La visite

Bernard Langlois  • 5 avril 2007 abonné·es

Ça neigeait, vendredi, sur la Creuse ; notamment à Guéret, ville-capitale. Oh, pas une vraie neige épaisse qui colle et enfouit tout sous elle, comme on en a connu il y a peu, non, l’hiver est derrière nous (enfin, sait-on jamais ?), c’était plus des giboulées qu’autre chose, mais quand même : plus question d’un pique-nique à l’étang de Courtille, au sortir de la ville, comme il était prévu ­ et c’est rageant, il faisait si doux et beau hier encore ! ­, va falloir se rabattre sur l’hôtel de ville, dans cette grande salle sans grâce qui occupe son aile gauche et où se tiennent généralement les réunions politiques, et ça sera forcément trop petit, mais ­ pas de chance encore, la salle polyvalente est occupée par quelque salon commercial ­ faudra bien faire avec ce qu’on a !

Il neigeait, donc, pour la visite de Ségolène.

Il neigeait. Et l’on ne pouvait pas ne pas se souvenir de cette journée du 5 mars 2005, jour de la grande manifestation nationale pour la défense des services publics, où il neigeait fort dru, et où le couple Hollande-Royal, défilant derrière les banderoles du PS, avait été quelque peu chahuté. Sévices publics, en quelque sorte ; et repli en hâte sous les boules.

Aucun risque, cette fois, avec cette poudreuse sans consistance. Et puis l’heure n’est pas aux sarcasmes. Le peuple socialiste guéretois (et au-delà) accueille sa candidate en tournée, entre Limoges (la veille) et Clermont-Ferrand (le soir) : un créneau de deux heures à la mi-journée, le temps d’un discours et d’un vin d’honneur, pensez bien qu’on n’est pas là pour grogner ! Je suis venu en voisin curieux, mêlé à la foule entassée au pied de la tribune, où, après trois quarts d’heure d’attente, vient se poser tout le gratin rose du département, entourant la reine du jour, pimpante, rayonnante à l’accoutumée (quelle santé, quand même !), recevant tout sourire les hommages du député-maire ­ qui n’en fut point chiche ­, avant de se livrer elle-même à l’exercice oratoire, où on la sent désormais bien rodée : une demi-heure sans notes, un discours charpenté, axé (forcément, dans ce département vieillissant et désertifié) sur les liens de solidarité, l’égalité des territoires, la défense des écoles de village et des hôpitaux de proximité, des maisons de retraite, de la poste, bref toutes ces choses douces à entendre dans nos pays déshérités.

« Ségolène présidente ! » , clame la foule, sentimentale et ravie. Elle descend au contact.

De la voir ainsi, notre Pimprenelle, menue derrière les mastards à oreillette, se frayer un chemin, se livrer au bain, aux mains qui se tendent, on pense, mais oui, à Jeanne d’Arc : pas encore la Jeanne guerrière, victorieuse et cuirassée brandissant l’étendard dans Orléans délivrée ; plutôt la jeune femme décidée, venue de sa campagne jusqu’à la cour de Chinon et marchant droit dans la foule vers ce dauphin timoré, planqué derrière ses courtisans. Sauf que Jeanne avait ses voix ; Ségolène doit encore aller les chercher, une à une. Dur métier.

Vu la presse, on renoncera au buffet.

Manipulation

À peine installé place Beauvau, le jeune Baroin met ses pas dans ceux de Sarko : il dit n’importe quoi.

« C’est un récidiviste défavorablement connu des services de police et de surcroît entré illégalement sur le territoire » , a-t-il déclaré à propos d’Angelo Hoekelet, le jeune Noir dont l’interpellation pour défaut de titre de transport fut à l’origine des affrontements de la gare du Nord entre la police et des bandes de jeunes en pétard. Faux, reconnaît la préfecture de police, qui plaide l’erreur de bonne foi ; comme l’avait signalé son avocat : « Il est entré en France régulièrement à l’âge de 10 ans dans le cadre du regroupement familial. » Commentaire du secrétaire général d’Unsa-Police : « C’est dégueulasse, ça ressemble à de la manipulation. »

Au profit de qui ?

Coquette

Fin du suspense (insoutenable) : Borloo rallie Sarko.

L’ébouriffé du gouvernement l’a annoncé lors du journal de Canal +, dans un numéro de coquette qui valait son pesant de bulletins de vote. C’est après une longue soirée, (précédemment annoncée à sons de trompe), en tête-à-tête dans un restaurant des Baux-de-Provence ; après être allé, avec le candidat, « au fond des choses » et avoir vérifié qu’ils avaient bien l’un et l’autre des convictions communes en matière de progrès social, de lutte contre le chômage et la pauvreté, toutes ces choses que M. Borloo « porte [en lui] depuis dix-sept ans » , que les deux hommes ont scellé leur accord. Il fallait bien tout ce temps, parce que, n’est-ce pas, « dans la vie, il faut s’apprivoiser, se faire confiance » et que « la pudeur, ça existe, quand des garçons se parlent entre eux ». (!) Mais encore ? On n’a pas évoqué le futur gouvernement ? Pas parlé de Matignon, par hasard ? « Pas une fois, à aucun moment, ce sujet n’a été abordé. S’il n’a pas besoin de moi au gouvernement, aucun problème, il ne me doit rien. » Parole de scout !

Nous prennent vraiment pour des cons… À moins que l’objet du marché ait été autre : une rumeur insistante évoque la mairie de Paris. Un joli lot de consolation, et un tremplin qui a fait ses preuves. Auquel cas, la candidate élue (par les militants de l’UMP) peut commencer à se chercher un autre job.

Noté au vol

­ Du sociologue Raphaël Wintrebert, qui nous livre le résultat d’une longue et très fouillée enquête sur Attac, de la naissance à nos jours, en passant par le conflit à la fois politique et éthique (la fraude) qui a marqué l’année 2006, aujourd’hui heureusement surmonté, cette flèche mortelle : « Jacques Nikonoff diffuse ainsi, une semaine avant le scrutin, un texte visant à dévoiler le dessous des cartes. […] Il faut admettre que ce texte extrêmement agressif alterne une mauvaise foi totale (comme lorsqu’il affirme que Bernard Cassen ne l’a absolument pas imposé en 2002 ou que lui et ses proches ont « tout fait pour éviter de jeter de l’huile sur le feu » ) et une malhonnêteté profonde (comme lorsqu’il feint de s’interroger) : « Les victimes apparentes de la fraude l’ont-elles organisée ou se sont-elles simplement servi de cette fraude commise par d’autres ? Nul ne peut le dire pour le moment. » ). » [^2]

Avec ça, faut-il vous l’emballer ?

­ De l’historienne Esther Benbassa, ceci, que j’aime assez :

« Je tombe sur un article consacré au beau Barack Obama, ce Noir devenu le plus sérieux concurrent d’Hillary Clinton pour l’investiture démocrate à la présidentielle américaine. Pendant que la France est plongée dans un débat typiquement hexagonal sur un hypothétique ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, on apprend qu’il est le fils d’un Kenyan et d’une Blanche du Kansas et qu’il n’a pas vécu aux États-Unis avant l’âge de 19 ans. Et le comble, il a été inscrit dans une école coranique en Indonésie. Non, chez nous, on l’aurait déjà raccompagné à la frontière. Allons enfants chanter « la Marseillaise ». » [^3]

En rythme, si possible. On nous la massacre si souvent !

­ De l’écrivain Serge Quadruppani, dans un roman collectif sur la France d’après [^4] :

« Chez Inforap, on avait passé la journée avec un spécialiste du développement personnel censé nous enseigner une « technique du cri primal enrichie de savoir chamanique ». Le type intervenait dans le cadre d’un stage obligatoire, partie intégrante des « mesures d’accompagnement » de la délocalisation de l’entreprise à Shenzhen, Chine méridionale. Les « mesures d’accompagnement » *, ça fait partie du volet social du programme de notre nouveau gouvernement, qui est déterminé à* « remettre la France au travail » *, en supprimant ces indemnités chômage dont on sait qu’elles engendrent* « une mentalité d’assistés ». En pratique, avant de nous licencier, l’entreprise est obligée de nous occuper pendant trois mois à diverses singeries censées nous aider à « maximiser nos capacités entrepreneuriales » . Et nous, si nous voulons toucher notre salaire jusqu’au moment d’être balancés en bas de l’échelle, dans l’armée de réserve des travailleurs pauvres, nous devons nous mettre debout sur des chaises, hurler à pleins poumons, révéler notre moi profond, ce genre de choses. »

Etc. Vous voyez le genre : rien que du mauvais esprit, du persiflage, du dénigrement.

Mauvais Français, va !

[^2]: Attac, la politique autrement ? Enquête sur l’histoire et la crise d’une organisation militante, La Découverte, 310 p., 22 euros.

[^3]: « Et si Ségo chassait les néocons ? », Libération, 31 mars.

[^4]: Ils s’y sont mis à dix-sept, connus ou moins connus (outre Quadrippani, donc, Lehmann, Streiff, Pouy, Delteil…), pour nous pondre cet ouvrage de politique-fiction coordonné par Anne Bosser. Figures libres sur thème imposé : « Le cauchemar que nous ferait vivre Nicolas Sarkozy s’il était élu président le 6 mai 2007. » Privé, 285 p., 15 euros.

Edito Bernard Langlois
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