Génération repolitisée ?

Les écrivains seraient-ils plus enclins à prendre part au débat sur les affaires de la cité ? Deux livres, « Une année en France » et « Avril-22, ceux qui préfèrent ne pas », témoignent d’une certaine forme d’engagement.

Christophe Kantcheff  • 5 avril 2007 abonné·es

Entre les écrivains et la politique, quelque chose est peut-être en train de changer. Il faut entendre ici, sous le terme « écrivains », ceux de littérature. Longtemps, en effet, l’époque de l’engagement obligatoire selon Sartre ­ bien que trop souvent caricaturé ­ a fait figure de repoussoir. L’engagement dans la langue, c’est-à-dire la mise à l’épreuve artistique à travers des partis pris formels, a représenté une exigence plus haute. On ne saurait le dévaloriser : cet engagement distingue généralement les vrais écrivains des simples auteurs. En outre, il n’annule en rien la dimension ou la charge politique qui peut caractériser une oeuvre.

Mais les questions politiques, traitées pour elles-mêmes et donnant lieu à publication, n’ont pas été très prisées par les écrivains. Qu’elles soient spécifiques (on se souvient du silence de ces derniers lors de la tentative de rachat par Hachette de la branche éditoriale de Vivendi, il y a quelques années) ou générales, sinon pour répondre à une situation exceptionnelle et archiconsensuelle, comme, par exemple, celle du second tour de l’élection présidentielle en 2002, où Jean-Marie Le Pen s’est retrouvé qualifié. On note aussi que des écrivains se sont mobilisés pour certaines causes : ainsi de Fred Vargas pour Cesare Battisti. Mais ce sont là des écrivains isolés pour des causes particulières.

Les choses changeraient-elles ? Ou, formulé différemment, les écrivains connaîtraient-ils un regain de politisation ? Le moment ­ une campagne électorale ­ est propice, à l’exclusion des pétitions et comités de soutien, qui ne requièrent qu’un piètre investissement. Deux livres donnent à le penser. Ils sont signés collectivement et ­ signe encourageant ? ­ par de jeunes écrivains.

Le premier, Une année en France, est le fruit d’un trio de romanciers, François Bégaudeau, Arno Bertina et Oliver Rohe ; il est précisé qu’ils sont « d’une génération que l’on dit dépolitisée… » . Ces trois-là veulent démontrer le contraire ­ et ils y parviennent. Leur sujet d’étude : l’année qui a couru du printemps 2005, avec la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne, au printemps 2006, avec le mouvement anti-CPE, sans oublier l’embrasement des banlieues en novembre 2005.

Il n’est pas indifférent que le livre s’ouvre par des propos de citoyens sur le sens de leur vote du 29 mai 2005 : les trois auteurs cherchent à restituer des paroles et à rendre compte des discours qui ont accompagné ces événements. Des témoignages extraits de journaux sont cités, des jugements d’intellectuels (notamment ceux du « philosophe tragique » Alain Finkielkraut, épinglé avec justesse), mais aussi des analyses politiques, que les auteurs estiment souvent insuffisantes.

À propos de ce qui s’est passé dans les banlieues, ils écrivent, usant d’un je collectif : « Gauche : souffrance, révolte. Droite : irresponsabilité, désordre, délinquance. Sinuant entre ces séries, ce qui ne veut pas dire qu’on se tienne à équidistance, il faudrait voir comment ça marche un type qui se trouve à brûler des voitures et à caillasser de l’uniforme dans le noir […]. Je ne parle pas du parcours social ou familial, on le connaît trop bien. Je ne parle même pas de celui, géographique, des parents ou grands-parents migrateurs. Je parle du parcours dans la ville, dans la cité. » Bégaudeau, Bertina et Rohe se montrent soucieux d’envisager les questions dans toute leur complexité. Ce qui ne leur évite pas quelques naïvetés (ainsi le reproche fait à Olivier Besancenot de ne pas être issu de la classe ouvrière). Mais cette exigence pourrait aussi les entraîner dans les eaux saumâtres du juste milieu et les priver d’analyses percutantes. Ce n’est heureusement pas le cas.

Un exemple, mais il est emblématique, à propos de ceux qu’ils nomment ironiquement les « jeunesdebanlieues » . Après avoir dit que les émeutes de 2005 n’étaient pas politiquement « muettes » , ils écrivent : « Quand certains stigmatisent le communautarisme des banlieues, ils ne parlent en fait que de leur propre refus de vivre avec ou au milieu de ces communautés. Et non du choix qu’auraient fait ces communautés prétendument organisées de ne vivre qu’à l’écart. » Voilà qui peut ne pas plaire à tout le monde [^2]
.

Le second livre rassemble des contributions sur un thème plus circonstanciel : quelles sont les raisons de s’abstenir le 22 avril prochain, d’où son titre : Avril-22, ceux qui préfèrent ne pas . Au sommaire : des philosophes, mais aussi des écrivains, des poètes et même un cinéaste (Bertrand Bonello). Si, parmi ces derniers, certains regrettent que le vote blanc ne soit pas compté en tant que tel (Michel Surya, Malek Abbou), plusieurs d’entre eux ont choisi d’intervenir de manière détournée ou métaphorique (Nathalie Quintane, Sylvain Courtoux, Éric Arlix). Le ton est ironique, l’envie d’en découdre évidente, de découdre aussi les évidences du vote rendu moralement quasi obligatoire, depuis un certain 21 avril. Flotte, dans ce livre, un tranquille parfum de désobéissance civile…

[^2]: Dommage, pour la crédibilité du propos, que parmi ces trois écrivains, François Bégaudeau, également chroniqueur sur RTL, ne fasse pas un usage toujours avisé de la forte reconnaissance médiatique dont il bénéficie.

Culture
Temps de lecture : 4 minutes