Le désastre Airbus

Jacques Cossart  • 8 mars 2007 abonné·es

On assiste à l’heure actuelle, avec Airbus, au spectacle pitoyable et dramatique que les propriétaires du capital, avec le soutien empressé des pouvoirs publics, donnent sans la moindre vergogne. Car il s’agit bien du processus classique qui veut que les inconvénients ­ financiers en particulier ­ soient supportés par l’ensemble des citoyens, et les avantages ­ financiers d’abord ­ accaparés par un petit groupe de privilégiés. Ceux-là même qui, en 2006, ont fait un bénéfice net de plus de 80 milliards d’euros pour les seules entreprises françaises du CAC 40. C’est le traditionnel « privatisons les profits et socialisons les pertes ».

Bien entendu, les citoyens, ceux vers qui ces grands princes vont « externaliser », ne sont jamais consultés sur les choix qui sont faits. Quand donc nous a-t-on demandé s’il était normal qu’une entreprise aussi prestigieuse que l’Aérospatiale soit offerte au groupe privé Matra, propriété du groupe Lagardère ? La voie était ainsi ouverte à la privatisation, grandeur nature, du Groupe EADS (European Aeronautic Defence and Space company). L’État français détient toujours 15 % du capital, ce sera très confortable pour les propriétaires privés qui essaient de se désengager devant une rentabilité qui ne leur convient plus !

Le programme spatial et de construction aéronautique, qui pour le moins pèse considérablement en avantages et inconvénients, devrait-il être décidé par quelques actionnaires ? On nous avait pourtant assuré que toutes ces dispositions obéissaient à des exigences de rationalité économique, exigences auxquelles le secteur public est, bien entendu, totalement imperméable. On voit aujourd’hui le résultat. Airbus, filiale à 100 % d’EADS, après son projet pharaonique du très gros avion A380 (qui semble peu adapté aux marchés, pourtant réputés comme l’alpha et l’oméga de la saine conduite économique), décidé une fois encore dans le secret des cabinets, est « contraint » de réduire ses coûts. Moralité, un plan de licenciement de dix mille hommes et femmes ! Voilà une bien belle politique industrielle qui, à coup de communiqués triomphants, visait en réalité à faire monter les cours boursiers. Quel gâchis, au seul profit de quelques actionnaires et au détriment de plusieurs dizaines de milliers de personnes !

Le groupe EADS a besoin aujourd’hui de ressources pour financer les avions qui devront assurer son avenir, auquel le dispendieux A380 paraît ne pas pouvoir faire face ! Ressources financières, dites-vous ? Le Figaro , dans sa livraison du 1er mars 2007, nous prévient aimablement : « Le groupe ne peut en aucun cas compter sur ses actionnaires privés, l’Allemand DaimlerChrysler et le Français Lagardère. » Une fois encore, ce seront les citoyens, à travers les ressources publiques, qui devront pallier les impérities privées. Non seulement dix mille d’entre eux seront jetés au chômage, mais encore le coût devra-t-il être supporté par des ressources publiques. Et les responsables du désastre humain et financier ne seront pas même appelés en couverture des besoins, auxquels les États devront sans doute répondre.

Demander des comptes devant la Justice, comme on le fait pour le moindre voleur de pommes ? Vous n’y pensez pas ! La tolérance zéro ne passe pas par là.

Vive le marché ! Voilà, en effet, un bien beau succès ! Que nous proposent alors les candidats à la magistrature suprême ? D’un côté, on nous dit que l’actionnariat n’est pas adapté ; d’un autre, il s’agirait d’annuler ce « Power 8 ». On voit parfaitement que ce n’est ni en faisant « rentrer » de nouveaux actionnaires, comme cette banque russe qui a pris 5 % de capital il y a un peu moins d’un an, ni en concoctant un super « Power 9 » que la France et l’Europe répondront aux défis qui sont devant elles.

Ce désastre industriel et humain illustre un autre échec, c’est celui de l’Union européenne. Engluée dans cette « concurrence libre et non faussée », elle est incapable d’imaginer une politique industrielle pour la mettre en débat et prendre de saines dispositions face à la sous-évaluation des dollars du « concurrent » Boeing. Des alliances temporaires, fondées sur les seuls intérêts privés financiers, sont, évidemment, incapables de participer de manière constructive à ce débat.

Une fois encore, la logique de compétition, à l’inverse de celle de coopération, dont on sait pourtant qu’elle est la seule qui vaille, s’impose. Le président Chirac a eu beau exiger qu’il n’y ait pas de « licenciements secs », lors de la rencontre à Berlin, le 23 février, avec la Chancelière Angela Merkel, ce n’est pas pour autant qu’une politique industrielle commune sera définie.

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