Le rayon fruits est dans le jardin !

Une enquête affirme que les Français mangent de moins en moins de fruits et légumes. Mais ses chiffres sont trompeurs, car ils négligent les nouvelles formes de consommation, à l’écart de la grande distribution.

Claude-Marie Vadrot  • 7 juin 2007 abonné·es

Un mot d’ordre officiel nous enjoint de manger cinq fruits ou légumes par jour. Prescription destinée à caresser le lobby agricole version FNSEA dans le sens du poil autant qu’à préserver la santé des Français. Une étude de TNS World Panel, un institut de sondage et d’enquête mondialisé, nous explique qu’en 2006 les ménages français ont acheté moins de végétaux. L’enquête, commandée par Interfel, l’interprofession des fruits et légumes, souligne que la baisse globale des ventes de 3 % a été particulièrement importante pour les pommes, le raisin, les fraises et les tomates, sur un total d’un peu plus de 14 kilos de fruits et de légumes par ménage pour l’année. Cette diminution n’est pas nouvelle.

Illustration - Le rayon fruits est dans le jardin !


Un jardin familial à Caen. Les tomates sont très prisées, car elles poussent facilement. DANIAU/AFP

L’évolution de cette « consommation apparente » mérite d’être examinée de près. Les professionnels de ce secteur, gros producteurs, grossistes et grande distribution, voudraient faire croire que les Français consomment moins de produits frais, réclamant implicitement que le gouvernement pousse à la consommation. Or, ces chiffres trompeurs négligent de nouvelles habitudes. Celles-ci sont d’abord liées à la qualité organoleptique de plus en plus médiocre des produits offerts. Ensuite, la méfiance s’accroît à l’encontre de produits dont on sait, grâce aux travaux officiels et associatifs, qu’ils sont de plus en plus imprégnés par des résidus chimiques. En outre, instinctivement ou reconnaissant les efforts d’agriculteurs souvent affiliés à la Confédération paysanne, les consommateurs cherchent à casser les circuits classiques, à se rapprocher des producteurs. Enfin, le développement des jardins personnels, auxquels plus de 60 % des familles ont accès, accroît l’autoconsommation des fruits ou légumes faciles à produire : tomates, concombres, salades ou fraises, par exemple.

Poussés par la mode, le refus des produits sans goût ou la nécessité économique, les Français, toutes conditions sociales confondues, sont de plus en plus nombreux à profiter du moindre coin de terre pour produire des légumes : ce n’est pas un hasard si les tomates ont été les premières à souffrir d’une mévente puisqu’elles poussent facilement, même dans quelques mètres carrés. Pour avoir une idée de l’importance de ces productions, il suffit de savoir que la Fédération des jardins familiaux regroupe 25 000 jardins potagers et fruitiers, chiffre en progression depuis le début des années 1990. Ce nombre n’inclut pas ceux qui ont la chance de pouvoir cultiver un lopin dont ils sont propriétaires ou qu’ils louent à un particulier sans appartenir à une association : plusieurs millions de jardins personnels voués, en partie ou en totalité, à une production qui représente soit un « supplément d’âme », soit un apport compensant une situation difficile.

À cela s’ajoutent toutes les familles liées à l’un des 77 « Jardins de Cocagne » ^2, des associations maraîchères qui fournissent, moyennent un abonnement, 48 à 50 paniers de fruits et légumes par an. Une production garantie bio, qui procure une variété de légumes largement supérieure (jusqu’à 120 variétés) à celle des grandes surfaces et est assurée par des salariés en situation de réinsertion. Alors qu’une quinzaine de projets nouveaux sont en préparation, les Jardins de Cocagne fournissent au prix du marché ­pour ne pas faire de concurrence déloyale aux agriculteurs­ un peu plus de 13 000 familles.

Restent les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, les Amap
, qui mettent en contact un ou plusieurs maraîchers et 30 à 100 familles, selon les possibilités des producteurs. En France, il existe un peu plus de 300 associations de ce type, dont une cinquantaine en Île-de-France : elles organisent une commercialisation échappant aux statistiques. Tout comme les producteurs de plus en plus nombreux qui écoulent tout ou partie de leur récolte sur les marchés.

Sans mot d’ordre, s’organise donc une résistance aux circuits de distribution officiels, qui permet à des tonnages de plus en plus importants de fruits et de légumes d’échapper aux marges que la grande distribution prélève sur le travail des agriculteurs. Cela fait rêver à la fois les consommateurs et les producteurs, dont les intérêts se rejoignent de plus en plus souvent.

Écologie
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