La bulle Sarko

Michel Husson  • 11 octobre 2007 abonné·es

Une bulle peut être définie comme la hausse excessive du prix d’un actif par rapport à ses fondamentaux, et cette définition s’applique parfaitement à Nicolas Sarkozy : le Président est indéniablement un « actif », qui donne tous les jours les signes de cette exubérance (plus ou moins rationnelle) caractéristique des marchés financiers. Il bénéficie de ce mimétisme euphorique qui s’empare des Bourses : « En voyant les autres acheter et gagner de l’argent grâce à la hausse des cours, on veut participer soi-même à la fête » , souligne Wikipedia, et on retrouve bien là la jubilation des possédants, des patrons et des nouveaux ralliés. La bulle est savamment entretenue par des annonces accrocheuses comme la dépénalisation des délits financiers ou la défiscalisation des heures supplémentaires. Une euphorie symétrique s’empare des baissiers qui se prennent au jeu et placent leur petit capital sur l’actif en vogue. Là encore, c’est un phénomène classique : la bulle ne peut s’envoler que si elle est portée par de complaisants pigeons.

Il existe forcément des empêcheurs de spéculer en rond qui expliquent que tout cela ne peut durer. Mais ces Cassandre sont vite réduits au silence par la réalité des faits : et pourtant les cours montent, et pourtant Nicolas reste au firmament de la popularité. Ceux qui suggèrent que la bulle Sarkozy va forcément se dégonfler sont aujourd’hui aussi inaudibles que ceux qui, avant le retournement boursier de 2000, prédisaient que la nouvelle économie ne pourrait pas faire monter les cours de Bourse jusqu’au ciel.

L’écart de la valeur de l’actif Sarkozy avec les fondamentaux peut pourtant être mesuré dès aujourd’hui, à l’aide de deux sondages récents. Le premier (TNT Sofres) révélait que 71 % des Français jugeaient son action positive. Mais ce sondage contenait un couac assez réjouissant, que le Figaro s’est empressé de ne pas commenter : les trois quarts des sondés déclaraient aussi que Sarkozy était « démagogique ». Selon un autre sondage du CSA, 67 % des personnes interrogées trouvaient que « le rythme des réformes » n’était « ni trop rapide ni trop lent », mais 61 % se disaient opposés à l’institution d’une franchise sur les dépenses de santé ; 60 % à la TVA sociale, et 54 % à l’assouplissement du code du travail. Le sondage CSA montrait aussi que le pouvoir d’achat est la préoccupation numéro un des Français, citée par 72 % (contre 65 % un an plus tôt) ; mais ils n’étaient que 28 %, selon le sondage TNT Sofres, à trouver positive l’action du gouvernement en ce domaine [^2]. L’écart entre les prévisions de croissance du gouvernement et celles de l’OCDE ou de la Commission européenne est un autre indicateur, moins sensible à l’opinion, et il va dans le même sens.

Le retournement de la bulle se produit toujours selon le même scénario : un événement impromptu introduit le doute, puis l’incertitude se communique à l’ensemble des intervenants, et c’est le « choc de défiance » qui conduit à une fuite précipitée, aussi moutonnière qu’avait pu l’être l’euphorie initiale. C’est le seul facteur vraiment imprévisible dans le déroulement d’une bulle : on sait qu’elle doit éclater, mais il n’est pas possible de dire quand et comment. Certes, la bêtise étant plus équitablement répartie que les revenus, il arrive forcément un moment où l’évidence crève les yeux, et tout le monde est rappelé à la réalité. Il faut alors siffler la fin de la récréation et cesser de délirer. Nous en sommes à peu près là : la politique de Sarkozy va à l’encontre des intérêts de la majorité de la population. Seule une communication extraordinairement bien faite s’oppose à cette prise de conscience, et toutes les rodomontades gouvernementales n’empêcheront pas le prix de la baguette d’augmenter en même temps que la gabelle.

Mais la métaphore financière ne peut être menée jusqu’au bout. Le sort d’une bulle dépend de choix individuels exercés par les actionnaires, unis seulement par de communes croyances. Le destin d’une bulle politique, comme celle à laquelle nous avons affaire, dépend de comportements collectifs que d’aucuns appellent les luttes sociales. Pour que la bulle éclate, il ne suffit pas que le corps social prenne conscience de ce qui est en train de se passer car, paradoxalement, cette condition est en un sens déjà remplie. Il faut non seulement que la croyance en la bulle se dégonfle, mais qu’elle soit remplacée par d’autres croyances. Il faut de surcroît que l’action de classe (l’équivalent dans le champ social de la class action dans le domaine juridico-financier) soit portée par des acteurs sociaux collectifs. De ce point de vue, la bulle Sarko repose autant sur l’inanité de ses opposants que sur ses qualités intrinsèques, et risque d’avoir encore quelques beaux jours devant elle.

[^2]: [](Sondages et analyses complémentaires sur le site OUPS, http://sarkoups.free.fr).

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