Défense de s’abstenir !

La soirée électorale du premier tour, entre faux suspense et rivalités d’audiences, a pour seul enjeu de conserver le téléspectateur. Monotone, voire affligeant !

Jean-Claude Renard  • 26 avril 2007 abonné·es

On se souvient qu’en 2002, au soir du premier tour de la présidentielle, ou plutôt en toute fin d’après-midi, dès 19 h, David Pujadas d’un côté, Patrick Poivre d’Arvor de l’autre annonçaient une « grosse », voire une « énorme surprise », devant la trogne joviale de responsables du Front national et la mine déconfite des lieutenants de Lionel Jospin. À soixante minutes des résultats, on voyait le truc venir comme une moissonneuse-batteuse sur une départementale. Avec cette obligation de poids pour les télés : tenir sa langue, quand même l’on connaît les résultats, et surtout tenir son téléspectateur, peut-être pas en haleine mais calé devant sa chaîne, indifférent à l’idée de zapper. C’est long, soixante minutes à ressasser « une grosse surprise » et les seuls chiffres de la participation. Laurence Ferrari convenait, il y a quelques jours, que, dans ces cas-là, « on donne des pistes pour conserver au mieux le téléspectateur » .

Ce dimanche 22 avril, les principales chaînes avaient décidé de prendre l’antenne encore un peu plus tôt, dès 18 h 50. Après « Le Maillon faible » sur TF 1 (dont le titre lançait joliment la soirée), après « Stade 2 » sur France 2. France 3 suivait après son journal régional, et Canal + ouvrait son studio présidentiel à 19 h 10. Tout le monde (ou presque) sur le pont, donc. Ce premier tour est aussi un match entre les chaînes. Les premiers résultats fiables tombent vers 18 h 30, Internet s’est invité dans la soirée et s’ajoute à la concurrence, mais les chaînes n’ont pas le droit, avant 20 h, de laisser s’exprimer leurs invités de marque. Claire Chazal et Poivre d’Arvor sur TF 1, Élise Lucet et David Pujadas sur France 2. Laurence Ferrari sur Canal plus, Audrey Pulvar sur France 3. Sur Canal et France 2, une incrustation au pluriel : « Présidentielles », quand il ne faudrait qu’un singulier.

Pujadas prévient d’emblée : « Il se passe quelque chose ce soir puisque nous sommes dans un taux record de participation. » Même discours chez d’Arvor, qui précise que « cette soirée va durer quatre heures » . Après quoi, France 2 place son JT, et TF 1 dégoupille ses pages de pub. À 19 h 29, sur Canal, la marionnette de PPDA s’exclame : « Coup de tonnerre, parce que cette fois on peut vous annoncer que Lionel Jospin n’est même pas au premier tour ! » À 19 h 34, Pujadas annonce que « le Conseil constitutionnel a autorisé l’ouverture des bureaux de vote au-delà de 20 h, à cause du fort taux de participation et des longues files d’attente » .

Il revient aux Guignols, au même moment, de bousculer cette monotonie. Sarko est en transe de bêtise inquiète, Bruel se dit victime d’un « black day » , Hollande tient en joug Fabius et Strauss-Kahn devant l’urne, Duhamel porte un bonnet d’âne qui préfigure la bayroute, Chirac dépité lâche : « Ah, merde ! » devant le score de Sarko, de Villiers dénonce les mosquées dissimulées sous le plateau de Canal, Baroin est à Eurodisney avec Marie, Borloo trinque au rouge, les chars russes font demi-tour (de mauvais augure pour le parti communiste).

À 20 h, les informations s’emballent. Sur TF 1, Sarko est à 30 % (29,6 sur France 2), Ségolène à 25,2 (25,1 sur France 2), Bayrou à 18,3 (contre 18,7 sur la chaîne concurrente) et Le Pen à 11,5 sur les deux chaînes. TF 1 accueille Hollande, Lang, Borloo, Marine Le Pen et Hue ; Kouchner, Montebourg, Cavada, Raffarin et Strauss-Kahn (qui ne voit encore que quatre points d’écart) sont sur les plateaux de France 2 ; Clémentine Autain sur la 3, en compagnie d’Alain Bocquet, qui puise dans le Guépard de Visconti la citation du jour : « Il fallait bien que quelque chose change pour que tout puisse rester comme avant. » Peu d’indications sur les petits candidats. Passé l’annonce éclair des tout premiers résultats, il faudra attendre presque 21 h pour avoir quelques chiffres. C’est aussi à 21 h que ces chiffres s’affinent, plus près de la réalité, cependant que Sarko parade en voiture façon Chirac en 1995, vitre baissée, interrogé par une caméra de France 2 et saluant Lucet et Pujadas…

À 21 h 36, vêtue de blanc sur fond blanc, bien après ses concurrents directs, Ségolène Royal entame un discours sans charisme. Après quoi, France 2 avance déjà un sondage pour le deuxième tour (54 contre 46 en faveur du candidat libéral). À 22 h 10, TF 1 lâche l’antenne, une heure avant l’heure prévue. Qu’à cela ne tienne, Tapie se veut tête d’affiche sur France 2, graveleux et putassier, confus : « Si moi j’ai choisi Ségo… heu… Sarkozy » , avant de confondre Baylet et Bayrou, de reconnaître aussi avoir picolé dans la loge. Le direct s’enlise, Hollande devient aphone. Il était temps que la soirée s’achève.

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