Clémentine Autain : « L’égalité entre les sexes reste à conquérir »

Pour Clémentine Autain, être féministe c’est à la fois revendiquer un héritage et avoir conscience du chemin qui reste à parcourir. Aujourd’hui, l’enjeu est de passer d’une égalité formelle à une égalité réelle.

Clotilde Monteiro  • 8 mars 2007 abonné·es

Comment s’est éveillée ta conscience politique ?

Clémentine Autain : J’ai eu la chance de grandir dans un univers politisé, très à gauche. On parlait beaucoup de politique à la maison.

Keny Arkana ne croit plus au changement par le haut mais à l’auto-organisation. Qu’en penses-tu ?

Je crois qu’il faut trouver une nouvelle équation entre mobilisations sociales et changements institutionnels, et savoir allier réformes et révolution. C’est l’un des objectifs des collectifs antilibéraux. La marche du monde vers toujours plus de libéralisme économique, de rapports de domination et de dégradation de la planète n’est pas inéluctable. Les peuples doivent se lever pour contester le capitalisme mondialisé et porter les valeurs d’égalité, d’émancipation, de justice sociale. Le partage des richesses et des pouvoirs doit être au coeur de notre projet politique.

Tu es une féministe militante, qu’est-ce que ça signifie pour toi aujourd’hui ?

Pour moi, être féministe, c’est s’inscrire dans une histoire, celle des mouvements pour l’émancipation des femmes. C’est revendiquer un héritage et avoir une conscience aiguë du chemin qui reste à parcourir. C’est s’inscrire dans une dynamique collective qui vise à changer les rapports sociaux entre les sexes, en droit comme en fait. Être féministe, c’est comprendre le lien profond qui existe entre les propos sexistes, les viols, l’inégale répartition des tâches domestiques, le harcèlement sexuel, etc. : tous ces éléments participent de la domination masculine qui s’exprime et s’imprime dans les détails des relations de la vie quotidienne, jusque dans les violences les plus abjectes.

Comment expliques-tu que les féministes n’aient plus bonne presse, depuis le début des années 1980 ?

Les féministes n’ont jamais eu bonne presse ! Dans les années 1970, les stéréotypes sur elles étaient légion, on les traitait déjà d’« hystériques » et de « mal baisées ». Avant, ce n’était pas tellement mieux non plus, elles étaient considérées avec mépris comme des « viragos », de vulgaires « suffragettes ». L’antiféminisme a toujours été très prégnant. Son objectif est politique : il s’agit de dénigrer le fond du combat féministe.

Quel est le bilan de cette dernière décennie pour le mouvement féministe, selon toi ?

Après le reflux des années 1980, le mouvement a retrouvé une certaine dynamique, ou en tout cas visibilité : à partir de 1995, je crois qu’il y a eu une reprise. D’abord, la grande manif pour le droit à l’avortement et à la contraception à l’automne 1995, puis le lancement du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), le mouvement pour la parité ou encore les débats sur la prostitution et le port du voile ont marqué un regain. Mix-Cité a fait son apparition en 1997 : c’est l’arrivée d’une nouvelle génération, décidée à militer avec les hommes. On a aussi vu apparaître des mouvements tels que les Chiennes de garde ou les Ni putes ni soumises (NPNS) ­ même si elles ne se revendiquaient pas comme féministes au début. On n’a pas assez de recul, mais je pense que, durant cette décennie, les féministes ont au total marqué des points. Mais il reste tellement à faire…

Quel regard critique portes-tu sur le mouvement féministe ?

Je ne vais pas critiquer le passé, ce serait un peu vain. Je pense que chaque génération apporte sa contribution. La manière d’appréhender la question change avec les époques. Les débats ne peuvent pas se poser dans les mêmes termes à l’orée du XXIe siècle que dans les années 1950. Je pense que le mouvement féministe est en difficulté aujourd’hui comme l’est l’ensemble du mouvement social. On ne peut pas le traiter à part. C’est aussi plus compliqué de nos jours parce qu’il faut se battre sur des luttes qui semblent moins tangibles. L’enjeu contemporain, c’est de passer de l’égalité formelle à l’égalité réelle. Les victoires paraissent plus floues que lorsqu’il fallait arracher une loi. Cela dit, nous avons encore à conquérir sur le terrain législatif ! Le CNDF a réalisé un travail considérable avec le projet de loi-cadre sur les violences faites aux femmes. Cette thématique doit s’imposer dans le débat de la présidentielle et des législatives. Les violences faites aux femmes sont l’expression ultime de la domination masculine.

Je plaide également pour la création d’un grand service public d’accueil de la petite enfance. Les politiques familiales constituent un levier majeur pour parvenir à l’égalité. La gauche doit être offensive et novatrice sur ce terrain.

La domination est-elle plus subtile aujourd’hui ?

Oui, comme le disait Pierre Bourdieu, « on fait comme si la révolution féministe était un fait accompli ». Je fais partie d’une génération qui a grandi avec la pilule, l’école mixte et l’illusion bien pratique d’une égalité entre les hommes et les femmes. Alors, quand on se rend compte de la réalité, on tombe de l’armoire…

Est-ce que tu fais partie de ceux qui pensent que les femmes sont les premières responsables de cette situation de domination ?

Ah non, quelle horreur ! Ça, c’est la thèse d’Élisabeth Badinter, relayée par Valérie Toranian et d’autres, alimentée parfois de manière sournoise par les NPNS. Pour elles, les femmes sont actrices de leur propre domination, et les féministes seraient quasiment responsables du fait que l’égalité n’avance pas. Il est assez insupportable de commencer par taper sur les féministes pour prétendre faire avancer les droits des femmes. Elles font abstraction du phénomène d’intériorisation de la domination. Dans un contexte de domination, les femmes font ce qu’elles peuvent et sont souvent contraintes d’user de stratégies de contournement et d’adaptation. Il faut bien survivre ! Cela ne fait pas de nous des complices à dénoncer. L’essentiel, ce n’est pas de chercher les coupables mais de déconstruire les mécanismes à l’oeuvre pour promouvoir de nouvelles relations entre les hommes et les femmes, fondées sur les valeurs d’égalité et de liberté.

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