La panne

Bernard Langlois  • 1 février 2007 abonné·es

Dimanche 27 janvier, d’un coin perdu de la Sibérie limousine.

C’est les doigts encore gourds que le chroniqueur se remet à son clavier, inerte depuis bientôt une semaine. Fin (provisoire ?) d’hibernation. Lundi dernier, le 22, en début d’après-midi, la neige avait commencé à tomber, d’abord timidement, puis à gros flocons le soir venu. L’hiver était enfin au rendez-vous, après une longue période de printemps précoce qui avait réveillé, bien trop tôt, une végétation endormie. On s’en réjouissait plutôt : que serait un hiver sans neige en nos contrées de moyenne montagne, je vous le demande ? Soirée paisible au coin de feu, occupée à quelque lecture. Jusqu’à 23 h 10 et les premiers bâillements. Alors, la panne.

Les coupures d’électricité ne sont pas rares par chez nous. Toujours avoir quelques bougies à portée de main. Pas lieu de s’émouvoir. On va se coucher à l’ancienne, bougeoir en main. Follement romantique !

Mardi matin, toujours pas de courant. La neige est tombée toute la nuit, et tombe encore, la couche atteint bien les vingt centimètres. Ça ne s’arrêtera pas de la journée. Commence à faire frisquet dans la maison : nous nous chauffons au fioul, mais la chaudière ne démarre pas sans courant… Ni chauffage, ni eau chaude. Toilette de chat. Écoute de la radio locale (France bleue Creuse), qui donne en permanence l’état de la situation : pas brillante ! 25 000 foyers privés d’électricité, routes impraticables, transports scolaires suspendus, rencontres sportives ou autres annulées, services de l’équipement, pompiers et EDF sur les dents, cellule de crise à la préfecture, priorité aux hôpitaux, maisons de retraite (normal), etc. Journée au coin du feu de bois. Sorties limitées au voisinage immédiat : le voisin est tout seul, sa femme à l’hôpital de Guéret pour une intervention bénigne, elle devait sortir ce matin : elle reste bloquée pour la journée, on verra demain. Le voisin vient dîner chez nous, aux chandelles.

Morne plaine : il neigeait, il neigeait toujours. Trente, trente-cinq centimètres de neige qui tient.

Froid de loup

Mercredi matin : il ne neige plus, mais il fait un froid de loup. La température a chuté brutalement pendant la nuit : – 15 °C. Toujours pas de lumière, donc pas de chauffage. Et maintenant, téléphone coupé (il va le rester 24 heures).

Mais soleil radieux sur les champs et bois alentour. Promenade autour du hameau, neige jusqu’en haut des bottes, vaches et chevaux enfoncés jusqu’au jarret, photos : c’est magnifique. Visite aux fermes voisines, tout va bien : passez les commandes, on va tenter une sortie jusqu’à Guéret, rapatrier la voisine (qui se morfond, mais au chaud !) et ramener du ravitaillement. La radio : l’équipement, l’EDF, etc. On mettra une bonne heure pour gagner la ville (20 km), avec un long détour pour éviter les petites routes encore encombrées d’arbres abattus (ma petite Kangoo 4 X 4 s’est vaillamment comportée). Redîner aux chandelles avec les voisins et partie de cartes (clair-obscur, un Rembrandt !) pour occuper la soirée. Avec une p’tite gnole en appui. Faut c’qui faut !

Dodo.

Ras la casquette

Comme ça jusqu’à samedi soir (j’abrège), 21 h 09 : cette fois, c’est nous qui dînons chez les voisins, quand au dessert la lumière jaillit ! Ça fait tout drôle.

De lundi soir à samedi soir : sans lumière, sans chauffage (on est tombé à 10 °C dans la salle de séjour, à deux mètres du feu de bois, ailleurs dans la maison, j’vous dis pas…) parfois sans téléphone, sans courrier, ça fait long tout de même. Tout le monde commençait à en avoir ras la casquette. Ça commençait à râler sec sur Radio bleue Creuse, même si les animateurs s’efforçaient de couper court aux récriminations des chers z’auditeurs ; et la préfecture avait mis en place l’inévitable cellule psychologique… ; même si, comme toujours dans ces cas-là, une solidarité spontanée a joué à plein pour les plus âgés, les plus isolés ; même si un bon copain a pu, en fin de semaine, nous prêter un groupe électrogène qui a sauvé l’essentiel du congélateur ! Banalité que de le dire : sans l’électricité, nos sociétés modernes sont salement handicapées. Surtout dans les zones rurales (aujourd’hui, lundi 29, encore « quelques centaines » de foyers dans le noir…).

Voilà : rançon du privilège de vivre au calme, dans un pays superbe, une nature préservée (à l’instant, une biche traverse le jardin enneigé ; et c’est un ballet incessant de mésanges, rouges-gorges et autres passereaux autour de nos fenêtres, où ma femme assure le ravitaillement de ces aimables compagnons à plumes…). C’est ce qu’on se dit.

Services publics

Mais on se dit aussi que ce n’est pas tout à fait normal. Qu’il neige en hiver, rien de plus ordinaire. Mais il est inacceptable que rien ne soit anticipé alors que nous sommes instruits des conséquences de ces intempéries (ce n’est pas la première fois que nous vivons ce genre de situation, et la tempête de l’hiver 1999 est encore fraîche dans les mémoires).

Les équipes de réparateurs, venus de tous les coins de France, ont fait de leur mieux dans des conditions difficiles, personne n’en doute. Ainsi que les différents services compétents auxquels se sont adjoints quelques renforts militaires. Mais c’est en amont que ça pèche : dans nos zones boisées, trop peu de lignes sont encore enterrées ­ ce qui serait le seul moyen d’empêcher les coupures ; et, même si ce n’est pas possible de les enterrer toutes, il faudrait pour le moins veiller en permanence à l’état du réseau. Que s’est-il passé ? Très simple, et pas besoin d’être un expert pour s’en rendre compte : sur la plupart des routes secondaires, les arbres qui les bordent touchent les fils (responsabilité des propriétaires, qui omettent d’élaguer les bordures de leurs champs : parbleu ! De moins en moins de paysans pour des exploitations de plus en plus étendues…). Quand la neige tombe en masse, puis gèle sur les arbres à la suite d’un gros coup de froid, comme cette année, les branches basses ploient sous le fardeau, cassent, entraînant le fil avec elles : courant et téléphone coupés, routes barrées de branchages ; sans compter les vieux poteaux mal entretenus qui se cassent. Et là, la responsabilité des services publics est clairement engagée et celle de l’entreprise EDF notamment : c’est dans nos zones isolées qu’on mesure le mieux comme les politiques de privatisation rampante, de rentabilisation ­ dans tous les domaines : train, courrier, électricité, etc. ­ pénalisent les populations, ces usagers que nous étions et qui sont partout devenus des « clients ».

Clients sûrement moins intéressants que d’autres…

Humilité ?

Sûr qu’après une épreuve collective de ce type, les bonnes résolutions vont fleurir… Comme à chaque fois.

Tel bon ami me signale que le préfet a pris un coup de sang et va sévir pour obtenir des propriétaires qu’ils élaguent régulièrement les arbres en bordure des routes (quitte à le faire faire d’autorité par ses services en faisant parvenir la facture via les perceptions) : bien ! Mais les préfets passent… Autre exemple, pêché dans le journal local ( L’Écho de la Creuse ) : « Dès la tempête de 1999, il avait été décidé d’équiper toutes les maisons de retraite en groupes électrogènes. Le constat est accablant : rien n’a été fait ! » Bien sûr, dans tous les domaines, le maintien d’un service public de qualité a un coût. Mais mesure-t-on celui des interventions en urgence, des mobilisations et déplacements de personnel et d’équipements en nombre, des réparations dues à un entretien régulier insuffisant ? « La déferlante des éléments nous rappelle peut-être à quelque humilité » , conclut un autre article du même quotidien.

Certes, confrère, soyons humbles ! Mais que ça ne nous dispense pas d’être exigeants ; et combatifs contre une logique marchande à l’oeuvre qui tend à faire régresser les conditions de notre vie en société…

Le grand sujet du jour : le réchauffement climatique (que seul Claude Allègre semble n’avoir pas remarqué). Nous sommes appelés à une action symbolique, ce premier jour de février : éteindre toutes nos lumières pendant cinq minutes de 19 h 55 à 20 h.

Peut-être qu’ici, en Creuse, on va s’en dispenser.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 7 minutes