Chantiers de destruction sociale

Logements, écoles, impôts, santé, transports… Tous les secteurs sont touchés par les projets de loi du nouveau gouvernement. Voici un décryptage de ces sept innovations ultralibérales.

Jean-Baptiste Quiot  et  Claire Demont  et  Pauline Graulle  • 5 juillet 2007 abonné·es

La France des propriétaires et des heures supplémentaires

Le projet de loi « en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat », présenté mi-juin en Conseil des ministres, prévoit la mise en place d’un crédit d’impôt de 20 % sur les intérêts d’emprunt, distribué aux ménages faisant l’acquisition de leur résidence principale. C’est ce même projet qui prévoit de détaxer les heures supplémentaires, qui ne seront plus soumises à l’impôt, et de dispenser les entreprises de charges sociales.

Illustration - Chantiers de destruction sociale

Les nouvelles lois voulues par Nicolas Sarkozy – bouclier fiscal, incitations immobilières… – profiteront essentiellement aux plus riches.
PAVANI/AFP

Nicolas Sarkozy voulait faire de la France « un pays de propriétaires » , décrétant un peu vite que « la propriété est le rêve de chacun d’entre nous » . Le dispositif fiscal censé favoriser l’accès à la propriété est pourtant sujet à caution. Prévoyant pour les personnes imposables une réduction de l’impôt sur le revenu, et pour les non-imposables le versement d’un crédit d’impôt via un chèque du Trésor public, cette mesure encore floue (mais chiffrée à environ 4,5 milliards d’euros) ne pourrait concerner que les primo-accédants, soit 50 000 foyers. D’abord, elle risque d’aggraver la spéculation immobilière et pourrait provoquer une hausse de 3 % des prix de l’immobilier. Renforçant le pouvoir des propriétaires face aux locataires, condamnés à payer les répercussions de la hausse des prix, elle agira en outre comme un bonus inutile sur le pouvoir d’achat des plus riches, qui ont la chance de pouvoir accéder à la propriété. D’autant que, plus on est riche, plus on y gagne. En effet, plus l’emprunt est grand, plus les intérêts sont élevés, et plus le crédit d’impôt sera avantageux. Quant à ceux qui souffrent du mal-logement, il ne leur restera plus qu’à aller au tribunal pour opposer leur prétendu droit au logement…

Enfin, l’encouragement aux heures supplémentaires ne fera pas l’affaire des chômeurs. Il créera de plus un lien de dépendance du salarié par rapport au patron. Qui osera refuser les heures supplémentaires quand elles seront exigées ?

Une médecine à deux vitesses

La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a annoncé en mai qu’un système de franchises, non remboursées par l’assurance-maladie, serait inscrit dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale de 2008. Ces franchises porteront sur les examens biologiques, les médicaments, les consultations et l’hospitalisation. Leur montant reste encore à définir.

C’est l’une des propositions les plus impopulaires de Nicolas Sarkozy. Et pour cause. Sous couvert de « responsabiliser » le malade, l’instauration des franchises médicales viendra ponctionner encore un peu plus le porte-monnaie des patients. En établissant un seuil annuel au-dessous duquel les dépenses de santé ne seront plus remboursées, ces franchises font craindre un système de santé à deux vitesses, où l’accès aux soins des plus pauvres (hors bénéficiaires de la CMU) serait découragé. Un Appel contre la franchise, signé par plus de 50 000 Français, dénonce cette mesure « socialement injuste, économiquement inefficace et dangereuse pour la santé publique » . Certains professionnels de santé y voient également un « risque d’escalade » , cette franchise ayant été pensée pour être « modulable » en fonction du montant du déficit de la Sécurité sociale.

Pour l’instant, Nicolas Sarkozy assure que la franchise financera uniquement les dépenses nouvelles, comme la lutte contre la maladie d’Alzheimer. Elle servira surtout à combler le manque à gagner créé par les rabais sur les charges patronales accordés à la protection sociale.

La TVA : le plus injuste des impôts

Un groupe de travail de l’UMP sur la TVA sociale rendra ses conclusions en septembre devant le conseil national du parti. Selon le discours officiel, la mesure aiderait à lutter contre les délocalisations et à financer la Sécurité sociale en permettant de baisser les cotisations patronales.

Pour enrayer un déficit de l’assurance-maladie, qu’elle a elle-même entretenu par des baisses de cotisations patronales depuis 2002, la droite envisage aujourd’hui une hausse de 3 à 5 points de la TVA. Il s’agit également de financer les nouvelles baisses de cotisations que représente la défiscalisation des heures supplémentaires. Taxe sur la consommation, la TVA est par définition le plus inégalitaire des impôts. Elle pénalise davantage les ménages à faibles revenus. Ces derniers consacrent déjà plus de 8 % de leurs revenus au paiement de la TVA, alors que 10 % des ménages les plus aisés, bénéficiaires de surcroît de nouvelles baisses d’impôts, n’y consacrent que 3 %. L’ajout de l’adjectif « sociale » permettra-t-il au gouvernement de faire passer pour de la solidarité ce qui se révèle un transfert au détriment des plus pauvres ?

Un bouclier fiscal pour les privilégiés

Pour Nicolas Sarkozy, il est impossible « qu’un citoyen puisse donner plus de la moitié de ses revenus à l’État » par l’impôt. Le bouclier fiscal, actif depuis le premier janvier 2007, est une mesure du précédent gouvernement, qui plafonne les impôts à 60 % des revenus. Le nouveau président de la République veut, pour 2008, le ramener à 50 % et y inclure la CSG et la CRDS. Cette disposition fait partie de la loi « en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat » .

C’est peut-être la mesure la plus symbolique du nouveau gouvernement. Sous couvert de « valorisation du travail », elle constitue un formidable cadeau fiscal pour les plus riches. Et, surtout, elle permet, sans le dire, de supprimer de fait l’impôt sur la fortune (ISF). Le bouclier fiscal à 60 % ne profite qu’à environ 90 000 foyers fiscaux. Chaque bénéficiaire s’est vu ainsi rembourser en moyenne 61 000 euros. À 50 %, les 16 000 contribuables assujettis à l’ISF pourraient, dans leur ensemble, se voir restituer près de 350 millions d’euros. Les cadeaux fiscaux aux riches devraient, de surcroît, porter le déficit public à 2,9 % ou 3 % du PIB en 2007. Un déficit que le pouvoir d’achat des classes défavorisées devra endosser par une hausse de la TVA et l’instauration de franchises médicales. Bref, c’est la parfaite application de la justice distributive selon les ultralibéraux : donner encore plus à ceux qui ont déjà beaucoup.

Carte scolaire : une illusion de liberté

Dès la rentrée, l’assouplissement de la carte scolaire annoncé par Xavier Darcos permettra aux élèves de « s’inscrire dans un établissement hors de leur secteur, dans la limite des places disponibles » . L’obligation pour les élèves d’intégrer le collège ou le lycée de leur secteur de résidence, devrait, à l’horizon 2010, être totalement supprimée.

« Je donnerai aux familles la possibilité de choisir l’école de leurs enfants » , annonçait Nicolas Sarkozy pendant la campagne électorale. Cette optique libérale du système scolaire, qui ne cesse de se prévaloir d’une « liberté de choix » des parents, n’est en fait qu’une illusion. Ce ne sont pas les parents qui choisiront l’école de leurs enfants, mais les chefs d’établissements qui choisiront leurs élèves, ou encore l’inspection d’académie qui les répartira en fonction de leur dossier.

En vérité, l’abolition de la carte scolaire ne fera qu’accentuer les inégalités entre les établissements, et ne fera que renforcer les ghettos. Les très bons établissements feront le plein de très bons élèves et deviendront, plus encore qu’aujourd’hui, des « pôles d’excellence ». Et, bien plus qu’aujourd’hui, les réseaux ambition réussite (ex-ZEP) continueront de brasser une population de jeunes ayant des difficultés sociales et scolaires. Dans ce paysage ultraconcurrentiel, leurs résultats, même très bons dans un établissement de mauvaise réputation, ne leur permettront plus d’espérer être « choisis » par des établissements de meilleur niveau. La différenciation sociale entre les établissements, et entre les quartiers, ne fera que s’aggraver.

Les universités d’élite et les autres

La loi sur l’autonomie de l’université permettra aux présidents des établissements de devenir de véritables « patrons » et de « délibérer sur les contrats, les emprunts, les prises de participations, les créations de filiales, les créations de fondations, l’acceptation de dons et legs et les acquisitions immobilières ».

Avec cette réforme, c’est l’exigence républicaine d’un équilibre entre excellence et égalité qui s’effondre. Les mots de l’article 8 du « projet de loi portant organisation de la nouvelle université » , présenté par Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, le 27 juin, sont éloquents : « filiales », « contrats », « acquisitions immobilières » .

Le projet n’a pas d’autre but que de calquer le fonctionnement de l’université sur celui de l’entreprise privée. L’autonomie dont il est ici question ne vise pas l’indépendance des savoirs mais leur mise en concurrence financière. « L’enjeu est clair et la règle est connue : la compétition mondiale dessine la carte des pôles d’excellence scientifique » , confirme la ministre. Le projet instaure un système concurrentiel à deux vitesses. « Les pôles d’excellence qui auront les moyens de s’offrir des chercheurs et de sélectionner leurs étudiants » et « les autres pour le tout venant » , analyse Gérard Aschieri, secrétaire national de la FSU. Nicolas Sarkozy a enfoncé le clou le 20 juin en annonçant que le montant des budgets alloués aux universités serait proportionnel à leur engagement dans « l’autonomie ». Cela reste vrai même si, après une concession aux présidents d’université, le gouvernement ne prévoit plus de livrer l’autonomie au volontariat.

Au nom de la « compétition mondiale » , la réforme fait fi de l’exigence d’universalité des savoirs. Et qui dit universités riches et universités pauvres dit aussi universités pour les riches et universités pour les pauvres.

Service minimum dans les transports

Le service minimum concerne toutes les entreprises publiques et privées du transport. La future loi prévoit, les jours de grève, la mise en place d’un service habituel aux heures de pointe.

Ce projet très « lutte des classes » attaque directement les armes de la résistance sociale. Présenté en Conseil des ministres le 4 juillet, il prévoit que « les salariés non-grévistes qui travaillent sur une autre ligne pourront aller travailler sur la ligne en grève si l’on a besoin d’eux ». Et il fait obligation, au-delà de huit jours de conflit, de procéder à un vote à bulletin secret. Or, le droit de grève est un droit individuel, et il se pourrait que cette disposition soit jugée tout simplement non-constitutionnelle.

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