Au nom du « dialogue »

L’Université interdisciplinaire de Paris diffuse des idées « non darwiniennes » et tente d’investir l’école avec ses cours sur les « implications théologiques » de la science.

Thierry Brun  • 18 octobre 2007 abonné·es

L’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), « un lieu unique d’ouverture, de diffusion et de dialogue » , va bientôt reprendre ses cours du soir, promet Jean Staune, secrétaire général et cofondateur de l’association qui a créé l’université en 1995 et revendique 1 250 adhérents. Pour l’instant, la page « Agenda » de son site Internet reste désespérément vide, mais on peut y découvrir les théories promues par cette université : implications philosophiques de la science et critique du darwinisme et du créationnisme (mais cette dernière page est vide).

Jean Staune rassure : « On est une université populaire comme l’Université de tous les savoirs, sauf que l’on existe depuis plus longtemps qu’elle, mais avec moins de moyens. Et nous sommes plus orientés sur des idées nouvelles en général. » Ce que Jean Staune nomme « idées nouvelles » est défini par lui comme « une tradition dans le champ de Teilhard de Chardin d’une critique évolutionniste du darwinisme » .

L’UIP n’existerait pas sans ce personnage aux multiples facettes : chargé de cours à HEC, diplômé dans différentes disciplines, expert en management à son compte (Jean Staune International) et maître de conférences à l’Institut supérieur des affaires, Jean Staune est aussi celui par qui est arrivée la critique du darwinisme. L’homme s’est distingué en octobre 1991 par un article publié dans le Figaro intitulé : « L’évolution condamne Darwin » .

Depuis, l’UIP a pris le relais, en réunissant scientifiques de renom et organisations religieuses diverses pour propager la bonne parole non darwinienne. Présidée par le psycho-physiologiste Jean-François Lambert, l’université a organisé des dizaines de colloques et des centaines de cours du soir, et publié quelques ouvrages sur les implications philosophiques et métaphysiques des sciences contemporaines, avec notamment des prix Nobel et « des représentants des grandes religions de l’humanité » .

D’après le philosophe Patrick Tort, l’UIP a pour origine l’Université populaire de Paris, qui, créée dans les années 1970, organisait des cycles de conférences sur le but de l’Univers, le Karma, le « nouvel âge », la Kabbale, etc. Devenue l’Université européenne de Paris, elle tente, vers 1989, de trouver une crédibilité en recrutant des scientifiques. Une de ses branches s’est spécialisée dans l’environnement avec « Environnement sans frontières », qui tient, par exemple, un stand au salon Marjolaine.

L’Université interdisciplinaire de Paris a aussi fonctionné avec les fonds privés de grands noms du CAC 40. « Nous avons été financés par Auchan, L’Oréal, Peugeot, France Télécom, EDF-GDF. Air France a été partenaire de notre grand colloque. Des fondations suisses nous ont aussi financés » , cite pêle-mêle le secrétaire général. Aujourd’hui, l’essentiel de ces fonds provient de la fondation Templeton, « le plus grand financier des adversaires du créationnisme aux États-Unis » , affirme Jean Staune, qui proteste contre les amalgames entre « non-darwiniens » et créationnistes en France. La fondation américaine finance depuis 2002 des programmes de l’UIP, intitulés « Perspectives globales en science et spiritualité » (GPSS), un concours destiné à des universitaires d’Asie et d’Europe de l’Est. « Le programme GPSS 1 a permis de distribuer un million et demi d’euros à 18 universités dans 18 pays, et GPSS 2 distribue la même somme à 7 universités en Chine, au Japon, en Russie, notamment pour de la recherche fondamentale sur la question des implications philosophiques de la mécanique quantique par rapport à la philosophie bouddhiste ou au taoïsme » , explique Jean Staune.

Le secrétaire général ne manque pas de pointer le « barrage médiatique gigantesque, parce que nous avons de l’argent américain, même si c’est de la part des darwiniens ; parce que nous travaillons aussi effectivement sur les implications philosophiques et théologiques de la science : on dit des choses qui gênent un certain nombre de pensées politiquement correctes » .

Mais Jean Staune diffuse cet enseignement non darwinien au-delà de l’UIP. Récemment, en Suisse, le fondateur de l’université a dispensé ses cours dans le lycée cantonal des Creusets, à Sion (Valais). « Le lycée a réalisé 40 posters sur les différentes thèses de mon livre
[^2] ,
de la philosophie à la technique en passant par la chimie, les mathématiques, le cerveau et la neurochimie, avec notamment l’aumônerie chrétienne du lycée. » Les posters ont été affichés pendant trois semaines dans les salles de cours, et les lycéens ont eu droit à une conférence de Jean Staune en personne. « Eux l’ont fait. J’espère bien qu’en France cela se fera aussi dans l’éducation, pourquoi pas nationale. Nous avons déjà des demandes du privé, en Seine-Saint-Denis et en Bretagne. »

[^2]: Notre existence a-t-elle un sens ?, Jean Staune, Presses de la renaissance, 2007.

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