Tchad : déjà-vu

Bernard Langlois  • 7 février 2008 abonné·es

Guerre civile au Tchad ; les rebelles aux portes de N’Djamena ; le président résiste dans son palais encerclé ; les troupes françaises organisent la protection et l’évacuation des civils étrangers ; le récit des premiers rapatriés français, interrogés ce matin à l’aube à leur arrivée à Roissy. Etc.

Pas besoin d’être un grand spécialiste de l’Afrique en général, et du Tchad en particulier, pour trouver à cette actualité chaude (ce lundi après-midi, les combats viennent de reprendre dans la capitale après une accalmie) comme un air de déjà-vu.

Depuis les années 1960 en effet, et l’accession à l’indépendance, le Tchad a vécu au rythme des coups d’État, des affrontements interethniques, des révolutions de palais, des rébellions armées soutenues par l’étranger (généralement la Libye, aujourd’hui le Soudan) : avec cette particularité que les régimes successifs, à commencer par le tout premier, celui de François Tombalbaye (renversé et assassiné en 1975), furent toujours peu ou prou instrumentalisés par l’ancien colonisateur, qui entretient sur place une force armée non négligeable. Le Tchad, un des plus beaux symboles de la Françafrique, où, de Malloum en Goukouni Weddeye et d’Hissène Habré en Idriss Déby, il faut toujours avoir un oeil sur Paris et ses officines pour tenter de comprendre comment le vent va tourner. Chaque nouveau président en place fait espérer un mieux démocratique rapidement démenti et s’engage sans tarder dans les voies de la dictature, qu’il dénonçait à hauts cris quand il était dans l’opposition. Selon des jeux d’alliance et des circonvolutions diplomatiques complexes (où les rapports fluctuants avec ce cher colonel Kadhafi pèsent d’un poids certain), le détenteur du pouvoir dans l’ex-Fort Lamy pourra compter ou non sur le soutien plus ou moins appuyé de la garnison française ­ et aura ou non une chance de se maintenir contre son rival du moment, ou de défaire les colonnes armées venues d’ailleurs.

Nous sommes une fois encore dans cette configuration familière, où le sort de Déby paraît suspendu au bon vouloir du parrain français.

CONTEXTE

À ceci près que les choses ont un peu changé dans cette région du monde. Et que si la France y pèse encore d’un poids non négligeable, elle a cessé d’y faire la pluie et le beau temps, comme à la belle époque des réseaux Foccart (de Gaulle-Pompidou), Journiac (Giscard) ou Papamadit (Mitterrand).

On note d’abord que, cette fois, ce n’est pas la Libye qui appuie les forces rebelles (en tout cas pas au premier rang), mais le Soudan. Et que le Soudan passe pour être au mieux avec la Chine, qui s’y fournit en pétrole en échange d’armements variés. Or, le Soudan, sous régime islamique, sort à peine d’une guerre civile de vingt ans avec sa région sud (à majorité chrétienne), qui a fait deux millions de morts et menace toujours de se rallumer, et entretient en prime une autre guerre saignante au Darfour, qui déborde largement sur le Tchad voisin (comme l’a fâcheusement illustré la pantalonnade de l’Arche de Zoé…). Or l’ONU et l’Union africaine commencent à peine (et avec peine) à déployer dans la province rebelle une force hybride d’interposition ­ commandée par le ministre congolais Adada, je n’invente rien ­, qui manque cruellement de moyens logistiques ; et l’Union européenne, de son côté, aiguillonnée par un Kouchner plus « ingérant » que jamais, s’apprête à envoyer une nouvelle « Eufor » (European Force, comme en Bosnie) dans l’est du Tchad, en bordure du Darfour ­ ce qui ne fait ni l’affaire de Khartoum, ni celle des rebelles tchadiens, qui crient au néocolonialisme. Contexte compliqué. La chute de N’Djamena bouleverserait passablement la donne. D’où les déclarations de Sarkozy comme de ses ministres concernés sur le thème : « La France ne peut accepter le renversement par la force d’un président légalement sorti des urnes » (ce qui, concernant un dictateur comme Déby, mérite tout de même une immense rigolade).

À 18 heures ce lundi, les dés avaient roulé : on apprenait que l’ONU s’apprêtait à donner son feu vert à une intervention française aux côtés du président tchadien menacé, pourvu seulement qu’on puisse « prouver » le rôle actif du Soudan. Aucune inquiétude, on prouvera. Compte tenu des rapports de force, le sort de la rébellion est donc scellé. Pour un temps…

BAL DES FAUX CULS (SUITE)

Pendant ce temps était consommé, à Versailles, le déni de justice consistant à bafouer la volonté du peuple français en lui imposant un traité clone de celui qu’il avait rejeté par référendum. Sarkozy coupable, socialos complices.

Les derniers entrechats dans ce bal des faux culs étaient dansés par Moscovici, ce matin, au micro de France Inter : il s’est trouvé peu d’auditeurs pour danser avec lui.

C’est réconfortant.

UN RÊVE

C’est notre estimé camarade blogueur Le Yéti qui nous fait part de son « rêve » , et nous invite à en faire l’article : le 1er mai 2008, grande manif au Quartier latin ! Et il argumente :

« Imaginez : le « peuple » laisse les élites officielles à leurs commémorations larmoyantes sur les décombres soixante-huitards et défile sur le Boul’Mich’ ! Il faut dire que notre pays a vraiment touché le fond de la honte et de l’indignité. ÇA SUFFIT ! (hurle le « peuple » .) Assez de se laisser manger la laine sur le dos ! Assez de ce retour à la sauvagerie grossièrement maquillée sous les traits putassiers de la « modernité » *. Précarisation, exclusions, expulsions, fichage, désinformation, OGM, non-respect de la volonté populaire, paupérisation, chômage, kärcher… ASSEZ !* N’attendons pas le secours des partis politiques statufiés ou des syndicats anesthésiés, ne nous laissons pas chloroformer par les discutailleurs de l’inutile, tenons à distance les mandarins arrogants des hautes sphères, claquons le clapet de la valetaille médiatique aux ordres.

LEUR MONDE DÉTESTABLE VACILLE, PROFITONS-EN ! (C’est toujours le « peuple » qui gueule.) Que dirons-nous à nos enfants quand ils devront affronter les ruines que nous leur léguons ? Comment oserons-nous les regarder en face si nous sommes lâchement restés assis sur nos culs tandis qu’on nous bafouait ? PRENONS NOTRE VIE EN MAIN ! » Etc.
Ben, y cause bien, Le Yéti ! Je vous conseille la visite… ^2

BOULANGISME

D’un lecteur, cette suggestion : « Vous devriez donner à lire le paragraphe qui clôt le 18 Brumaire de Louis Bonaparte *, de Karl Marx ; il paraît fort bien adapté à la situation d’aujourd’hui et au début de règne de Nicolas Ier. »*

Voyons-y voir : « Pressé par les exigences contradictoires de sa situation, et contraint, tel un prestidigitateur, de tenir par quelque tour surprenant les yeux du public constamment fixés sur lui comme sur le « succédané » de Napoléon et, par conséquent, de faire tous les jours un coup d’État en miniature, Bonaparte met sens dessus dessous toute l’économie bourgeoise, touche à tout ce qui avait paru intangible à la révolution de 1848, rend les uns résignés à la révolution et les autres désireux d’une révolution, et crée l’anarchie au nom même de l’ordre, tout en enlevant à la machine gouvernementale son auréole, en la profanant, en la rendant à la fois ignoble et ridicule… » [^3] Ma foi, il y a de ça, en effet. Sauf qu’à la lumière des derniers événements ­ divorce et remariage dans la foulée, et cette façon puérile de prendre les Français à témoin de ses peines de coeur aussitôt suivies de ses félicités ­, je me demande si Nicolas Sarkozy ne relève pas plutôt de cette catégorie abâtardie de bonapartisme qu’est le boulangisme. Ce qui, à tout prendre, vaudrait mieux, ça dure moins longtemps : on sait que dominé par ses passions privées, le célèbre général s’alla suicider sur la tombe de sa défunte maîtresse. Sans souhaiter un sort aussi funeste à notre président bling-bling, ne peut-on compter qu’il soit un jour contraint de s’éloigner des affaires publiques par l’accaparement de son temps et l’envahissement de tout son être par les délices et les poisons de sa vie sentimentale ?

La chute, spectaculaire, de sa popularité témoigne en tout cas que le mélange des genres défrise sérieusement son électorat.

BERNACHES

Et de cet autre lecteur (ou lectrice ? Dominique…) l’envoi de cette superbe photo d’un vol de bernaches, avec l’explication jointe, que je vous résume : « Chaque battement d’aile d’un oiseau donne une poussée à l’oiseau qui le suit. Une telle coopération permet à toute la volée de parcourir une distance d’au moins 71 % supérieure à celle que parcourent les oiseaux volant en solo. […] Lorsque la bernache de tête est fatiguée, elle revient dans l’aile de la formation et une autre bernache prend la relève. Les bernaches qui sont à l’arrière crient pour encourager celles qui sont à l’avant. Enfin, quand une bernache s’affaiblit, qu’elle est blessée ou qu’elle tombe de la formation, deux bernaches en sortent alors et descendent à sa suite pour l’aider et la protéger. Ses compagnes demeurent avec elles jusqu’à ce qu’elle meure. Elles repartent ensuite de leur côté pour rejoindre leur groupe ou se joignent à une autre formation… »

Si seulement nous avions le sens de la solidarité et de l’action collective des bernaches, pèseraient pas lourd, les bravaches qui nous exploitent !

[^3]: Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Karl Marx.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 8 minutes