Anticolonialisme : l’indispensable débat

Une trentaine d’associations organisent une semaine de rencontres
pour fédérer les anticolonialistes et dépasser les clivages qui divisent
la gauche. Les explications d’un des organisateurs, Patrick Farbiaz.

Léonore Mahieux  • 15 février 2007 abonné·es

Depuis quelques années, la gauche politique, associative et intellectuelle se déchire sur les questions de la laïcité et du passé colonial de la France. Un nouveau clivage est apparu entre partisans d’une « laïcité ouverte » et tenants d’une « laïcité dogmatique », entre ceux qui « ne veulent pas faire l’impasse sur la question coloniale » et « une frange liée à SOS-Racisme qui ne se reconnaît pas dans ce type de débat », explique Patrick Farbiaz, représentant des Verts et organisateur de la Semaine anticoloniale, qui se tiendra à Paris du 17 au 25 février. « La question de l’anticolonialisme revient dans le débat politique, mais de manière un peu brouillée », éclatée, précise-t-il. Le spectre des thèmes et des acteurs est très large. « Chacun a sa mémoire , constate Patrick Farbiaz, les soixante-huitards, les Algériens, les jeunes d’aujourd’hui. Il n’y a plus de mémoire partagée. Il faut une passerelle entre ces différentes mémoires. Il faut fédérer tous ces anticolonialistes et dépasser les divergences. »

Déjà, en 2005, les Indigènes de la République tentent de recentrer le débat avec leur manifeste. Mais celui-ci, perçu comme trop radical, rompt un peu plus le dialogue. « Les Indigènes de la République ont été isolés par une grande partie de la gauche politique sans que le débat ait été mené », rappelle Patrick Farbiaz.

Aujourd’hui, une trentaine d’associations, du Mrap au Collectif féministe pour l’égalité en passant par les Indigènes de la République ou Peuples sans frontière, tentent de relancer la discussion avec cette Semaine anticoloniale. Huit jours de rencontres, de films, de conférences, d’hommages pour clarifier les choses et se réunir. Une vingtaine de manifestations comme un appel du pied à l’ensemble des anticolonialistes : « Si, demain, SOS-Racisme ou d’autres composantes souhaitent participer à cette semaine avec nous, j’en serai ravi. »

Autres invités incontournables : les historiens, qui ont parfois du mal à trouver leur place dans ce débat. « Notre souhait est qu’ils s’emparent de cette semaine. Leur apport nous semble très important. Mais il faut aussi qu’ils comprennent l’impact de cette histoire dans la société française d’aujourd’hui. » Patrick Farbiaz dénonce l’omerta qui règne en France sur la colonisation, ses séquelles et sa mémoire : « Si on ne fait pas le lien entre la mémoire de la colonisation, les luttes anticoloniales, le rôle post-colonial de la France et les représentations de la colonisation aujourd’hui, on ne comprend rien à l’impact de la guerre des civilisations sur nos sociétés, les rapports Nord-Sud, le débat sur le voile ou la laïcité, et sur l’importation du conflit du Proche-Orient. »

Les thèmes et les générations se télescopent, selon Patrick Farbiaz. Mais ne risque-t-on pas de brouiller encore un peu plus le débat ? Patrick Farbiaz ne sous-estime pas le risque, mais il redit la nécessité « d’évaluer le poids de cet héritage sur la société française. Il faut montrer que ce ne sont pas des questions passées mais présentes dans le débat politique d’aujourd’hui. Les mécanismes de la colonisation ont des impacts tant sur les ressources économiques que sur les identités. Il faut aussi faire le lien, aujourd’hui, entre identité et recolonisation économique, entre identité et situation économique des jeunes issus de l’immigration ».

Une semaine de manifestations pour avoir une meilleure compréhension de la réalité d’aujourd’hui, dans une idée de justice : « Il ne faut pas laisser en friche des pans entiers de mémoire et de crimes impunis. » Patrick Farbiaz relève l’exemple de la Belgique, qui a entrepris un travail sur l’assassinat de Patrice Lumumba. « Il faudrait faire un travail du type de la commission Stasi sur la question du rôle de la France dans les crimes post-coloniaux. La question coloniale est une mémoire dont on ne peut pas faire l’économie. »

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives
Reportage 6 décembre 2025 abonné·es

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives

Sur la plage de Gravelines, lieu de départ de small boats vers l’Angleterre, des militants d’extrême droite britannique se sont ajoutés vendredi 5 décembre matin aux forces de l’ordre et observateurs associatifs. Une action de propagande dans un contexte d’intimidations de l’extrême droite. Reportage.
Par Pauline Migevant et Maxime Sirvins
« J’estime être victime de harcèlement » : Sand, réprimée pour rappeler la loi à un député ex-RN
Récit 5 décembre 2025

« J’estime être victime de harcèlement » : Sand, réprimée pour rappeler la loi à un député ex-RN

À chaque événement public où se trouve Daniel Grenon, la militante d’Extinction Rebellion brandit une pancarte rappelant que « le racisme est un délit ». Un acte pour lequel elle a été convoquée plusieurs fois au commissariat et reçu un avertissement pénal probatoire.
Par Pauline Migevant
Comment le RN a monté en épingle l’enfarinement de Bardella pour s’attaquer aux syndicats
Analyse 5 décembre 2025 abonné·es

Comment le RN a monté en épingle l’enfarinement de Bardella pour s’attaquer aux syndicats

Après avoir qualifié son enfarinement de « non-événement », Jordan Bardella et des députés du Rassemblement national ont été jusqu’à interpeller le ministre de l’Éducation nationale pour infamer les « syndicats d’extrême gauche » qui encourageraient « la violence politique ».
Par Pauline Migevant
À Rennes, l’errance des mineurs isolés, abandonnés par l’État
Reportage 5 décembre 2025 abonné·es

À Rennes, l’errance des mineurs isolés, abandonnés par l’État

Plus de 3 200 jeunes étrangers attendent en France qu’un juge reconnaisse leur minorité. Pendant des mois, ces adolescents vivent à la rue, sans école ni protection. À Rennes, des bénévoles tentent de combler les failles d’un système qui bafoue les droits fondamentaux de l’enfant.
Par Itzel Marie Diaz