« On met en cause l’égalité entre usagers »

Le Parlement européen a adopté la dernière étape de la très controversée libéralisation des services postaux. Régis Blanchot, secrétaire fédéral
du syndicat SUD-PTT, en analyse les conséquences.

Thierry Brun  • 19 juillet 2007 abonné·es

Les trois principaux groupes parlementaires (PPE, socialiste et centriste) ont conclu un accord et ont adopté le 11 juillet la dernière étape de la libéralisation totale des services postaux. Le texte porte sur l’ouverture à la concurrence du courrier ordinaire (lettre de moins de 50 grammes). Quelle est votre analyse ?

Régis Blanchot : Les députés européens ont adopté l’ouverture du marché postal européen et se sont donné deux années supplémentaires, le texte repoussant au 31 décembre 2010 la date de l’ouverture à la concurrence du secteur des courriers de moins de 50 grammes, qui représente la majorité des envois. Il s’agit d’une période transitoire, notamment pour les États membres entrés dans l’UE depuis 2004. Le report peut aller jusqu’à 2013 pour certains pays comme la Grèce, à la topographie particulièrement difficile.

Illustration - « On met en cause l’égalité entre usagers »


La libéralisation entraînera une dégradation du service postal. Verdy/AFP

Les États doivent cependant s’adapter aux standards de la libéralisation. Ce qui n’est pas acceptable. Les syndicats européens contestent le caractère systématique de l’ouverture des marchés des services postaux. Rien n’est prévu pour mesurer l’impact de la libéralisation en termes de qualité de service et d’emploi. À chaque phase de libéralisation, il devait pourtant y avoir une étude sur son impact avant d’aller plus loin. Celles qui ont été réalisées par la Commission européenne, notamment sur l’emploi, datent de 2002, alors qu’on était encore dans une situation de libéralisation réduite des services postaux. De plus, l’exigence démocratique n’a pas été respectée.

Le projet de directive européenne parle d’obligation de « service universel ». Est-ce vraiment le cas ?

Il n’y a rien d’arrêté sur ce qui concerne le service universel, puisque son financement n’est pas déterminé. La directive européenne s’est en effet appuyée sur une étude indiquant que le service universel doit être financé par une rationalisation des opérateurs historiques, une flexibilité de l’emploi accrue et par des gains de productivité permettant son autofinancement. Et ce n’est que si cela ne suffit pas qu’il peut y avoir des aides de l’État. C’est ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Pour nous, c’est catastrophique parce qu’on met en cause le système actuel de péréquation tarifaire, qui finance l’égalité de traitement des utilisateurs, particuliers comme entreprises, où qu’ils se trouvent sur le territoire.

On assiste en fait à une dégradation du service public, notamment en ce qui concerne la présence postale. Prenons l’exemple de la Suède, libéralisée depuis longtemps : la distribution ne s’effectue pas quotidiennement et, surtout, elle se fait par des points de contact dans la rue. Si les personnes veulent une distribution à leur domicile, elle devient payante. Enfin, dans les services postaux déjà libéralisés, 300 000 emplois ont été supprimés ces dernières années.

Est-ce le cas en France ?

Le secteur des colis est désormais occupé par un grand nombre de sous-traitants. Adrexo [premier opérateur postal privé en France], qui était un spécialiste du courrier non adressé, notamment la publicité, s’est implanté dans une dizaine de départements. Nous avons remarqué que la concurrence concerne les départements très urbanisés, là où il y a des entreprises. Seul le courrier des entreprises intéresse les concurrents, le reste de la distribution est abandonné. La nouvelle directive, qui a été anticipée par un décret sur le service universel en France, aura de lourdes conséquences. Le prix unique du timbre sur l’ensemble du territoire est remis en cause, même si les partisans de la libéralisation disent qu’un tarif unique pour les particuliers est maintenu. C’est un effet d’annonce, car le courrier au tarif unique des entreprises constitue entre 85 et 90 % de l’ensemble du courrier distribué à ce prix. Si on met fin au tarif unique pour les envois en nombre, on fait sauter la péréquation.

Les particuliers verront-ils le prix du timbre augmenter ?

En ce qui concerne le courrier de ville à ville, les tarifs devraient baisser. Pour les zones montagneuses, éloignées pour diverses raisons, ils risquent d’augmenter. En effet, cela n’intéresse pas les entreprises concurrentes d’adresser ces courriers dans des zones à coûts plus élevés. Ce qui veut dire que ces entreprises feront payer plus cher l’acheminement du courrier pour une personne située dans une zone éloignée. Nous appelons cela la « double peine », parce que les personnes situées dans les zones éloignées sont aussi des personnes qui n’ont pas forcément accès aux nouvelles technologies par manque d’infrastructures dans leur département. On assiste à une dégradation de la présence territoriale dans les zones rurales et dans les quartiers populaires, où La Poste était le dernier service public présent. Maintenant, on ne retient que le critère économique et non les critères de trafic pour le maintien de bureau de poste.

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