L’ultime CD de Rodolphe Burger ?

Cas rare dans un secteur qui ne laisse plus beaucoup de place aux aventures artistiques, Rodolphe Burger vient de sortir un disque attachant et complexe, « No Sport », financé par une major.

Éric Tandy  • 28 février 2008 abonné·es

On peut être surpris de voir No Sport , le nouvel album de Rodolphe Burger, paraître chez EMI, une multinationale qui va licencier un tiers de ses effectifs à travers le monde et commence à rendre leurs contrats aux artistes ne vendant pas assez. Mais les réalités économiques du business de la musique, ce sont aussi les limites financières, et donc les contraintes créatives, des petits labels avec lesquels l’ancien guitariste du groupe Kat Onoma continue de travailler par ailleurs. On le croit donc volontiers quand il explique que son troisième album solo ­ après dix ans de silence ­ n’aurait pas pu « ~ sonner~» aussi abouti sans l’appui d’une grosse maison de disques. « Dans le cadre de mon propre label, Dernière Bande, les enregistrements ne peuvent dépasser une semaine. Là, j’avais besoin de recul et de temps. N’étant pas intermittent du spectacle, j’avais aussi besoin d’une aide conséquente pour aller jusqu’au bout du projet. Sans perdre mon indépendance artistique, bien sûr. »

Quand les décideurs d’EMI ­ séduits par son travail de réalisation sur le dernier album d’Higelin et ses collaborations avec Bashung ­ sont venus vers lui et lui ont proposé de sortir le disque chez eux, l’artiste a accepté. Il pouvait enfin faire se côtoyer, sans pression de l’horloge, des ambiances à la Gainsbourg période l’Homme à la tête de chou (« Lover Dose »), une adaptation d’un air traditionnel américain (« Marie », chanté en duo avec le bluesman/jazzman américain James Blood Ulmer) et une chanson où la langue arabe est expliquée avec la complicité ludique de Rachid Taha (« Abécédaire »). Un éventail d’idées et de sons qui ne pouvait pas se satisfaire d’un simple bricolage, fût-il ingénieux : même si Burger est capable de produire quasi artisanalement des disques dont l’audience peut dépasser le petit cercle des spécialistes. C’est par exemple chez Dernière Bande qu’était paru Paramour, l’album à succès de l’actrice Jeanne Balibar.

Avec son nouvel enregistrement, celui qui fut l’un des initiateurs des concerts de soutien au Gisti vient aussi de réaliser un disque avec un vrai fond politique où l’observation l’emporte sur les slogans. L’écriture évoquant à la fois une certaine forme de rap et les protest songs ironiques des années 1960. Sur « Ensemble », par exemple, on l’entend chanter « On n’a pas bourré les prisons ensemble/On n’a pas rempli les prisons ensemble… Ne me caresse pas le dos/Ça me démange/Ne me propose pas de cadeaux/Ça me dérange. » Le ton est ironique, éloigné de celui de la chanson engagée telle qu’on la définit habituellement : « Quand j’interprète des paroles comme celles-là, je n’ai pas l’impression de faire des pamphlets politiques. Au contraire, je constate l’effondrement et la dissolution de la politique. Le principal symptôme comportemental étant cette complicité entre les hommes ou femmes politiques de tous bords qui sans cesse se tutoient, se tripotent, ou au contraire s’envoient des vannes sans grande conséquence. »

Musicien depuis plus de vingt ans, Rodolphe Burger est évidemment très préoccupé par l’actuelle crise du disque. On se fie donc à son expérience quand il explique que ce déclin découle d’abord d’un manque de clairvoyance de l’industrie musicale. Selon lui, l’attrait pour le téléchargement illégal et la chute des ventes d’albums qui en résulte ont en grande partie été provoqués par l’apathie des majors : « Les maisons de disques ont gagné tellement d’argent dans les années 1990 avec l’arrivée du CD ­ sur lequel étaient recyclés des enregistrements déjà financièrement amortis ­ qu’elles ont complètement loupé le virage technologique. Ensuite, au lieu de s’adapter, elles se sont mis en tête de chercher un moyen de diffusion musicale qui leur soit propre : évidemment elles ne l’ont jamais trouvé. Pendant ce temps, bien sûr, les gens avaient pris l’habitude de pirater. »

L’absurdité de la situation, c’est qu’aujourd’hui l’industrie du disque s’est associée avec les premiers pirates, qu’elle avait d’abord traînés en justice. Le but étant d’utiliser leur savoir-faire pour développer le téléchargement, accélérer à moyen terme la disparition de l’objet CD, jugé plus assez rentable, et faire l’essentiel de ses bénéfices en vendant le contenu de ses catalogues à la pub. De sombres perspectives que Rodolphe Burger refuse bien sûr d’accepter : « Peut être que No Sport est mon dernier album à sortir sous cette forme, mais je n’arrive pas vraiment à y croire, car la musique ne peut pas être uniquement diffusée de façon virtuelle. »

Culture
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