La ruée vers l’écologie

Denis Sieffert  • 1 février 2007 abonné·es

Depuis trente ans que le mot nous est familier, l’écologie a parcouru l’échelle de la notoriété d’un extrême à l’autre. De la marginalité indocile de René Dumont à la foire d’empoigne. De la voix singulière de Cassandre, inaudible parce que trop isolée, trop révolutionnaire dans un univers conditionné par le productivisme, à la cacophonie. Qui donc est le plus écologiste ? Et qui le plus ancien ? Et qui le plus efficace ? Les candidats à la présidentielle rivalisent pour s’approprier le label. Laquerelle en paternité fait rage. À cet égard, on peut concevoir l’amertume des Verts. L’imposture commence lorsque ­ sciemment ou non ­ on confond le diagnostic avec la thérapie. Sur le constat, il ne se trouve plus personne de sérieux pour contester les conclusions du rapport du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat publiées ces jours-ci à Paris : au rythme actuel, on peut envisager une augmentation d’au moins 2 °C de la température terrestre d’ici à la moitié du siècle. Si la tendance ne s’inverse pas, des villes comme Londres, Shanghai, New York ou Tokyo seront menacées par l’élévation du niveau des eaux qui résulte de la fonte des glaces. Notre humble unité de compte étant la durée de la vie humaine, le phénomène nous a longtemps paru lointain et abstrait. Mais le danger se rapproche aujourd’hui au point que l’on commence à penser à nos enfants ou à nos petits-enfants. La statistique prend soudain un tour quasi charnel. Elle se rapproche aussi de notre « Nord » géographique et sociologique. Il n’est plus seulement question des Maldives ou du Bangladesh, mais de Londres et de New York. C’est sans doute la raison de cette ruée vers l’écologie.

Il suffisait de voir l’enchaînement des sujets des journaux télévisés, lundi soir, pour s’en convaincre : nous sommes tous écologistes. Climat, pollution maritime en Bretagne, pollution maritime en Andalousie, tabac, et j’en passe… Mais, tenez, parlons du Napoli , ce tanker qui, selon toute vraisemblance (des analyses devraient le confirmer), exhale sa cargaison sur le littoral breton, entre Perros-Guirec et Morlaix. Il rappelle comme deux gouttes de fioul son ancêtre le Torrey Canyon , qui, voici tout juste quarante ans (quand le mot écologie n’avait pas encore envahi notre discours), répandit les mêmes déchets mazoutés sur les mêmes côtes bretonnes. Bien entendu, il serait aussi inexact qu’injuste d’affirmer que depuis 1967 rien n’a été fait. Lacirculation a été réglementée. Lesvilles bretonnes se sont organisées. Mais, après tant de catastrophes, n’est-il pas consternant d’entendre un commissaire européen ­ en l’occurrence le Français Jacques Barrot ­ juger « urgent » le renforcement de la législation sur la sécurité maritime ? On m’objectera que cela vaut toujours mieux que de dire le contraire. Mais tout de même : il y a loin entre cette « prise de conscience » dont on se repaît et les solutions.

C’est qu’entre les deux il y a la logique de notre monde marchand. Lecargo échoué dans la baie d’Algésiras, au sud de l’Espagne, navigue sous pavillon de complaisance panaméen. L’un de ces « paradis fiscaux », refuges d’armateurs la plupart du temps occidentaux, qui embauchent à vil prix des marins du tiers monde. N’oublions pas que la mondialisation libérale a commencé par la mer. Avec le Napoli , on a au contraire un porte-conteneurs moderne, sous pavillon britannique, mais dont le gigantisme est inadapté àla plupart des ports. Il s’agit de transporter le plus vite possible, entre la Chine et l’Europe, les plus grosses cargaisons possibles. Avec le rafiot panaméen comme avec le porte-conteneurs britannique, c’est la même logique de profit rapide.

Une semblable démonstration peut être faite à propos du climat. Le refus du pays le plus pollueur du monde, les États-Unis de George W. Bush, de limiter ses émissions de gaz carbonique pousse jusqu’à la caricature cette contradiction entre l’irresponsabilité d’un système qui exalte la jouissance immédiate de l’argent et l’impératif écologique. Et les États-Unis ont bon dos. Car nous savons aujourd’hui que même le traité de Kyoto, que les Européens ont signé, est très en deçà des nécessités. Nul ne peut plus ignorer que l’écologie n’est pas seulement l’environnement. Il n’y a pas de véritable solution qui ne prenne en compte la dimension économique et sociale. Sous peine de transformer la fameuse « prise de conscience » en « bonne conscience ». Lorsque les participants au forum économique de Davos passent dans lamême journée d’un lamento sur le réchauffement climatique à la relance du cycle de Doha, dont l’objectif est précisément de généraliser la libéralisation des échanges, on ne peut être qu’incrédules. Comme le dit avec force José Bové dans l’entretien qui suit : « L’écologie n’est pas un consensus. » La lamentation peut être consensuelle, pas les solutions.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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