Vers un nouvel ordre international

Dominique Plihon  • 28 février 2008 abonné·es

La crise financière internationale qui se déroule sous nos yeux depuis l’été 2007 marque la fin d’une période et annonce une redistribution des rôles à l’échelle de la planète. En effet, la crise immobilière et financière américaine (dite «subprime» ) correspond à un essoufflement du système économique et financier états-unien. Le dynamisme de ce système était fondé sur une progression extrêmement rapide de la consommation des ménages américains. Les dépenses de ces derniers étaient supérieures à leurs revenus, de telle sorte que leur endettement a explosé, passant en moyenne de 60 à 130% de leur revenu, soit deux fois plus que dans la zone euro. Depuis vingt ans, les ménages américains ont été les seuls dans le monde à avoir une épargne négative. Cela a été rendu possible par le rôle du dollar comme monnaie à usage international. C’est ce qui a conduit les banques centrales et les investisseurs étrangers à absorber sans broncher, jusqu’à maintenant, la dette américaine libellée en dollars.

Cette hégémonie des États-Unis est aujourd’hui remise en cause. Le surendettement et l’hyperconsommation états-uniens sont devenus non soutenables et doivent être corrigés. Le principal moteur de la croissance américaine est en panne. Les États-Unis vont entrer dans une phase de récession durable qui les affaiblira. Le PIB américain va connaître une croissance négative pendant plusieurs trimestres, situation inédite depuis le début des années1990. Cette crise sera d’autant plus profonde que le système financier états-unien est profondément ébranlé. Les pertes accumulées par les banques sont considérables. Ce qui va miner la confiance dans le dollar, largement fondée sur la force des places financières américaines. Une crise du dollar apparaît de plus en plus probable. D’autant plus que les deux principales banques centrales, la FED américaine et la Banque centrale européenne, mènent des politiques non coordonnées.

L’affaiblissement des États-Unis va de pair avec une transformation de l’échiquier planétaire. Un monde multipolaire se met progressivement en place. Sur la scène monétaire internationale, le dollar est désormais concurrencé par l’euro. Les détenteurs de dollars sont amenés à jouer de plus en plus l’euro contre le dollar, remettant en cause l’hégémonie du billet vert. Ainsi s’explique la montée de l’euro depuis2002. Mais, surtout, on assiste à une montée en puissance spectaculaire des pays dits «émergents». Parmi ces derniers, la Chine et l’Inde rassemblent plus du tiers de la population mondiale. Les multinationales indiennes (Mittal, Tata) et chinoises (PetroChina) se lancent à l’assaut des pays anciennement industrialisés. Les pays émergents détiennent une grande partie de la dette américaine. Les fameux fonds souverains des pays asiatiques et des pays du Golfe ont investi quelque 70milliards de dollars pour renflouer les fleurons de la finance occidentale victimes de la crise subprime (Citygroup, Morgan Stanley, UBS…).

Cette redistribution des cartes dans le processus de mondialisation a des précédents historiques. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, qui correspond à la première grande phase de la mondialisation, les pays dominants de l’époque, essentiellement européens, avaient vu leur hégémonie progressivement remise en cause par l’irruption de pays neufs, tels la Russie, l’Argentine, le Canada… et les États-Unis. Plus près de nous, au début du XXe siècle, devenus puissance dominante, les États-Unis ont détrôné la City de Londres et la livre sterling, qui avaient été les instruments de l’hégémonie commerciale et financière britannique.

En ce début de XXIesiècle, un nouvel ordre international se met donc progressivement en place, comme ce fut le cas au siècle précédent. Dans ce nouveau contexte, il est plus que jamais nécessaire de poser la question du gouvernement de la planète. Les institutions internationales actuelles, créées dans la période d’hégémonie états-unienne, doivent être réformées d’une manière radicale. La crise et la paralysie actuelles des principales organisations internationales (ONU, OMC, FMI et Banque mondiale) s’expliquent largement par l’incapacité de ces dernières à prendre en compte la nouvelle donne internationale. Dans le contexte d’une mondialisation désormais multipolaire, le multilatéralisme doit continuer d’être un principe fondamental. Le fonctionnement de toutes les organisations internationales doit également être réformé en profondeur, de manière à ce que l’ensemble des pays de la planète ­pays émergents mais aussi pays les moins avancés­ participe directement aux instances de décision aux côtés des pays les plus riches. Ces derniers monopolisent aujourd’hui les pouvoirs dans les relations internationales alors qu’ils ne représentent qu’une partie minoritaire de l’humanité.

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