Relocaliser le développement

Dominique Plihon  • 22 mars 2007 abonné·es

Il est devenu évident pour l’immense majorité que la mondialisation néolibérale est un système économique inefficace et injuste. Les dégâts écologiques de la course au productivisme risquent de devenir irréversibles. Les inégalités s’amplifient entre les pays de la planète et à l’intérieur des pays. Le cas de la Chine, considérée comme la grande gagnante de la mondialisation, est révélateur. Les inégalités de revenu n’y ont jamais été aussi fortes (de 1 à 3) entre la zone côtière industrialisée et les 800 millions de paysans. Par ailleurs, les déséquilibres internationaux ne cessent de s’amplifier : le déficit abyssal des États-Unis pompe les deux tiers de l’épargne mondiale, tandis que la Chine accumule des réserves de 1 000 milliards de dollars… Une grave crise financière internationale se profile à l’horizon.

Le seul remède de fond à la mondialisation néolibérale est la mise en place d’un modèle de développement moins extraverti. Aujourd’hui, en effet, le commerce extérieur a pris une place excessive dans la plupart des pays de la planète à la suite d’une libéralisation commerciale beaucoup trop poussée. Chaque pays cherche à prendre des parts de marché à ses concurrents par tous les moyens pour stimuler sa croissance. Dans ce jeu inégal, il y a des perdants et des gagnants, en dépit de la doctrine néolibérale qui veut que tous les partenaires aient intérêt au libre-échange.

Comment favoriser un développement moins dépendant des aléas extérieurs ? Plusieurs séries de propositions ont été avancées à ce sujet, dans ces colonnes et au sein d’Attac [^2]. Parmi celles-ci, le recours au protectionnisme. Cette arme doit être maniée avec prudence, car elle risque d’avoir des effets pervers, et elle n’est pas à la hauteur des enjeux. Le danger provient de ce que la fermeture des frontières est une démarche non coopérative. Les pays du Sud ne comprendraient pas que les pays du Nord ferment leurs frontières à leurs exportations, car ils n’auraient plus les moyens ­ sauf à s’endetter ­ d’importer les biens industriels et les technologies dont ils ont besoin pour se développer. L’autarcie est aussi dangereuse que l’ouverture totale. Il est donc préférable d’opter pour une ouverture extérieure sélective et négociée [^3], afin de favoriser une relocalisation des activités économiques et de protéger les secteurs prioritaires comme l’agriculture vivrière et les industries naissantes.

Le principal objectif doit donc être de réorienter la production et la consommation vers le marché intérieur, en cherchant à répondre en priorité aux besoins non satisfaits. Un tel rééquilibrage implique des politiques publiques volontaristes. Dans les pays en développement, un État social fort est nécessaire afin de couvrir les risques sociaux et d’accroître les dépenses publiques de santé et d’éducation. Pour les pays les moins avancés, généralement pauvres en ressources naturelles et financières, une aide publique internationale massive, pas uniquement financière, est indispensable. La Chine, qui se situe dans la catégorie des pays intermédiaires, a compris cet enjeu. Les autorités chinoises viennent de décider des mesures tournées vers la satisfaction des besoins domestiques, ce qui initie un rééquilibrage de leur modèle de développement.

Dans les pays développés, les besoins non satisfaits sont également importants. C’est le cas dans les domaines de la santé, de l’éducation (tout au long de la vie), des banlieues, de la qualité de la vie (gardes d’enfants, aide aux personnes âgées…). Un développement de ces services, sous l’impulsion des politiques publiques, présenterait de nombreux avantages économiques, sociaux et écologiques. Ces dépenses ont en effet un contenu faible en importation, mais élevé en emploi : on a calculé qu’en France le développement des services aux particuliers pouvait conduire à la création de 1 à 3 millions d’emplois [^4]. En second lieu, s’agissant de services, c’est-à-dire de biens immatériels, leur production est peu polluante et peu consommatrice d’énergie. Enfin, le développement de ce secteur renforcera la cohésion sociale en favorisant des relations de proximité et intergénérationnelles.

En somme, l’alternative au néolibéralisme et au libre-échange généralisé passe par la construction d’un modèle de développement plus autocentré, moins productiviste et plus solidaire. Ce modèle sera gagnant-gagnant, au sens où il améliorera la situation de l’ensemble des pays de la planète et des acteurs de la société. À condition que des politiques publiques volontaristes et appropriées accompagnent cette transformation.

[^2]: Voir la dernière lettre électronique du conseil scientifique d’Attac, .

[^3]: Proposition n° 3 du Manifeste altermondialiste d’Attac.

[^4]: « Productivité et emploi dans le tertiaire », rapport du Conseil d’analyse économique, 2004.

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