Comme un manque …

Denis Sieffert  • 6 septembre 2007 abonné·es

Nous voilà rassurés : les idées neuves, celles du changement, seront donc celles qui s’affranchiront de la « pression de la gauche de la gauche ». Ce sont là les mots de François Hollande, dimanche, dans son discours de clôture de l’université d’été du parti socialiste. Ajoutons « de la terrible, de l’obsédante pression » de cette gauche de la gauche, qui, comme chacun sait, monopolise les lieux de pouvoir, surinvestit les réseaux d’influence et truste les médias. Oui,voilà l’ennemi : ceux qui se définissent comme « antilibéraux ». On peut toujours discuter l’étiquette, mais on les reconnaît : ceux-là sont rebelles à la modernité ; ils défendent l’emploi, les salaires, les services publics, l’école, le droit de grève… Tout ce qui est appelé à périr ou à dépérir. À La Rochelle, si l’on excepte quelques figures imposées anti-Sarkozy, c’est à cette « gauche de la gauche » surpuissante que les plus hauts responsables socialistes ont réservé leurs flèches. Jusqu’à ce pauvre Michel Rocard, qui a assimilé les « antilibéraux » au Goulag. Et qui a avoué ne s’être toujours pas remis de l’augmentation du Smic… en 1981. Car, c’est bien connu, le péril gaucho-communiste guette. Les zélotes du « Grand Soir » n’en finissent pas de comploter pour prendre le palais d’Hiver. Il faut en finir avec le « Grand Soir », a répété le Premier secrétaire, qui a bien perçu l’idéologie dominante de notre époque.

Mais gardons-nous de trop ironiser. Il y a du vrai dans ce discours. De la lucidité même pour qui souhaite transformer le PS en parti démocrate à la mode américaine. Certes, ce ne sont pas les lourds bataillons de la « gauche de la gauche » qui impressionnent les dirigeants socialistes, mais ce qu’exprime cette mouvance et qui rencontre un écho dans les rangs mêmes du parti de M. Hollande. Jusque chez certains hauts responsables qui n’ont pas rompu avec leur culture sociale. Et pour cause ! Iln’y a pas trente ans de cela, les textes de congrès du PS étaient plus « anticapitalistes » que les propositions des collectifs antilibéraux du mois de mai dernier. Oui, mais dit-on, trente ans, c’est un siècle, et depuis le monde a bien changé. La finance a remplacé l’économie, les fonds de pension se sont substitués au patron de droit divin, Internet a aboli les distances, lemonde est devenu virtuel, et la révolution numérique (ah, tout de même, une révolution !) a triomphé. Quand il s’agit de démontrer à quel point tout a été transformé, on n’est jamais avare d’exemples, technologiques, communicationnels, sociologiques… Pour cela, on fait généralement appel à Jacques Attali… Et, cependant, il y a une chose qui résiste à la modernité, c’est la condition des gens. Disons-le comme ça, de la façon la plus rustique. Ce qui n’a pas changé, ce sont les soucis de pouvoir d’achat, de fins de mois difficiles, de chômage. Ou alors, c’est dans le mauvais sens : plus de précarité, plus d’inégalité, plus d’exclusion, une protection sociale minée, des syndicats affaiblis. Un rapport capital-travail déséquilibré.

Pour résister, les salariés et les chômeurs ont-ils besoin d’un leader socialiste directeur du Fonds monétaire international ? Et d’une camarilla de dirigeants qui trouvent cela naturel ? Ne veulent-ils pas plutôt des militants qui appartiennent à leur monde, pas trop virtuel, et qui partagent quelque chose de leur condition ? Je sais que dire cela fleure vite la démagogie. Point besoin d’être chômeur pour défendre les chômeurs, ni smicard pour comprendre les difficultés des bas salaires. Mais assumons ici le risque de la démagogie. Il n’est pas le pire parmi ceux qui guettent les principaux dirigeants socialistes. À certains d’entre eux manque une empathie sociale qui ne se décrète pas. Ici, il ne s’agit même plus de politique. On peut être en désaccord avec un Emmanuelli, avec un Mélenchon, une Marie-Noëlle Lienneman, ou avec Benoît Hamon (voir l’analyse de celui-ci dans ce journal) et d’autres, mais ceux-là, qu’on le veuille ou non, ont une fibre sociale qui les rattache à une tradition et à la réalité d’en bas. Au lieu de cela, sous un discours enjôleur, qui invite à « l’unité des socialistes » et à la « synthèse » , il y a le refus du débat, et un inavouable glissement à droite, paré des paillettes de la modernité. Pour réaliser ce changement, le PS a besoin de s’affranchir non de la pression de « la gauche de la gauche », mais de la pression du peuple, qui, dieu merci, s’exerce encore dans ses rangs. Nous faisons pour notre part le pari que l’abandon de ce terrain traditionnel crée un manque et rend plus que jamais nécessaire une nouvelle offre politique. Qu’on l’appelle antilibérale ou autrement. La question de savoir autour de quel axe celle-ci peut émerger (les collectifs antilibéraux, le PC, la LCR) sera peut-être rapidement dépassée. Les lignes ne peuvent que bouger. Soyons-en sûrs, elles traverseront même le parti socialiste.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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