Une grève pour rien ?

Le mouvement du 18 octobre pousse le gouvernement à négocier en coulisses sa réforme des régimes spéciaux de retraite, sans rien changer sur le fond. Les syndicats de la SNCF et de la RATP sont de plus en plus divisés.

Thierry Brun  et  Jean-Baptiste Quiot  • 25 octobre 2007 abonné·es

Ces dernières semaines, le gouvernement a pleinement utilisé la stratégie du « diviser pour mieux régner » dans le dossier sur les régimes spéciaux de retraite. En coulisses, Matignon et le ministère des Transports ont fait en sorte que la journée de grève historique du 18 octobre soit sans lendemain. Le soir même, le gouvernement a brisé un mouvement de grève d’ampleur et coupé l’herbe sous le pied d’une CGT confédérale, opposée sur le fond à la réforme, mais dépassée par sa base à la SNCF et à la RATP. Pour Xavier Bertrand, ministre des Affaires sociales, il n’y a rien à négocier, si ce n’est quelques aménagements à la réforme des régimes spéciaux. Les syndicats les plus réformistes sont d’ores et déjà prêts à entériner, comme en 2003, les orientations gouvernementales.

Illustration - Une grève pour rien ?


Manifestation de cheminots à Lille, jeudi 18 octobre. HUGUEN/AFP

Négociations officielles ou en coulisses ?

Les négociations avec les syndicats ont débuté bien avant la présentation le 10 octobre par le ministre des Affaires sociales, Xavier Bertrand, d’un document d’orientation relatif à la réforme des régimes spéciaux de retraite, lesquels représentent environ 5 % de l’ensemble des retraites. Pour mémoire, la RATP et EDF-GDF ont déjà commencé à réformer leurs régimes spéciaux en prévoyant de les adosser financièrement au régime général, sans toucher aux droits de leurs affiliés. Et la privatisation des caisses de prévoyance et de retraite de la SNCF, l’un des principaux régimes spéciaux, a été décidée fin 2006. Un décret paru en mai a entériné cette réforme, un autre devait en définir le financement, après plusieurs rencontres entre syndicats, direction et gouvernement.

Le discours social de Nicolas Sarkozy du 18 septembre a constitué un tournant dans les négociations. Le lendemain, plusieurs syndicats de la SNCF appellent à la grève (le 17 octobre puis le 18) à la suite de l’annonce d’un délai de deux semaines, fixé par le chef de l’État à Xavier Bertrand, pour définir les « principes communs » de l’harmonisation des régimes spéciaux avec ceux de la Fonction publique, principes qui sont dans le document d’orientation de Xavier Bertrand. Les partenaires sociaux sont reçus le 11 octobre au ministère des Affaires sociales, dans le cadre de la concertation sur la réforme des régimes spéciaux de retraite, pour discuter des « lettres de cadrage » envoyées aux entreprises.

Dans les coulisses, des négociations sur les modalités de la réforme sont menées dès le 10 octobre, à la RATP avec le Syndicat autonome traction (SAT, affilié à l’Unsa-RATP). Ce syndicat adresse une lettre à Xavier Bertrand et à Pierre Mongin, PDG de la RATP, et pose « un certain nombre de principes de la réforme à venir » . Favorable aux revendications, la réponse de Pierre Mongin arrive par un courrier du 15 octobre. Il se dit prêt « à ouvrir une discussion dans l’entreprise » . Côté SNCF, avec l’accord du gouvernement, la direction de la SNCF répond favorablement aux demandes de la Fédération générale autonome des agents de conduite (Fgaac), un syndicat catégoriel dont les troupes sont susceptibles de paralyser la SNCF, dans une lettre datée du 18 octobre. Cette lettre, également envoyée à la CGT et à SUD-Rail mais en termes différents, met le feu aux poudres. Le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Didier Le Reste veut « demander des comptes » sur des « discussions en coulisse » pendant que la Fgaac change radicalement de position, passant du mot d’ordre de grève reconductible à une position de compromis en appelant à « suspendre le mouvement » .

Le jour de la grève est aussi l’occasion pour Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, d’adresser les propositions de la confédération à Xavier Bertrand sur les « principes communs d’harmonisation » des régimes spéciaux et sur ce qui relève de « négociation de branches ou d’entreprises » . La CFDT demande un « assouplissement » de la réforme sans la contester et enfonce le mouvement social : François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, déclare, lundi 22 octobre, que la grève reconductible des syndicats FO et SUD-Rail ne « menait à rien » .

Que propose le gouvernement ?

« La porte est ouverte » , a rappelé Xavier Bertrand, qui affirme dans le même temps : « L’harmonisation à 40 annuités de la durée des cotisations n’est pas négociable. » Les discussions porteront donc sur deux points : le montant des pensions et le choix des conditions et de l’âge de départ à la retraite. Le ministre se veut rassurant : « L’inquiétude touche au montant des pensions, mais en jouant le jeu de la réforme et en travaillant plus longtemps, les agents vont maintenir leur pouvoir d’achat. » Rien n’est moins sûr pourtant, puisque l’allongement de la durée de cotisation entraîne une baisse du taux de pension, de 2 % à 1,85 % par an. Selon les syndicats, cela représente une baisse de 30 % pour un agent ayant une carrière complète. Pour ceux qui n’auront pas cette chance ­la majorité des salariés­, l’âge légal d’ouverture des droits sera le même, mais une décote diminuera la pension en cas de trimestres manquants. Elle s’élèvera à 5 % par année manquante et s’appliquera jusqu’à 5 années d’ici à 2020. « Cette double peine » , selon FO, était déjà inscrite dans le « document d’orientation » proposé par le ministre aux syndicats avant la grève du 18 octobre. Un document qui, selon le ministre, était le résultat de « 80 heures de discussion » , mais qui, pour les syndicats et notamment Claude Pommery, de la CGT-Énergie, « était déjà dans les cartons cet été et participe à la propagande du gouvernement ». En quoi consisteront alors les prochaines discussions ? En des négociations catégorielles, à l’exemple de la concertation avec la Fgaac, qui divisent les salariés sans remettre en cause le principe d’allongement de la durée de cotisation. Un principe indispensable pour le gouvernement, qui prévoit de réformer le régime général des retraites début 2008, pour passer la durée de cotisation à 41 ans, voire davantage.

Un mouvement syndical sans suite ?

Six des fédérations de cheminots (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, FO et Unsa) ont envoyé un courrier à Xavier Bertrand, indiquant qu’elles « ne se rendront pas aux discussions que souhaite engager la direction de la SNCF tant que les principes généraux de la réforme n’auront pas changé » . L’ensemble des fédérations, y compris SUD-Rail, ont décidé de se revoir le 31 octobre pour décider « d’un mouvement de grève qui pourrait être reconductible à la mi-novembre » si rien n’est lâché par le gouvernement. L’apparente unité syndicale n’empêchera pas les divergences dans le cadre de discussions sur les aménagements à la réforme des régimes spéciaux. Xavier Bertrand mise sur les intérêts catégoriels, comme le rachat des années d’études, chères aux cadres qui ont participé massivement à la grève, ou encore sur l’allongement du délai pour mettre en place l’harmonisation, qui contenterait la CFDT. Le gouvernement veut éviter la perspective d’une grève plus importante depuis qu’une convergence d’intérêt est envisageable avec les fonctionnaires. Sept fédérations ont en effet appelé à la grève dans la Fonction publique le 20 novembre. Et François Chérèque l’a bien compris~: « S’il y a un mélange des mouvements entre les régimes spéciaux, les fonctionnaires et je ne sais qui encore, on se réserve le droit de se retirer. » Dans ces conditions, on voit mal comment la CGT pourrait organiser « des suites unitaires et interprofessionnelles au mouvement du 18 octobre » , c’est-à-dire un mois après une grève historique que la confédération de Bernard Thibault ne voulait pas poursuivre. Ainsi, les syndicats les plus opposés à la réforme comme SUD et FO, auxquels il faut ajouter certaines sections syndicales de la CGT-Cheminots, ont été contraints de suspendre leur mouvement, même si quelques bastions résistent encore, non sans rancoeur. « En 1995, seule une action reconductible avait permis de contrecarrer les projets du gouvernement » sur les mêmes régimes spéciaux, a rappelé Éric Falempin (FO Cheminots).

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