Les oiseaux perdent le Nord

Le réchauffement climatique entraîne des réactions en chaîne sur l’environnement,
qui menacent des espèces entières de migrateurs, expliquent Allain Bougrain-Dubourg et Philippe Dubois, de la Ligue pour la protection des oiseaux.

Claude-Marie Vadrot  • 24 janvier 2007 abonné·es

Rencontrés en pleine « chaleur » hivernale, Philippe Dubois et Allain Bougrain-Dubourg, coordinateur scientifique et président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), avaient prévenu : pour les oiseaux, la première conséquence du réchauffement est qu’ils peuvent être affectés par l’arrivée d’une vague de froid les surprenant en activité printanière précoce. Les migrateurs au long cours, hirondelles, cigognes ou grues cendrées, par exemple, qui s’attardent sur le territoire français ou décident d’y passer l’hiver parce que la nourriture reste abondante, voire ceux qui installent leurs nids plus tôt qu’à l’ordinaire, peuvent être soudain surpris par le froid. Car la migration, explique Philippe Dubois, « n’est pas inscrite dans le marbre et correspond simplement à une disponibilité de leur pitance habituelle » . Des insectes et tout ce qui peut grouiller dans les jardins et la nature tant que la température reste au-dessus de zéro. Le froid étant arrivé cette semaine, alors que le milieu naturel est déjà en pleine effervescence, la réalité rejoint les craintes.

La modification des habitudes de nombreux oiseaux, ceux qui ne partent plus vers le sud et ceux qui ne viennent plus du nord, remonte à une vingtaine d’années, explique la LPO. À première vue, le constat était positif, notamment pour les 2,5 millions de canards qui ne sont plus contraints de se fatiguer pour se réfugier en France et dans le sud de l’Europe, et pour ceux que les conséquences du froid obligent depuis des siècles à se réfugier en Afrique. Résultat exemplaire parmi d’autres : dix couples de cigognes blanches à la fin des années 1970 et un millier actuellement ; croissance également attribuable à la loi de protection de nombreux oiseaux adoptée le 10 juillet 1976. Tout comme pour les milliers de grues cendrées passant désormais l’hiver en Champagne ou dans le sud-ouest de la France.

Autre problème, une part importante des oiseaux partant encore en Espagne ou en Afrique, notamment les petits oiseaux, leur migration n’étant pas directement liée à la météo, française ou autre, reviennent à un moment où, pour cause de radoucissement général, de nombreux insectes et larves ont déjà pris leur envol. Ce qui les prive de nourriture au moment où ils installent leurs nids, pondent leurs oeufs et commencent à nourrir leurs petits. Certaines espèces, comme le pouillot siffleur, ont déjà vu leurs populations se réduire de 80 %.

La France n’est pas le seul territoire où les oiseaux sont menacés par le réchauffement. Ils le sont dans la taïga, la forêt des contrées froides, qui grimpe rapidement vers le nord depuis une trentaine d’années. Aux dépens de la toundra, fréquentée au nord de la Russie et du Canada par une quinzaine de millions d’oies, de canards et de limicoles divers. Dans une vingtaine d’années, la population sera réduite de moitié, une extinction progressive étant envisagée. Et la montée des océans va peu à peu noyer les estuaires où ces espèces trouvent leur nourriture.

La situation des oiseaux est donc très complexe. Ce qu’Allain Bougrain-Dubourd et Philippe Dubois traduisent par un paradoxe : « Partout dans le monde, à cause du réchauffement, des millions d’oiseaux vont mourir en bonne santé ! Il y a toujours eu des modifications climatiques, mais le réchauffement actuel, engendré par les activités humaines, est trop rapide pour que les espèces aient le temps d’adapter leurs comportements ; d’autant plus que les modifications précédentes se sont faites au sein d’une nature quasiment vierge. Désormais, la modification des territoires, la pollution, la fragmentation des milieux s’ajoutent aux modifications aléatoires des climats. Il n’y a que le loup qui soit assez malin, il l’a prouvé, pour changer d’écosystème. »

Les mêmes difficultés s’opposent à la migration nécessaire des espèces végétales. Au cours d’un colloque sur le développement durable organisé le week-end dernier à Courchevel, François Letourneux, patron en France de l’Union internationale pour la conservation de la nature, a expliqué à quel point, dans un espace dangereusement mité, les chênes avaient des difficultés pour « partir » vers le nord, alors qu’ils sont « chassés » par l’élévation des températures moyennes. « Le problème , explique Philippe Dubois, c’est que la biodiversité est le parent pauvre du débat sur le climat et le cadet des soucis des politiques. » Et, comme de nombreux naturalistes, il constate une « mondialisation » de cette biodiversité, qui se traduira par une diminution rapide du nombre d’espèces, y compris celles dont nous aurions besoin pour survivre dans un monde réchauffé ou bouleversé.

Écologie
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