La rumeur

Bernard Langlois  • 12 avril 2007 abonné·es

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur Sarkozy ! La rumeur court sur Internet, vole de blog en blog. Elle est passée par ici, repasse par là.

Une rumeur qui dit quoi ? Qui dit : « Il y a une rumeur. » Mais encore ? Mais encore, rien. Ça concernerait Cécilia. Ça viendrait d’un article de Minute qu’il faudrait lire entre les lignes (lire Minute , c’est déjà une épreuve, si en plus faut le décrypter…). Non, c’est une journaliste allemande du Sarko-Circus qui l’aurait lâchée. Pétage de plombs, violences conjugales, main-courante, dit l’un ; mais non : un bébé adultérin, l’intérimaire qui revendique, affirme l’autre ; une histoire de fric où serait mouillée Cécilia, croit savoir un troisième…

La rumeur est aux campagnes électorales ce que le sel est à la soupe : un ingrédient dont le gourmet ne saurait se passer. « La politique, c’est comme l’andouillette , disait Clemenceau *, ça doit sentir la merde, mais pas trop ! »*

Il est des rumeurs rigolotes, comme celle que quelques confrères facétieux avaient jadis lancée, prêtant à Pierre Bérégovoy (alors ministre des Finances) une liaison avec Catherine Deneuve… On dit que, lorsqu’elle a fini par remonter aux oreilles du ministre, celui-ci, flatté, s’est gardé de démentir : « Ne le répétez pas trop , aurait-il dit à ses collaborateurs, ça ferait de la peine à ma femme ! » Il est des rumeurs vraies, comme celle qui a longtemps circulé sous le manteau avant d’être officialisée : la fille cachée de Mitterrand. Il en est aussi de dégueulasses, dont celle connue sous le nom d’ « affaire Markovic » , qui visait Georges Pompidou, alors candidat à l’Élysée, en compromettant sa femme. La rumeur peut être innocente, née de la naïveté populaire et propagée par le bon sens de même métal ( « il n’y a pas de fumée sans feu » ) : cette innocence peut néanmoins être ravageuse. Lorsqu’elle est politique, la rumeur est rarement innocente : elle a ses spécialistes, ses officines, ses circuits privilégiés. Pour être efficace, elle doit avoir un fond de vraisemblance, faute de quoi elle fera long feu.

Une rumeur court donc sur Sarkozy. Voire des rumeurs. Curieusement, l’hebdomadaire Marianne , sans rien dévoiler, semble donner crédit à cette rumeur de rumeur. Il nous promet pour la semaine prochaine et sous la plume de Jean-François Kahn un « numéro vérité » (serait-ce que d’habitude Marianne bidonne ?) et nous invite à « retenir dès aujourd’hui ce numéro essentiel. » Pour du teasing , c’est du teasing ! Demain, Marianne enlève le bas !

C’est bien, là encore, Sarkozy qui est visé (aucun doute là-dessus) ; il est pourtant peu probable que notre confrère réserve à ses lecteurs des révélations stupéfiantes (les scoops attendent rarement une semaine pour se périmer), même s’il est question de dire « l’indicible » , de « briser l’omerta que favorise le verrouillage médiatique », de se « libérer de la conspiration du silence. » Plus vraisemblablement, ce que nous promet JFK, c’est de rassembler en gerbe toutes les fleurs de rhétorique du candidat du Medef, du CAC 40, de TF 1 et des rombières de Neuilly, et de nous en faire respirer le parfum nauséabond. Car, effectivement, qu’il s’agisse de ses menaces verbales envers tel ou tel confrère, ou d’un de ses collègues du gouvernement, voire de membres de son équipe ; qu’il s’agisse de ses propos sur l’immigration, de ses projets sécuritaires, du sentiment d’impunité qu’il semble encourager dans les forces de police ; qu’il s’agisse de ses étonnantes conceptions de l’inné et de l’acquis révélées par son débat avec Michel Onfray [^2]­ on serait pédophile, ou suicidaire, de naissance… Une affaire de gènes ! Même Le Pen a trouvé qu’il poussait le bouchon un peu loin ­ : tout ce qui émane spontanément (quand il ne récite pas du Guaino) de ce petit homme dévoré d’ambition ne peut qu’inquiéter ceux qui sont attachés à la démocratie, aux valeurs républicaines. Je suppose que c’est tout ça que veut mettre en lumière l’ami Kahn, qui est en effet fort peu souligné dans des médias tétanisés, « comme si , dit-il, le lapin était déjà fasciné par le boa ».

Pas besoin de rumeur. Ou plutôt, la rumeur est là, sous nos yeux, comme la lettre volée d’Edgar Poe : tout dans son comportement, ses dérapages, ses outrances, ses contradictions, tout indique que Nicolas Sarkozy est un homme dangereux.

Suicide et génétique

Elle a laissé un bout de papier où étaient juste griffonnés ces quelques mots : « Je ne suis pas assez forte. Trop de pression. Travail. » Le suicide, fin février, d’Isabelle, chef de groupe au restaurant d’entreprise Sodexho de l’entreprise Renault-Trucks, à Saint-Priest, s’ajoute à une liste déjà longue.

Des suicides en série chez Renault ; d’autres chez Peugeot ou EDF : pour ne parler que des cas qui reçoivent un peu de publicité. Mais combien d’autres qu’on ne recense pas ? Et si le suicide n’est pas toujours au bout, heureusement, combien de cas de déprime, de mal-être, dus à des conditions de travail dégradées, au harcèlement moral, à l’exigence d’une compétitivité sans cesse accrue ? « Ce ne sont pas les salariés qui perdent la tête, mais le travail lui-même qui devient insensé » , notent trois experts qui s’appuient sur divers travaux récents
[^3]. La souffrance au travail n’est pas un mythe. Elle peut atteindre des gens en apparence équilibrés, heureux de vivre, mais qui en arrivent à ne plus supporter la pression qui s’exerce sur eux. « Il faut travailler plus pour gagner plus ! » , ne cesse de marteler Nicolas Sarkozy. Toujours plus, toujours plus vite, toujours plus seul : chacun à son poste, à son turbin, en concurrence avec les autres, traité « selon ses mérites », disent les patrons (et leur candidat préféré). Où sont donc les « cercles de qualité » , les méthodes nouvelles de production qu’on vantait naguère ? Et où l’accession à cet âge d’or où les robots délivreraient les hommes de la pénibilité du travail ? Isabelle, 41 ans, mère d’un garçon de dix ans, s’est donc donné la mort en jetant sa voiture dans l’Ain. « De plus en plus souvent, elle pleurait le soir en rentrant du travail » , dit son compagnon.

Mais pourquoi s’alarmer ? On n’y peut rien. C’est comme les pédophiles, les gens qui se suicident y sont prédisposés. « Génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. » C’est un type génétiquement programmé pour être empereur des Français qui vous le dit.

Homme neuf ?

Constat de la Ligue des droits de l’homme, à l’occasion de son 84e congrès : nous venons de connaître cinq ans de recul des libertés.

La LDH recense les différentes lois restrictives adoptées depuis 2002, qui touchent la sécurité intérieure, le traitement de la récidive, la lutte contre le terrorisme, la prévention de la délinquance, et qui aboutissent à « une société de surveillance généralisée. » Elle pointe, à travers notamment les lois Perben I et II, une pression policière accrue, un recul des garanties judiciaires, une justice plus sévère et des justiciables plus désarmés, la substitution, pour les mineurs, de la répression à l’éducation. Elle dénonce la « chasse aux marginaux et aux différents » comme la politisation de la répression et du contrôle social, notamment par la reprise en main du parquet par le pouvoir politique… [[Ligue des droits de l’homme,138 rue Marcadet, 75018 Paris,
01 56 55 51 00
et http://www.ldh-france.org.]]. De ce lourd bilan, Nicolas Sarkozy, homme à tout faire du gouvernement finissant, numéro deux aux allures de numéro un, est largement comptable.

Et il voudrait qu’on le prenne pour un homme neuf ?

Histoires de bouseux

Retombée d’un récent bloc-notes (8 mars) où je parlais de la petite paysannerie, ce livre que m’adresse une lectrice, qui fut « conseillère en économie sociale et familiale » [^4]
. C’est-à-dire « accompagnatrice » des agriculteurs en difficulté, des marginalisés, des laissés pour compte de la modernisation. Cette petite paysannerie familiale vouée à l’extinction progressive.

« Ce travail ­ m’écrit-elle ­ a été pour moi source d’incompréhension d’abord, de révolte, de désarroi… en même temps que j’apprenais beaucoup auprès de ces hommes et de ces femmes qui m’ont (presque) toujours bien accueillie. » De ces années-là (1985-1999) passées en Loire-Atlantique, au contact de petits agriculteurs, éleveurs pour la plupart, qu’il s’agissait, au fond, de mener au terme d’une vie de labeur de la façon la moins brutale possible, Françoise Maheux a tiré un livre très touchant, bouleversant même par moment, en partie constitué de son journal de l’époque et, pour la majeure partie, de portraits et de paroles qui disent les espoirs déçus, les regrets, les fiertés aussi. Des « histoires de bouseux » , quoi, comme on dirait à la ville. Qui forment comme un tableau et en disent long sur le malaise dans nos campagnes.

Et dire que beaucoup d’entre eux, par tradition, s’apprêtent à voter à droite !

[^2]: Dans le magazine Philosophie Mag, n° 8

[^3]: Thomas Coutrot, François Desriaux, Nicolas Sandret, « Quand bosser devient insensé », Rebonds, Libé du 5 avril.

[^4]: L’agriculture a changé, qui va leur dire ? Françoise Maheux, Centre d’histoire du travail, 172 p., 15 euros.

Edito Bernard Langlois
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