Féministes et musulmanes

Des intellectuelles et des militantes ont débattu l’an dernier à l’Unesco du « féminisme islamique ».
Le compte rendu de ce colloque vient de paraître.

Clotilde Monteiro  • 5 juillet 2007 abonné·es

«Pour certains, le féminisme islamique est un oxymoron » , affirmait en préambule de son intervention l’éminente professeure d’études islamiques Amina Wadud [^2], lors du colloque intitulé « Existe-t-il un féminisme musulman ? », organisé au mois de septembre 2006 par la commission Islam & Laïcité, à l’Unesco. Amina Wadud a poursuivi ainsi son propos, retranscrit dans le compte rendu de ces rencontres : « Je situe ma vie et tout mon travail dans une perspective à la fois pro-féministe et pro-foi […] *, j’ai déjà eu l’occasion de répondre aux critiques émanant de ceux qui s’autoproclament* « gardiens de la foi » […] ou à celles des féministes qui ne se reconnaissent pas dans le sacré. […] Je ne peux, quant à moi, qu’affirmer ma foi et mon féminisme. »

Cette professeure noire-américaine affirmait également, de façon tout aussi surprenante pour des « oreilles laïques », avoir entamé sa « réflexion sur le genre avec le seul livre qui a façonné la totalité de [sa] foi et l’intégralité de [sa] personne, le Coran ».

La teneur des débats faisait fi des multiples controverses et autres fantasmes, exacerbés notamment depuis le 11 septembre 2001, et qui consolident en Occident les stéréotypes à propos du statut des femmes dans le monde musulman. Les intellectuelles et les militantes, venues du monde arabe, d’Amérique du Nord, de Malaisie, de France ou de Belgique, ont exposé, lors de ce colloque, les différents moyens de recherche qui leur permettent aujourd’hui d’élaborer des outils efficaces de réflexion et des méthodes d’action pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes dans leur société.

Revenir aux sources pour transformer l’islam de l’intérieur. C’est le moyen le plus opérant que ces féministes aient trouvé pour interroger le statut actuel des femmes dans leur société. La relecture et la réinterprétation des textes sacrés constituent une des clés de leur démarche, car elles ont pour caractéristique d’être formulées à l’intérieur du paradigme islamique.

Comme l’a rappelé Malika Hamidi, coordinatrice de l’European Muslim Network, à son origine, l’islam a connu un âge d’or de l’égalité entre les sexes, mais cette période a été passée à la trappe de l’histoire à mesure que le modèle patriarcal s’est imposé en Orient. À son tour, la chercheuse et professeure Margot Badran [^3]
a proposé une définition de cette démarche : « Le féminisme islamique travaille à l’énonciation d’un islam qui replace l’égalité des sexes et la justice sociale au centre du système de valeurs coranique. » Toutes les intervenantes se sont accordées sur la nécessité d’une déconstruction des pratiques sociales et des schémas de pensées patriarcaux « introduits dans l’islam à partir de la mort du prophète Mohammed et qui furent inscrits dès le IXe siècle dans les ouvrages de jurisprudence ».

Comme l’a expliqué Margot Badrane, cette démarche permet de « recouvrer l’idée d’une oumma ­ communauté islamique comme espace de partage ­ qui place les hommes et les femmes sur un pied d’égalité ». La chercheuse précisera plus loin que, pour toutes ces raisons, « le féminisme islamique ne revendique pas, ou ne fait pas sienne, l’idée d’un État islamique ».

Ce féminisme islamique a malgré tout remporté de haute lutte ses premières victoires au tournant du XXIe siècle. La Moudwana (loi marocaine sur la famille) a finalement pu être révisée de façon à affirmer et à sauvegarder un modèle familial égalitaire, notamment grâce au poids des trente années d’action et de lutte du mouvement féminin marocain. Les actions de l’ONG Sisters in Islam permettent chaque jour de desserrer l’étau de la charia, qui fait subir aux Malaisiennes une lente érosion de leurs libertés. Lors de ce colloque, les nombreux autres exemples de luttes abouties menées dans le monde musulman par des groupes de femmes croyantes et militantes donnent à penser qu’elles détiennent indéniablement une part des solutions aux nombreux problèmes du monde musulman d’aujourd’hui et donc de demain. Nul doute que le pouvoir masculin devra tôt ou tard composer avec elles.

[^2]: Militante féministe, issue du mouvement du Black Power, Amina Wadud est l’auteure du récent Inside the Gender Jihad, Oneworld Publisher, et du classique Qur’an and woman.

[^3]: Auteure, entre autres, de Feminism beyond East and West : New Gender Talk and Practice in Global Islam.

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