L’immigration ne saurait-elle être qu’« utile » ?

Les contributions récentes de chercheurs mettent souvent en avant la contribution des immigrés
à la croissance économique ou à la démographie.

Olivier Doubre  • 8 février 2007 abonné·es

Dans un ouvrage au titre en forme de question douloureuse, la juriste Claire Rodier évoque ces camps pour immigrés illégaux qui, après avoir été créés partout dans l’Union européenne (UE), se multiplient aujourd’hui à ses frontières sur l’ordre de nos gouvernements. L’ancienne présidente du Gisti dénonce ainsi cette « construction de l’inacceptable » . Aujourd’hui, par une sorte de décentralisation de la traque aux « clandestins », des pays comme la Libye ou l’Ukraine ont sur leurs territoires de véritables camps fermés, avec miradors et barbelés en bonne et due forme, dédiés à l’enfermement de candidats malheureux à l’immigration dans notre riche Europe, interpellés par les polices de nos dévoués voisins. Intitulée sobrement « externalisation » de la politique d’immigration de l’Union, cette pratique montre à quel point les États européens ont progressivement transigé en matière d’immigration sur les droits de l’homme, jusqu’à promouvoir le « retour des camps » sur le Vieux Continent…

Or, on sait combien le débat public a été littéralement infecté depuis la fin des Trente Glorieuses par un sentiment de repli sur soi, qui a fait souvent des immigrés les boucs émissaires des problèmes de la société française. Pourtant, la plupart des chercheurs qui travaillent sur les questions migratoires s’accordent sur le caractère inéluctable du phénomène migratoire. C’est le cas de Sami Naïr, professeur à Paris-VIII, qui pense l’immigration en termes de « chance » pour la France. Selon lui, il faudra bien un jour se décider à concevoir les flux de population comme « des contraintes incontournables de l’économie et de la démographie mondiales » . Si cet ancien conseiller de Jean-Pierre Chevènement souligne « l’échec » des politiques de fermeture des frontières mises en oeuvre depuis la fin des années 1970, il ne cache pas sa « déception » vis-à-vis du gouvernement Jospin, qui conservait, selon lui, la même « obsession de faire partir les gens » . L’un des grands mythes français en matière de politique migratoire est en effet le « retour » des personnes qui ont immigré dans l’Hexagone. C’est là une erreur fondamentale, dénoncée par Sami Naïr, défenseur au contraire d’une véritable intégration dans la République et d’un « changement de regard » sur l’immigration. Fustigeant la « cécité » des responsables politiques, son ouvrage a le mérite certain de mettre en avant une analyse positive du phénomène migratoire. Toutefois, l’auteur reste prisonnier d’une conception nationale-républicaine très française, qui voit d’abord l’immigration comme un « vecteur de puissance » pour la France. Tout en mettant en avant le concept de codéveloppement, qui sous-entend une plus grande liberté de circulation des personnes, Sami Naïr souhaite une immigration « maîtrisée socialement et culturellement » . Outre leur contribution à la croissance économique, les immigrés doivent donc aller, selon lui, jusqu’à « l’intériorisation de la francité » , condition de la « transformation » de populations d’origines étrangères en « nouveaux citoyens » . On n’est pas loin de la vieille idée d’assimilation…

Une approche plus pragmatique est celle du démographe François Héran, qui analyse l’évolution potentielle à court et moyen termes de la population française. « Le brassage des populations est en marche, et rien ne l’arrêtera. Il n’y a pas à se demander s’il faut être pour ou contre : ce serait aussi vain que de se demander si nous devons être pour ou contre le vieillissement. » À partir des chiffres des recensements européens, l’auteur observe cette tendance au vieillissement « par le bas » (baisse des naissances) ou « par le haut » (augmentation de la durée de la vie) qui touche tous les pays européens. Si la France conserve (à la différence de ses voisins) un taux de fécondité proche de deux enfants par femme, le solde naturel ne peut que s’éroder, notamment lorsque la génération du baby-boom commencera à disparaître : « La chance de la France, par rapport à la plupart des pays européens, est d’avoir un délai de grâce pour s’y préparer, à peu près l’espace d’une génération. » Or, contrairement à ce que l’on entend souvent, ce n’est pas le taux de fécondité relativement plus élevé des populations immigrées ­ par définition moins nombreuses que la population indigène ­ qui peut corriger la chute du solde naturel de la population française, mais bien le solde migratoire : « La migration deviendra en tout état de cause le principal moteur de la dynamique démographique. » Il ne sert à rien de tenter d’aller contre, à moins de voir la population diminuer…

Société
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