Cannes 2008 : « Blindness » de Fernando Meirelles et « Valse avec Bachir » de Ari Folman

Christophe Kantcheff et Ingrid Merckx sont à Cannes pour le Festival du cinéma. Retrouvez chaque jour sur Politis.fr leurs billets en direct de la Croisette.

Christophe Kantcheff  et  Cannes 2008  • 15 mai 2008 abonné·es

Mercredi 14 mai 2008

On a beau compter et recompter, il y a bien 22 films cette année dans la compétition officielle. C’est-à-dire autant que l’an dernier. Les propos tenus le 23 avril, lors de la traditionnelle conférence de presse par les responsables du festival de Cannes, Gilles Jacob et Thierry Frémaux, selon lesquels le choix cette année se serait fait sur un nombre plus réduit de films afin qu’ils soient mieux vus, ne sont plus d’actualité. Depuis, ils en ont invité deux ou trois supplémentaires. Est-ce à dire que la qualité des regards posés sur chacun de ces films est soudain devenue un argument de moindre importance ?

On se demande, la première journée du festival, si ça a bien commencé. On est encore loin du plein régime, qu’on attend, et dont bientôt, sous le poids du stress et de la fatigue, on se plaindra…

Deux films de la compétition auront fait ma journée. Aux antipodes l’un de l’autre. D’abord le film qui ouvre le festival, Blindness , du Brésilien Fernando Meirelles, d’après le roman de José Saramago, l’Aveuglement . L’histoire d’une ville où s’abat une épidémie, non pas de peste, mais de cécité, aussi subite qu’inexplicable. Les contaminés sont enfermés dans un hôpital désaffecté et délabré, surveillés comme des pestiférés (la cécité est contagieuse), puis abandonnés à leur sort. Rapidement les relations entre les malades se désagrègent, et s’instaurent des rapports de dominations et de violence.

Fernando Meirelles n’est pas un réalisateur qui s’embarrasse avec les subtilités. Il crée un climat d’angoisse avec des effets éculés et fatiguants. Il faudrait aussi avertir le cinéaste que si ses personnages sont devenus aveugles (exceptée Julianne Moore, qui se fait passée pour aveugle afin de pouvoir suivre son mari), ses spectateurs ne le sont peut-être pas. Qu’il n’était peut-être pas nécessaire de surligner ses messages et ses paraboles au trait fluorescent.

Un film d’ouverture, Blindness ? Bof…

Valse avec Bachir , de l’Israélien Ari Folman est en revanche un film marquant (voir critique ici). D’abord dans sa nature : Valse avec Bachir est un documentaire d’animation. En fait, il radicalise un peu plus ce qu’est le documentaire : une recomposition du réel (et non une captation du réel à l’état pur, conception naïve et même dangereuse).

Valse avec Bachir revient sur les années de guerre du cinéaste, lors de l’invasion du Liban par Israël, au début des années 1980. Constatant que sa mémoire a totalement occulté sa vie de soldat et les terribles expériences qu’il a traversées, il va chercher le témoignage de ses anciens compagnons d’armes. Le film met en scène ces rencontres, mais surtout le récit que livre chacun de ces hommes, qui ont maintenant plus de 40 ans.

Illustration - Cannes 2008 : « Blindness » de Fernando Meirelles et « Valse avec Bachir » de Ari Folman

Le film abonde en qualité. Jamais esthétisant, le dessin est à la fois élégant et réaliste. À aucun moment la guerre n’est sublimée, ou regardée comme un objet de fascination, mais en même temps, le film va bien au-delà de la simple condamnation. Il pose des questions essentielles, notamment sur le rôle de l’armée israélienne dans le massacre de Sabra et Chatila, mais aussi sur la responsabilité individuelle de chacun des soldats israéliens présents autour des lieux du drame. Sur le poids de culpabilité intimement ressenti. Sur la difficulté à transmettre la réalité de telles expériences, ce qui pourtant s’avère nécessaire aux individus et à la société israélienne tout entière. Bref, Valse avec Bachir est un film passionnant.

Demain, Ingrid Merckx me rejoint dans la réalisation de cette chronique. Deux journalistes de Politis à Cannes, cela signifie une meilleure couverture du festival, et c’est se donner un peu plus de temps pour regarder (c’est-à-dire pour comprendre) les films. Autrement dit, c’est répondre aux souhaits de Gilles Jacob et Thierry Frémaux…

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