Leçons d’une refondation en Allemagne

Le processus qui a conduit à la constitution du Linkspartei est une source d’inspiration pour la gauche du PS. D’autant que les ingrédients à l’origine de cette formation nouvelle ne sont pas forcément allemands.

Jean-Luc Mélenchon  et  François Delapierre  et  Raquel Garrido  • 21 juin 2007
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Nous étions au congrès de fondation du Linkspartei à Berlin, cette fin de semaine, pour y voir naître un nouvel intervenant qui se donne les moyens de changer la donne politique en Allemagne. Le Linkspartei est né de la jonction d’un petit groupe de sociaux-démocrates autour d’Oskar Lafontaine avec les communistes réformateurs issus de l’ex-RDA. Ils ont été rejoints par des syndicalistes et des écologistes de gauche, puis des intellectuels et des artistes indépendants.

Ce processus est une source d’inspiration pour nous, situés à la gauche du parti socialiste. Car il part du refus de l’orientation social-démocrate qui enferme la gauche dans une impasse désastreuse dans le monde entier. C’est cette orientation qui a conduit le SPD allemand au point de déchéance morale où il se trouve : il a préféré former une majorité pour gouverner avec la droite plutôt qu’avec le Linkspartei. Sous la direction d’Angela Merkel, il continue l’oeuvre de démantèlement de l’État social. Il l’avait lui-même engagée avec le gouvernement de Gerhard Schröder.

Alors, Oskar Lafontaine a fait son choix. Ancien président du SPD, victime d’un attentat, ancien ministre des Finances qui avait préféré sortir du gouvernement Schröder plutôt que d’être son complice, il a quitté le confort de sa retraite et de son prestige au SPD. Il s’est rapproché de l’ancien avocat des dissidents d’Allemagne de l’Est, le réformateur communiste Georg Gisy, et de son parti. Les commentateurs les disaient promis à la marginalité. Aujourd’hui, dans les urnes comme dans la vie politique, le Linkspartei avance. Électoralement, il perce à l’Ouest, comme l’a montré l’élection au parlement de Brême. Politiquement, son attractivité s’affirme, comme le prouvent les adhésions venues des Verts et des milieux intellectuels. Son originalité s’affirme : « Qu’êtes vous ? » , demande-t-on à ses dirigeants. Sans se référer à aucun modèle antérieur, ils répondent : « De gauche, point ! »

On mesure mieux la nécessité de faire cette rupture avec le SPD si l’on sait quelles sont les conditions refusées à Oskar Lafontaine pour soutenir un chancelier SPD. Les voici : retirer les troupes allemandes engagées en Afghanistan, établir un Smic et le fixer à 8 euros de l’heure, revaloriser les petites retraites (celles des ouvriers de l’industrie sont aujourd’hui les plus basses des pays industrialisés), reconstruire la sécurité sociale et le système d’indemnisation du chômage, dont la durée a été réduite de trois à un an… Même ce minimum est encore trop pour les sociaux-démocrates !

Évoquons à présent quelques ingrédients qui sont au départ de cette force nouvelle. Ils ne sont pas si spécifiquement allemands. Tout repose d’abord sur un bilan assumé et raisonné. Celui de la fin de la période du communisme d’État et de la social-démocratie comme stratégies pour affronter le nouvel âge globalisé du capitalisme. Le nouveau parti exprime un point de vue de gauche républicaine, se réclamant de l’intérêt général de la société. Ses méthodes sont celles de la liberté, d’une part, et de la loi, d’autre part, comme moyen pour faire avancer en égalité toute la société.

Il est frappant d’entendre de nouveau que l’égalité est le moyen de la liberté pour les personnes qui vivent de leur travail ou demandent de l’aide pour affronter les mauvaises passes de l’existence. Ce programme implique la fin de la contractualisation des rapports sociaux dans l’entreprise comme seule méthode de gestion du compromis social. Ainsi de la demande de créer un Smic national. Alors, comme elle est significative cette revendication du droit, « comme les Français » , à faire des « grèves politiques » , c’est-à-dire des grèves contre des projets de lois gouvernementaux (en Allemagne, seules sont autorisées les grèves en rapport avec la vie de l’entreprise concernée) ! Dans cette même veine, le programme du Linkspartei revendique des nationalisations, aux niveaux municipal, régional ou national, de divers instruments clés donnant un sens concret à la souveraineté populaire sur les domaines stratégiques du futur. Notons que ces revendications sont avancées essentiellement comme conséquence des urgences posées par la crise écologique. Sont visés le secteur de l’énergie et de l’eau. En fait, c’est la première fois que le mot nationalisation revient dans le vocabulaire politique allemand. Et ce n’est pas un ancien communiste qui l’a avancé…

Liberté approfondie par l’extension du champ de l’égalité, souveraineté populaire rendue concrète dans les domaines vitaux, développement des capacités d’implication citoyenne des travailleurs : le Linkspartei reformule simplement mais clairement les objectifs du combat de gauche. Nous avons aussi noté un point récurrent des discours à la tribune, le plus souvent absent des nôtres en France. Il s’agit de la lutte pour la paix. Le Linkspartei, mieux que nous, dit clairement que la paix est une construction politique. Elle n’a rien de naturel dans l’ordre international, surtout à l’heure où les budgets d’armement connaissent une nouvelle phase de développement inquiétant.

Reste à présent l’essentiel, qui doit nous faire réfléchir. Il s’agit de la méthode politique. En quelque sorte, c’est parce qu’il existe un lieu pour la refondation qu’elle se fait. C’est comme cela qu’a été rendue possible la rédaction du programme. Et non l’inverse. Ce point est décisif. Le Links a d’abord été un front. Puis il a fusionné en un seul parti, les yeux ouverts, au terme d’un processus de trois ans de travail vers cet objectif. Pourtant, la situation était infiniment plus complexe et délicate en Allemagne qu’elle ne l’est en France, si l’on veut bien se souvenir des antagonismes hérités de quarante ans de confrontation de chaque côté du mur… À présent, il est frappant de voir que, si l’objectif du dépassement des composantes initiales est sans cesse réaffirmé, il n’a pourtant jamais été question de nier leurs apports spécifiques dans le résultat final.

Enfin : la relève générationnelle. Elle est ostensiblement organisée. Mais cela n’a rien à voir avec l’alibi jeuniste proposé ailleurs comme moyen donné en pâture pour que rien ne change sur le fond. Dans ce domaine comme dans tous les autres, l’avenir à gauche vaudra mieux s’il est le résultat d’une activité consciente et volontaire. Subir ou vouloir ? C’est le point de départ.

* Jean-Luc Mélenchon est sénateur socialiste, président du mouvement Pour la République sociale (PRS). François Delapierre est délégué général de PRS. Raquel Garrido est responsable internationale de PRS.
Monde
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