Deux poids, deux mesures

Limitation du droit de grève, entraves aux droits des migrants, répression accrue de la délinquance sauf quand elle est financière… Le sarkozysme porte atteinte aux libertés du plus grand nombre, mais ménage certains privilégiés.

Politis  • 8 mai 2008 abonné·es

Identité nationale

Au lendemain de son élection, Nicolas Sarkozy et François Fillon créent un grand ministère devant être « compétent à la fois pour l’immigration, l’intégration, ­l’identité nationale et le codéveloppement » . Objectifs : « Maîtriser les flux migratoires, favoriser l’intégration, promouvoir l’identité française et encourager le codéveloppement. » Dès le départ, ce ministère est contesté. En associant identité nationale et immigration dans son intitulé, il s’inscrit dans une stigmatisation de l’immigration et dans la ligne d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers. Ce ministère est perçu comme la figure de proue idéologique de la présidence Sarkozy. Certains dénoncent la mise en place d’un racisme d’État fondé sur un système de tri des immigrés, et qui réduit le codéveloppement à un dispositif antimigratoire. Première visée de ce ministère dirigé par Brice Hortefeux : « La lutte contre l’immigration illégale reste une priorité absolue avec un objectif pour 2007 de 25 000 éloignements. » Soit l’intronisation d’une politique de quotas et de sélection des migrants en fonction des besoins économiques.

Peines planchers

Dénoncer l’impunité des mineurs récidivistes est un des dadas de Nicolas Sarkozy depuis son passage à l’Intérieur. Le 10 août 2007, trois mois après son élection à la tête de l’État, était promulguée la loi instaurant des peines planchers pour les mineurs récidivistes. Défendu par Rachida Dati, ce texte prévoit qu’en cas de récidive d’un délit, même minime, commis par un mineur âgé de 13 ans et plus, les juges ne peuvent prononcer une peine inférieure à un seuil déterminé par la loi. Un adolescent de plus de 16 ans peut, quant à lui, se voir refuser le bénéfice de l’atténuation de peine en cas de récidive de faits commis avec violence. L’atténuation de peine, qui était le principe pour les mineurs, devient l’exception, et l’alignement sur la justice des majeurs devient la règle. Ce texte part du principe que les peines ont un effet dissuasif, ce qui n’a jamais été prouvé. Il prend exemple sur les pays qui pratiquent les peines planchers, comme les États-Unis, alors que ce système n’y a fait baisser ni la délinquance ni la criminalité mais fait exploser le taux de détention. Enfin, il remise le principe historique d’individualisation de la peine. Symbolique des nouvelles orientations du gouvernement en matière de justice, il fait de la prison la réponse centrale à la délinquance quand tout le monde sait qu’elle est une école de la récidive, extrêmement coûteuse de surcroît, et en état de surpopulation alarmant.

Service minimum

La loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs du 21 août 2007 vise à « prévenir efficacement les conflits dans les transports terrestres et ferroviaires par le dialogue social » et à « garantir, en cas de grève, un service réduit, mais connu par avance de la population et répondant à ses besoins prioritaires » . Le service minimum dans les transports est effectif depuis le 1er janvier. Au prétexte d’assurer aux salariés les moyens de transport nécessaires pour se rendre à leur travail lors des jours de grève, il affaiblit le droit de grève et casse les armes de la résistance sociale dans les secteurs où le syndicalisme est encore fort. Pas étonnant, donc, que le service minimum ait été instauré avant la mise en place de la réforme des régimes spéciaux des cheminots. La volonté du gouvernement d’étendre le service minimum à l’Éducation nationale avant l’annonce du non-renouvellement des postes d’enseignants participe du même processus.

Vidéosurveillance

Michèle Alliot-Marie veut tripler le nombre de caméras de vidéosurveillance d’ici à 2009, pour le porter à un million. Elle l’a annoncé le 13 octobre dans un entretien accordé au journal le Monde. « Une nécessité face au terrorisme et un atout contre l’insécurité », a-t-elle garanti. Le développement accéléré de la vidéosurveillance fait partie intégrante d’un projet plus vaste : la création d’un « grand ministère moderne de la Sécurité intérieure utilisant les technologies les plus novatrices ».

Loi Hortefeux

Le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, visant à limiter le regroupement familial, correspond au cinquième texte sur l’immigration depuis 2002. Il a d’abord déclenché un tollé du fait de la validation, le 19 septembre par l’Assemblée nationale, de l’amendement Mariani généralisant l’utilisation de tests ADN pour prouver les filiations déclarées dans le cadre d’une demande de regroupement. Le 5 octobre, le Sénat a modifié le texte en imposant le consentement des personnes pour les tests ADN, une disposition avalisée par le Conseil constitutionnel. Cette loi stipule aussi que les migrants, y compris les conjoints de Français, voulant rejoindre la France doivent se soumettre à « une évaluation de leur degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République » . Si besoin, ils devront suivre une formation, d’une durée maximale de deux mois. La loi fixe un minimum de ressources pour faire venir sa famille en France et précise que les préfectures pourront régulariser, « à titre exceptionnel » , les étrangers justifiant d’une promesse d’embauche ou d’une embauche dans un métier et des lieux « en tension » . Pour les associations de défense des droits de l’homme et des étrangers, ce texte porte atteinte au droit de mener une vie privée et familiale normale, et accroît la répression à l’égard des sans-papiers.

Dépénalisation du droit des affaires

« La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur, je veux y mettre un terme » , avait annoncé le chef de l’État lors de l’université d’été du Medef, le 30 août. Pour « réinsuffler l’esprit d’entreprendre » , le rapport Coulon, remis le 20 février à la garde des Sceaux, qui s’est aussitôt engagée à reprendre la quasi-totalité des 30 propositions qu’il contient dans un projet de loi, suggère de supprimer une quarantaine d’infractions et de remplacer certaines sanctions pénales par des sanctions administratives. Les actions menées par un collectif seront limitées au droit de la consommation et réservées à des associations de consommateurs agréées.

Peine de sûreté

Conséquence de la politique de l’émotion née de l’affaire Évrard (pédophile récidiviste) et de l’affaire Romain Dupuy (meurtrier pour lequel un non-lieu psychiatrique a été prononcé), la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental permettra d’enfermer des criminels en fonction d’un pronostic de « dangerosité », donc pour des faits non encore commis. Elle permettra aussi de juger le malade mental quelle que soit sa compréhension de la situation, dans le but de rassurer sa victime. Vis-à-vis de la rétention de sûreté, de nombreux professionnels et citoyens (www.contrelaretentiondesurete.fr) dénoncent la mise en place d’un dispositif qui relève d’une philosophie de l’enfermement et dénie à l’homme toute possibilité d’amendement. Ils condamnent aussi le fait que la présomption d’innocence devienne secondaire avec ce texte, et que la justice de sûreté prenne le pas sur la justice de responsabilité.

Secret des sources

Conformément à un engagement pris par Nicolas Sarkozy, Rachida Dati a présenté le 12 mars en Conseil des ministres un projet de loi visant à garantir aux journalistes un droit à la protection des sources. Il stipule que « l’identification dans le cadre d’une procédure pénale de l’origine d’une information ne pourra être recherchée qu’à titre exceptionnel et à condition que la nature et la particulière gravité du crime ou du délit ainsi que les nécessités des investigations le justifient » . Reste à définir la notion de « gravité ».

Archives

Le projet de loi relatif aux archives défendu par Christine Albanel a été adopté le 29 avril en première lecture à l’Assemblée nationale. Il prévoit la communicabilité immédiate des archives publiques, dont le délai était jusque-là fixé à trente ans. Les documents soumis à un délai de soixante ou cent ans seront désormais communicables au terme de cinquante ou soixante-quinze ans. Pour obtenir cette réduction, les historiens ont dû pétitionner. Ils n’ont pu empêcher la création d’une catégorie d’archives « incommunicables », relatives, par ­exemple, aux armes de destruction massive.

Ordonnance de 1945

La ministre de la Justice a lancé le 23 avril un groupe de travail chargé de réformer (encore) l’ordonnance de 1945, qui pose le principe d’une justice sur mesure pour les mineurs, avec des magistrats et des juridictions spécialisés, des mesures et des sanctions adaptées. La primauté de l’éducatif sur le répressif, qui fait la valeur de ce texte, a « perdu de sa pertinence » selon Rachida Dati. Les mineurs seraient-ils plus dangereux qu’avant ? Si le principe d’une réforme du texte fait plutôt consensus, certains s’interrogent sur la direction de celle-ci. Quel âge minimum pour la responsabilité pénale ? Faut-il craindre qu’il soit fixé en dessous de la recommandation minimum du Comité des droits de l’enfant des Nations unies (12 ans) ? Il est aussi à craindre que, dans la lignée des peines planchers, l’ordonnance soit modifiée dans le sens d’une justice plus répressive. Pourtant, la réponse pénale aux actes délictueux d’adolescents atteint déjà 85 %.

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