Changer le boulot

Le réseau d’entreprises Repas propose à des jeunes de 18 à 30 ans un système de compagnonnage qui les forme à d’autres manières de travailler, fondées sur l’épanouissement et l’esprit collectif.

Emmanuelle Mayer  • 10 janvier 2008 abonné·es

Presque dix ans dans le marketing, et voilà que Suzon fabrique des fromages dans une ferme collective du Doubs. Ancien dessinateur industriel chez un sous-traitant d’Airbus, son compagnon Benjamin est devenu paysan-boulanger. Diplômé de droit et d’une école de commerce, Théophile vient de créer en Ariège une scop d’écoconstruction avec trois associés. Éducatrice spécialisée, Camille lance son activité de potière dans un lieu de vie autogéré dans le Perche. Après une maîtrise de géographie, Martin propose des animations autour du pain avec Tommy, ancien animateur nature ; les deux compères sont désormais titulaires d’un CAP de boulanger. Jean-Benoît, lui, travaille dans une ressourcerie-recyclerie en Limousin, après des études de sociologie…

Mais qui sont ces jeunes qui ont changé de vie ? D’anciens compagnons du réseau Repas. Traduction : des personnes qui ont suivi la formation organisée par le Réseau d’échanges et de pratiques alternatives, un groupe d’entreprises rassemblées depuis le début des années 1990 autour de « l’utilité sociale, le développement local et le fonctionnement coopératif » , comme l’explique Yann Sourbier, animateur du centre de formation Le Viel Audon en Ardèche.

« Nous avons souhaité transmettre notre manière de concevoir le travail parce que nous recevions beaucoup de sollicitations mais aussi parce que nous voulions impulser de nouvelles créations », raconte Marc Bourgeois, de la scierie Ambiance Bois. « Nous n’avions pas réellement un savoir-faire à transmettre, plutôt un savoir-être », ajoute Yann Sourbier. Non sans difficultés, le Repas est parvenu à faire entrer son projet dans un cadre juridique, avec le soutien de la région Rhône-Alpes (voir ci-contre). Ainsi est né le compagnonnage, qui accueille une quinzaine de jeunes de 18 à 30 ans chaque année depuis dix ans. D’une durée minimum de trois mois, cette formation alterne les immersions au sein d’entreprises du réseau, des sessions de mise en commun et la réalisation de projets en « groupes actions ». « Quatre ou cinq compagnons se retrouvent alors pendant un mois pour vivre et faire ensemble », précise Marc. La pédagogie est claire : action et expression de sa pensée.

C’est ainsi que Théophile le commercial a fait de la couture chez Ardelaine et de la construction en bois dans les Cévennes. Il redécouvre l’importance de ses mains et du théorème de Pythagore. C’est une révélation : « Le compagnonnage m’a permis de faire le pas vers un travail manuel. Avant, pour moi, c’était inimaginable d’être artisan, ces métiers sont très dévalorisés à l’école. » La formation l’a également motivé pour créer son entreprise, la Bois Boîte, fût-ce avec peu de moyens. « J’ai compris que je n’avais rien à perdre et tout à gagner, c’était mon rêve et je n’osais pas le réaliser ».

Même sentiment chez Suzon : « Être intégrée aux organismes décisionnels des entreprises m’a donné le courage d’entreprendre. À la ferme de la Batailleuse, j’ai créé ma propre activité au sein du collectif. » Les échanges entre compagnons conduisent aussi à se tourner vers un mode de vie fondé sur la simplicité, l’écologie et « l’investissement citoyen », comme le dit Suzon, qui participe à une association culturelle locale.

C’est sur l’esprit coopératif que les compagnons font le plus de chemin. Martin n’avait pas saisi toute la mesure de la démarche collective : « Le compagnonnage m’a ouvert les yeux sur la richesse que forme un groupe. » Déjà sensibilisée, Camille constate que c’est également sur cette question qu’elle a le plus appris. « Le fonctionnement collectif, c’est le fil rouge du compagnonnage », estime la jeune céramiste. Un fil rouge présent dès le début de la formation, avec un jeu dont le but est de s’organiser collectivement pour vivre sur une île déserte. « Aucun groupe n’arrive à survivre ! » avoue Jean-Benoît.

On le voit, ce n’est pas tant la nature de l’activité qui compte dans le compagnonnage que le sens qu’on y met. D’ailleurs, si Jean-Benoît a eu envie de travailler à la ressourcerie « Le Monde allant vers », c’est pour l’ambiance conviviale plus que pour les tâches elles-mêmes. « Le compagnonnage ouvre à un nouveau rapport au travail, fondé sur l’épanouissement. Cela peut être très perturbant car cela rompt avec les habitudes et le discours dominant », estime Tommy. Passerelle vers une économie centrée sur l’humain, porte d’entrée vers un réseau, le compagnonnage offre surtout « un espace pour se poser, réfléchir, prendre du recul », estime Martin. Jean-Benoît parle, lui, d’une « maturation accélérée ». Qui se transforme en furieuse envie agir !

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