Éléments de couacologie

Michel Husson  • 29 mai 2008 abonné·es

Après le «bling-bling», la mode médiatique est passée à la dénonciation des couacs gouvernementaux. Sarkozy a lui-même reconnu des erreurs de communication et il vient de nommer un délégué interministériel à la Communication. Tout cela est évidemment assez dérisoire, et il serait temps de procéder à une analyse matérialiste du couac. Car il ne s’agit pas de maladresses, mais de symptômes du fait que Sarkozy et son gouvernement sont dans une véritable impasse.

Tout peut se ramener à cette équation budgétaire implacable : quand on a baissé les impôts et que l’on veut réduire le déficit, il n’y a qu’une solution, c’est de couper dans les dépenses publiques. Et cela devient d’autant plus urgent que la conjoncture économique va durcir toutes les contraintes. Les dépenses vont continuer à peu près sur leur lancée, mais les recettes fiscales vont immédiatement baisser, à proportion du ralentissement de l’activité économique. Résultat : la France va flirter avec les fameux 3~% de déficit, comme le souligne la Commission européenne dans ses dernières prévisions. Cela fait désordre à quelques semaines de la présidence française de l’Union européenne.

Le gouvernement doit donc absolument, dans l’urgence, voire dans la panique, freiner les dépenses publiques. Mais il se trouve confronté à deux difficultés. La première pourrait être appelée «effet bout de chandelle» : pour économiser quelques dizaines ou centaines de millions d’euros, c’est-à-dire pas grand-chose, il faut prendre des mesures parfaitement illégitimes d’un point de vue social. On pourrait même construire un indicateur quantifiant cet effet en comparant le nombre de points perdus dans les sondages pour un million d’euros économisés. Le niveau très élevé de ce ratio d’«insupportabilité» fonde une théorie matérialiste du couac. Un bon exemple est celui de la carte SNCF familles nombreuses : pour grappiller quelques sous (à l’échelle du déficit), le gouvernement risquait de se mettre à dos une bonne partie de la population, et il a donc dû renoncer à ce projet grandiose.

Même chose pour le non-remplacement des départs à la retraite dans la Fonction publique. Un calcul à la louche montre qu’il faut environ 40~000 postes non remplacés pour «gagner» un milliard d’euros. Si on voulait éponger le déficit total — qui atteint aujourd’hui 60~milliards — il faudrait donc supprimer plus de deux millions de postes de fonctionnaires ! Ceci rend perceptible la seconde difficulté, que l’on pourrait appeler l’effet «baudruche» (ou encore effet Attali), et que l’on pourrait énoncer ainsi : les réformes de structure, cela n’existe pas.

Le grand postulat de la RGPP (révision générale des politiques publiques) est pourtant que l’on peut «maîtriser et rationaliser les dépenses publiques tout en améliorant la qualité des politiques publiques». Cela peut s’appliquer à quelques rares secteurs de l’administration, mais prétendre que l’on peut améliorer la qualité de l’enseignement, de la santé, de la justice, etc. en «maîtrisant» sévèrement les effectifs est une vaste fumisterie qui ne convainc d’ailleurs plus grand monde. Le mouvement des lycéens est un indicateur avancé d’une prise de conscience beaucoup plus diffuse et large, qui va dorénavant se manifester par des réactions immédiates et brutales aux prochains essais de raclage de fonds de tiroir. Car le gouvernement est condamné à ce genre de subterfuges : on essaie de moins rembourser les binoclards, de faire payer la redevance télé aux vieux, de transvaser la prime pour l’emploi sur le RSA, etc. Il faut donc s’attendre à une longue série de mesures, des plus mesquines aux plus immondes, pour compenser les largesses démesurées faites à une minorité de profiteurs.

Certes, Christine Lagarde annonce qu’elle va s’attaquer aux niches fiscales… après les avoir agrandies avec son fameux paquet. Pour avoir une petite idée de la méthode, il suffit de rappeler que la délégation nationale de lutte contre la fraude créée récemment par Éric Woerth s’est fixée comme cible prioritaire la fraude aux prestations sociales (300~millions d’euros de fraude constatée en 2007) alors que la fraude fiscale représente, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, entre 28 et 40~milliards d’euros.

Si l’on ajoute à toutes ces petitesses le couac fondateur sur le pouvoir d’achat, on mesure l’absolue rigidité de classe de ce gouvernement. Il n’est même pas capable de simuler un minimum d’équité, et donc de concocter un plan de rigueur vendable, qui aurait les apparences d’une répartition pas trop injuste. Les rodomontades lamentables de Sarkozy qui voulait chercher la croissance «avec les dents» ont explosé en vol, et son «projet de civilisation» a tourné en eau de boudin, aussi vite qu’il a dégringolé dans les sondages. Il nous reste donc à préparer le «Grand Couac».

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