Un état de grâce « fragile »

L’Union syndicale Solidaires appelle à un front commun avant les négociations engagées par le gouvernement. Pierre Khalfa, son secrétaire national, estime qu’un rapport de force est possible.

Thierry Brun  et  Jean-Baptiste Quiot  • 6 septembre 2007 abonné·es

L’université du Medef a été l’occasion, pour Nicolas Sarkozy, de donner le ton d’une rentrée sociale chargée. Comment votre syndicat analyse-t-il l’attitude du Président ?

Pierre Khalfa : Qu’un Président choisisse de faire sa rentrée au Medef, c’est une grande première, fortement symbolique. Il donne en effet un poids considérable à une organisation représentant des intérêts privés, alors qu’il est censé représenter l’intérêt général. Un saut vient d’être franchi dans la connivence entre le pouvoir politique et le patronat. Et d’ailleurs les patrons ne s’y sont pas trompés, eux qui ont reçu en véritable « héros » celui qui s’est fait leur « héraut ».

Illustration - Un état de grâce « fragile »


Nicolas Sarkozy a fait sa rentrée sociale à l’université d’été du Medef. Tout un symbole… DE SAKUTIN/AFP

Ensuite, et contrairement aux réactions qu’on a pu entendre, son discours n’est pas creux. Il annonce des orientations politiques extrêmement dangereuses. La déréglementation judiciaire du droit des affaires est, par exemple, officiellement envisagée.

Quant à la réforme du droit du travail, elle coïncide avec les revendications du Medef. Le cas de la « séparation à l’amiable » entre un salarié et un employeur est révélateur. En la comparant avec le divorce, Nicolas Sarkozy montre que, pour lui, un salarié entretient des rapports d’égalité avec son employeur. C’est la négation même du rapport de subordination qui est à la source de la création du code du travail et des droits des salariés. La mesure annoncée de la généralisation probable du travail le dimanche entre également dans ces revendications chères au Medef. En revanche, pour tout ce qui concerne les salariés, notamment pour le pouvoir d’achat, on en reste à des généralités et à une simple exhortation aux patrons.

Le gouvernement a fixé un calendrier de négociations sociales tout au long du mois de septembre. Comment envisagez-vous ces rendez-vous ?

Nous ne sommes pas associés, malgré nos demandes, à ces conférences. Notre crainte est que le mouvement syndical aille dans ces négociations très importantes de manière dispersée. Le gouvernement veut justement jouer sur nos divisions pour imposer l’essentiel de ses mesures et accélérer la déréglementation du droit du travail, quitte à reculer sur des points mineurs. C’est pourquoi notre bureau national lance aujourd’hui une adresse à l’ensemble du mouvement syndical et des organisations pour constituer un front commun (voir encadré). Malgré des divergences importantes, nous pouvons nous retrouver sur l’essentiel et mettre un coup d’arrêt à toute une série de remises en cause. Les marges de manoeuvre du gouvernement ne sont pas infinies. Nous ne partageons pas l’analyse d’une supposée « droitisation » de la société française. L’état de grâce dont bénéficie le gouvernement est fragile. On a pu d’ailleurs le vérifier lors des législatives. L’annonce de la probable TVA « sociale » a suffi à sanctionner la majorité. Si les organisations syndicales sont unies sur un socle revendicatif, si nous sommes en capacité de créer un rapport de force, nous pourrons peser sur les choix politiques du gouvernement. Le mouvement syndical est aujourd’hui mis devant ses responsabilités.

Sur quels points les organisations syndicales peuvent-elles se retrouver ?

Il y a d’abord la Fonction publique. La ministre de l’Économie vient d’y annoncer un plan de rigueur. Il y a ensuite les franchises médicales. Le gouvernement prévoit de les instaurer rapidement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui sera voté début novembre. Nous avons donc prévu au niveau national une première journée de débat et de mobilisation, le 29 septembre. Après, il faudra envisager des manifestations unitaires dans toute la France avant le vote de la loi. Sur ce sujet, le gouvernement marche sur des oeufs tant la mesure est injuste, inefficace et impopulaire. Il n’est d’ailleurs pas sûr de lui. Le montant des franchises a ainsi été revu à la baisse.

Le contrat unique va être un point-clé. L’enjeu est considérable. Depuis un quart de siècle, on assiste à une déréglementation du droit du travail. Mais elle n’a pas encore abouti à une généralisation de la précarité, même si cette dernière a augmenté. Le contrat unique pourrait faire sauter ce verrou. Pour le patronat, il est d’autant plus nécessaire d’en finir avec l’actuel CDI que les évolutions démographiques vont rendre les choses plus difficiles avec les départs massifs à la retraite de la génération du baby-boom. Aujourd’hui, déjà, il faut créer quatre fois moins d’emplois qu’il y a quelques années pour faire baisser le chômage. Le patronat va donc se retrouver dans un rapport de force plus délicat car il n’aura plus une « armée industrielle de réserve », et la concurrence entre salariés sera moins forte. Le contrat unique est donc la clé juridique qui permettra au patronat de gérer la main-d’oeuvre et d’aborder cette période en maintenant des conditions favorables de rapport de force. On ne voit pas comment, au vu des déclarations du Medef et du gouvernement, il pourrait y avoir une organisation syndicale qui approuve cette aggravation de la précarité et de la flexibilité, sans contrepartie pour les salariés.

Dans certaines versions, le projet de contrat unique vise à donner de plus en plus de droits aux salariés suivant leur ancienneté. Ce qui veut dire que l’ancienneté deviendra un handicap pour les patrons. On en vient ainsi au problème des retraites, qui sera le troisième gros enjeu d’ici à 2008. Quand Laurence Parisot parle de la retraite à 62 ans, elle sait pertinemment que les salariées ne partiront pas à cet âge mais bien avant. En revanche, ils partiront avec une retraite moindre, car tout objectif d’allonger l’âge de départ à la retraite revient en fait à réduire le montant des pensions.

La question de l’Europe et du nouveau traité vous préoccupe-t-elle ?

Ce traité n’a rien de « simplifié ». Il est encore plus complexe que le projet de traité constitutionnel européen (TCE). Il transfère dans les traités actuels le TCE rejeté par les Français. Le Président a affirmé que le principe de concurrence libre et non faussée n’y serait pas inscrit. Cela ne changera rien concrètement puisque ce principe est déjà inscrit dans les traités actuels et est, de plus, réaffirmé dans un protocole ayant la même valeur juridique que le traité.

Les gouvernements veulent passer en force le plus rapidement. Le nouveau projet a été rendu public le 23 juillet et devrait être adopté par le conseil européen les 18 et 19 octobre. Il s’agit d’empêcher tout débat public. Le processus de ratification devrait être terminé avant les prochaines élections du Parlement européen pour empêcher que celles-ci deviennent un moment de débat politique sur l’avenir de l’Union. Pour notre part, nous allons exiger qu’il y ait un nouveau référendum et faire campagne dans ce sens. C’est une exigence démocratique minimale.

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