Le poing levé

Ingrid Merckx  • 29 mars 2007 abonné·es

Pas évident de savoir ce qui se passe dans la tête des autres. Surtout quand ils sont murés dans une dépression. Lulu (Chloé Coulloud) ne se souvient pas avoir vu sa mère (Karin Viard) sourire. Quand elle est prostrée sur son banc, dans le jardin, Lulu imagine qu’elle ne contemple pas le vide mais un écran de cinéma sur lequel défilent tous les morts de sa famille depuis des générations… Mettre des images, des mots, sur les silences, les non-dits, les tabous, les douleurs, les secrets et leurs conséquences, c’est son obsession à Lulu. Pas pour sauver le monde, juste pour comprendre. La quinzaine bourrue ­ ne l’appelez pas Lucile, elle vous cogne ­, toujours en jean et sweat rouge, encombrée par ses rondeurs, la moue boudeuse, elle cultive un art peu commun de la réplique cassante. Mais elle est solaire aussi, et joliment attentive à ce qui l’entoure : cette mère nouée, ce père tristement aux petits soins (Pascal Elbé), sa pin-up de copine, ce type du lycée qui lui plaît, Jane Birkin, qu’elle a élue mère de substitution, ou ce drame familial qu’elle va tenter de court-circuiter. Ce qui lui traverse l’esprit, pensées automatiques et coups de gueule, jaillit en voix off par un stratagème qui tient moins de la narration que de l’aparté au théâtre. Et la mise en scène est calée sur son regard, volontiers fantaisiste, parfois un brin surréaliste.

Ce double décollement par rapport au réel permet à Carine Tardieu, dont c’est le premier film, d’attaquer des sujets graves ­ la dépression, les amours et la sexualité de ses parents, les silences familiaux, la mort ­ avec une singulière légèreté dans la forme. Il n’est pas question d’insouciance, de dérobade ou de rage, comme souvent avec un personnage adolescent, mais d’une lucidité qui, en s’éveillant, refuse de se passer du secours de l’imaginaire, et de l’humour. Dans la tête de Maman est à la fois un film sur Lulu, et le film qu’elle se fait. Sa projection privée, et ce qu’elle projette. Le jeu de balancier entre ces deux niveaux de conscience n’atténue pas la souffrance existentielle, mais la rend moins accablante. Les acteurs en paraissent transfigurés. Il y a, dans l’effet Lulu et sa lutte contre la pesanteur, une forme d’engagement.

Culture
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