Compromis de façade

Les partenaires sociaux proposent de modifier le paysage syndical français. Mais leur accord révèle surtout des conflits d’intérêt entre les confédérations et au sein du camp patronal.

Thierry Brun  • 17 avril 2008 abonné·es

Ce devait être un accord national interprofessionnel « sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme » . Mais les partenaires sociaux en ont décidé autrement : une « position commune » a été adoptée le jeudi 10 avril, pour « éviter un clash » , notamment de la CGT. C’est « une position qui n’engage juridiquement en rien le gouvernement et le législateur » , remarque l’Unsa. Et qui ne sera pas signée par FO et l’Union professionnelle artisanale (UPA), organisation patronale très remontée contre le Medef et la CGPME.

Sur le fond, la nouvelle démocratie syndicale proposée dans le texte est un compromis de façade qui révèle surtout les conflits d’intérêt entre les cinq confédérations syndicales et au sein des organisations patronales. L’Unsa et l’Union syndicale Solidaires, deux des syndicats réclamant la modification des règles représentativité syndicale, inchangée depuis 1966 [[Un arrêté en 1966 indique que cinq organisations sont considérées représentatives nationalement (CGT, CFDT, FO, CFTC, et CGC). Elles bénéficient d’une «présomption irréfragable de représentativité» dans toutes les entreprises.
]], estiment que ce texte est loin du compte, même s’il reconnaît que les règles actuelles sont caduques. L’Unsa en a d’ailleurs tiré les conclusions en fusionnant avec la CFE-CGC, l’une et l’autre haussant ainsi leur niveau de représentativité. La position commune a aussi intégré quelques-unes des demandes patronales, notamment dans l’article 17.

Des accords d’entreprise « peuvent dès à présent, à titre expérimental, préciser l’ensemble des conditions qui seront mises en oeuvre pour dépasser le contingent conventionnel d’heures supplémentaires prévu par un accord de branche antérieur à la loi du 4 mai 2004 » . « Cette proposition de déroger aux 35 heures a été introduite subrepticement dans le texte à la demande du Medef » , explique René Valladon, secrétaire confédéral de FO.

Pour être représentatif, un syndicat de salariés sera jugé sur la base de sept critères, au lieu de cinq, qui deviennent « cumulatifs » . Il lui faudra aussi une ancienneté de deux ans et atteindre 10 % des voix aux élections professionnelles dans les entreprises et 8 % dans les branches professionnelles et au niveau national interprofessionnel. « Les seuils retenus ont été conçus sur mesure pour maintenir le paysage actuel » , estime Annick Coupé, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, qui réclame la prise en compte des élections prud’homales. « L’ouverture du premier tour des élections dans l’entreprise est tellement « contrôlée » pour les nouveaux syndicats, en leur imposant deux ans d’existence avant de pouvoir se présenter, sauf pour les syndicats affiliés aux « cinq », qu’elle perpétue de fait le système actuel » , constate l’Unsa. « Avec le délai de quatre ans entre deux élections, on pourrait arriver à des situations extrêmes où il faudra quasiment six ans d’existence pour être enfin reconnus dans une entreprise ! » , pointe Solidaires.

Autre sujet important qui suscite la critique, des accords collectifs seront validés, au niveau des branches et au niveau national, par des syndicats réunissant 30 % des suffrages exprimés. L’accord validé nécessitera « l’absence d’opposition des organisations syndicales ayant recueilli la majorité des suffrages valablement exprimés » , autrement dit une opposition majoritaire qu’il sera difficile de mettre en place. « On était sur un système de majorité en nombre d’organisations et non pas en influence au niveau de la branche, qui était certes injuste. Mais les 30 % valident des accords encore plus minoritaires » , commente un juriste permanent de la CGT.

Les divisions s’affichent aussi dans le camp patronal. « Nous avions la possibilité, dans le cadre de cette négociation, de faire reconnaître l’accord sur le dialogue social conclu entre l’UPA et les cinq confédérations, le 12 décembre 2007. Cela n’a pas été le cas parce que le Medef, et en particulier l’UIMM, la Fédération du bâtiment et la CGPME s’y sont opposés » , lâche l’UPA. En matière de développement du dialogue social, la position commune renvoie à plus tard le renforcement de la représentation syndicale dans les PME et les TPE. La démocratie syndicale attendra encore.

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