planétaires, devra recevoir le consentement des groupes dominants qui ne verront pas leurs capitaux, leurs profits et leurs intérêts remis en cause par un tel projet. Voire à y trouveront un bénéfice de plus-value. La « subversion économique » (ou la « révolution économique ») est aussi un produit vendeur, une image de marque…

S’il existe une possibilité de changement global, elle n’adviendra pas par enchantement ou par voeux pieux. Elle ne sera possible que par une transformation radicale (c’est-à-dire, au sens étymologique, à la racine) du système économique actuel. Ce qui implique de rompre avec la recherche, paresseuse ou intéressée, d’une gestion et d’un aménagement du système capitaliste-libéral. Cela ne pourra se faire localement, dans des groupes restreints et corporatistes, mais au sein de structures mondiales suffisamment fortes et puissantes pour peser face aux nobles de l’économie capitaliste-libérale, qui trouvent avantage à ce que le système perdure ou donne l’illusion de modifications par quelques mesurettes, afin de sauver une paix sociale provisoire.
L’économie éthique, le « capitalisme à visage humain » misant sur la morale individuelle des financiers, des investisseurs, des actionnaires, etc. ne font guère mieux que de la charité à bon compte. En fin de compte, le système libéral-capitaliste a encore de beaux jours devant lui. Les structures de replâtrage (Restos du coeur, Secours Populaire, Secours Catholique, Emmaüs, ATD- Quart Monde, Les Enfants de Don Quichottes, …) également.

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